À l’approche du Nouvel An, Sergueï Lavrov a évoqué dans un entretien à Sputnik ses attentes pour la politique extérieure du pays en 2020 et a indiqué de quoi allait dépendre le développement de la situation au niveau international. Le premier diplomate de Russie a également donné son avis quant à un éventuel retour au format du G8. Les dates butoirs pour une prolongation de l’accord New Start, qui demeure le dernier instrument restreignant le potentiel des missiles nucléaires de la Russie et des États-Unis, ont aussi été mentionnées. Enfin, le ministre a livré sa vision sur la construction du gazoduc Nord Stream 2 et les sanctions américaines ciblant ce projet.
Sputnik: Une reformation du G8 l'année prochaine est-elle possible? Cette question a-t-elle été abordée lors de votre récente rencontre avec Donald Trump? A-t-il transmis une invitation au Président Poutine pour le prochain sommet aux États-Unis [du G7 en juin 2020, ndlr]? Quelles sont vos attentes en matière de politique étrangère, notamment avec Washington, pour l’année à venir?
Sergueï Lavrov: Je vous invite à utiliser les bons termes. Ce n’est pas la Russie qui a quitté le G8. Permettez-moi de vous rappeler qu'après le coup d'État en Ukraine début 2014, les sept autres membres du Groupe ont refusé de prendre part aux événements prévus sous la présidence russe. Autrement dit, c’est le G7 qui a abandonné ce format. Comme a tenu à le souligner le Président Poutine, «si nos partenaires veulent venir chez nous, nous serons heureux». Je tenais à ajouter que nous pouvons les accueillir à Moscou, à Saint-Pétersbourg, à Sotchi ou, par exemple, à Yalta.
Ce n'est pas un hasard si les négociations sur de nombreuses questions clés aujourd’hui, non seulement de l'économie mondiale mais aussi de la politique, réussissent notamment dans le cadre du G20. Outre le G20, la Russie prend aussi activement part aux travaux d'associations d'un nouveau type comme, par exemple, les BRICS et l'OCS, au sein desquelles les décisions ne sont pas imposées mais prises sur la base d'un consensus équilibré. Ces structures multilatérales sont déjà devenues les piliers importants d’une architecture multipolaire plus juste et démocratique de l’ordre mondial.
Il n’est pas facile de faire des pronostics pour l'année prochaine. Beaucoup dépendra de la volonté de nos partenaires occidentaux, en particulier de Washington, d'abandonner les méthodes perverses de chantage, de pression, de sanctions unilatérales, de commencer à respecter le droit international, et plus généralement, de prendre la voie d’un dialogue mutuellement respectueux en vue de dénouer efficacement les nombreux nœuds de notre temps. La Russie, de son côté, va continuer à participer au renforcement des principes fédérateurs des affaires du monde, au maintien de la sécurité mondiale et régionale dans toutes ses dimensions et au règlement politique et diplomatique durable de plusieurs crises et conflits, que ce soit en Syrie ou en Ukraine voisine. Dans ce sens, nous allons recourir au potentiel de notre appartenance aux structures de gouvernance mondiale comme l'Onu et le G20, ainsi qu’aux possibilités que nous offrent nos présidences au sein des BRICS et de l'OCS.
Nous restons réalistes quant aux perspectives d'un dialogue russo-américain, particulièrement étant donnée la situation politique intérieure compliquée des États-Unis et de la prochaine élection présidentielle. Les récentes mesures hostiles prises par Washington en sont une bonne illustration. De notre côté, nous continuerons d’adopter toutes les mesures nécessaires afin de garantir notre propre sécurité, les intérêts des citoyens et du monde des affaires russes, et de répondre de façon appropriée aux agressions. Ce faisant, nous ne cherchons pas nous-mêmes la confrontation. Nous sommes ouverts pour trouver ensemble des solutions aux problèmes majeurs auxquels font face nos deux pays ainsi que le monde entier. Nos propositions visant à établir une collaboration dans les différents domaines sont toujours d’actualité.
Sputnik: Y a-t-il des dates butoirs pour la prolongation du New Start? Si on échoue à le proroger, la Russie commencera-t-elle dans la foulée à développer et à déployer des armes stratégiques supplémentaires ou bien y aura-t-il un moratoire comme celui instauré après la fin du Traité FNI?
Sergueï Lavrov: L'approche russe sur les perspectives du traité New Start a été clairement énoncée par le Président russe. Nous soutenons l’idée de son extension sans conditions préalables. En ce qui concerne les délais, Vladimir Poutine a annoncé que la Russie était prête à prolonger l'accord «immédiatement, dès que possible, avant même la fin de cette année».
Il n'existe pas de date limite pour la prolongation, le processus devra être toutefois terminé avant l'expiration de l’accord le 5 février 2021. Cela signifie non seulement conclure un accord avec les Américains, mais aussi suivre un certain nombre de procédures à l'Assemblée fédérale, puisqu’elle implique une modification de la loi fédérale n°1 du 28 janvier 2011 sur la ratification du New Start. Il ne reste donc pas beaucoup de temps.
Pour la Russie, il est opportun de maintenir l’application de ce traité, qui demeure le dernier instrument juridique international pouvant limiter réciproquement le potentiel des missiles nucléaires des deux plus grandes puissances nucléaires et rendant les activités dans ce domaine prévisibles et vérifiables. En outre, cette prolongation permettrait de gagner du temps que l’on pourrait utiliser pour étudier d’autres démarches sur les possibles formes et méthodes de contrôle des nouvelles armes et technologies militaires. Pour le moment, les États-Unis n'ont pas encore clarifié leur position quant à la prolongation du Traité New Start. Il est toutefois prématuré, à mon avis, d’évoquer d’autres scénarios.
Sputnik: La fin de l'année a été marquée par une nouvelle recrudescence des activités des opposants au projet Nord Stream 2. Y a-t-il un risque qu'il soit avorté? Compte tenu de la position «instable» de nos partenaires occidentaux, n'est-il pas temps pour la Russie de procéder à une diversification pour réorienter drastiquement ses exportations d'hydrocarbures? La Chine est-elle considérée comme le remplaçant le plus prometteur de l'Europe?
Sergueï Lavrov: La construction du gazoduc Nord Stream 2 touche à sa fin, c'est la raison pour laquelle ses opposants ont intensifié leurs tentatives visant à saboter le projet. L'intégration de sanctions dans la loi américaine sur les dépenses de défense pour 2020 est un acte impudent et cynique d'ingérence dans les affaires européennes. Certains sénateurs américains ont commencé à menacer directement la direction des entreprises prenant part à la construction. Bien entendu, leur objectif n'est pas de se soucier de la sécurité énergétique européenne, qui sortira renforcée par le Nord Stream 2, mais de faire avancer la pénétration du gaz naturel liquéfié (GNL) américain sur le marché européen. Il s'agit d'un exemple flagrant de concurrence déloyale et de politisation dans le secteur de l'énergie.
Le marché européen du gaz demeure le principal pour nous: le volume annuel des exportations s’élève à quelque 200 milliards de mètres cubes. Parallèlement, nous élargissons avec succès la collaboration énergétique avec les pays de la région Asie-Pacifique, où la demande de ressources en hydrocarbures ne cesse de croître. Le gazoduc Force de Sibérie a été mis en service début décembre. Il assurera à l'avenir de manière durable les livraisons de gaz pour la Chine jusqu'à 38 milliards de mètres cubes par an. Conjointement avec des partenaires étrangers, nous développons la base de ressources de l'Arctique, notamment dans le cadre des projets Yamal LNG et Arctic LNG 2. Afin de garantir les exportations des ressources énergétiques russes dans les pays de la région Asie-Pacifique, nous développons la logistique des transports de la route maritime du nord. La Russie ne cessera d’œuvrer à la diversification des pays destinataires des exportations d’hydrocarbures.