Au Sahel, ce sont les terroristes qui imposent leur agenda aux sécuritaires

© AFP 2024 DAPHNE BENOITMali, opération Barkhane
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Alors que les États du Sahel semblent de plus en plus en difficulté face à une menace djihadiste qui ne cesse de se réinventer, la présence militaire française apparaît inéluctable, nonobstant les critiques qu’elle essuie, sur fond de ressentiment antifrançais croissant dans la région. Analyse.

2019 aura été une année particulièrement éprouvante pour les pays du Sahel harcelés et parfois malmenés par les groupes armés terroristes.

Au Burkina, au Mali et au Niger, les attaques n’ont jamais été aussi meurtrières. Plus d’un millier de personnes – tant du côté des éléments des forces de défense et de sécurité que des civils – ont péri au cours d’offensives toujours plus violentes et hardies. Et les déplacés se comptent par centaines de milliers.

Un temps acculés, les groupes terroristes ont – véritablement depuis 2018 – fait évoluer leurs stratégies, se sont réarmés et ont surtout accru leurs mobilité et leur efficacité.

«Ce sont des groupes qui ont su s’adapter, qui travaillent de façon coordonnée et qui sont très mobiles. Il leur est très facile de se fondre dans la nature puis de se regrouper. Les services de renseignement nationaux sont de ce fait mis à forte contribution. Ils n’ont pas forcément le temps d’anticiper les mouvements de ces groupes et de s’adapter à la menace pour y apporter des réponses. Du coup, ce sont les forces terroristes qui imposent leur agenda aux forces de défense et de sécurité. Elles décident de quand, où et qui elles veulent attaquer», a expliqué au micro de Sputnik Oumarou Koalaga, expert en géostratégie, sécurité et défense.

Dans un contexte sécuritaire où les forces armées nationales, face à la montée en puissance des groupes djihadistes, apparaissent dépassées pour certaines, impuissantes pour d’autres, la France, avec Barkhane, se présente comme un partenaire incontournable.

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Cette montée en puissance de la force de frappe terroriste n’est certainement pas étrangère à l’avènement de combattants venus des bourbiers syrien ou irakien. «Leur présence a été remarquée par certains militaires maliens et burkinabè quand sont apparus sur le terrain des engins explosifs et des tactiques militaires plus sophistiqués», relevait, en novembre dernier pour Sputnik, la spécialiste de l’Afrique de l’Ouest Leslie Varenne.

Qu’il s’agisse d’IED [engins explosifs improvisés, ndlr] plus meurtriers, ou du recours à des cadavres piégés, l’empreinte des djihadistes étrangers ne fait désormais plus de doute, y compris pour l’ONU. Dans un récent entretien à Sputnik, le chef de la Mission de l’ONU au Mali, Mahamat Annadif, s’alarmait de capacités décuplées «de telle sorte qu’il est difficile, même à un véhicule superbement blindé, d’y faire face!».

Les 4.500 soldats de l’opération Barkhane, lancée en janvier 2014, apportent, dans la lutte contre le terrorisme, un appui indispensable reconnu par les dirigeants du G5 Sahel, bien que leur présence a été fortement décriée en 2019 par l’opinion nationale.

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S’il faut à la France, comme l’a rappelé le Président Emmanuel Macron lors de son récent séjour en Côte d’Ivoire, continuer à lutter contre les djihadistes aux côtés de ses partenaires africains afin de se prémunir en amont d’attaques sur son sol, il lui faut également défendre des intérêts dans la région.

C’est cette considération qui, de l’avis du Burkinabè Oumarou Koalaga, par ailleurs spécialiste des relations internationales, contribuent à rendre «tout retrait de la force Barkhane du Sahel non envisageable un seul instant».

«Il y a certes la menace sécuritaire qui est bien réelle, mais il y aussi un jeu d’intérêts sous-jacents de part et d’autre qui a cours au Sahel. Plus que jamais, la France a besoin de Barkhane dans le Sahel pour défendre ses intérêts. Barkhane est aussi là parce qu’elle défend des intérêts vitaux et stratégiques de la France, il ne faut pas l’occulter. Le Sahel est une zone à fort potentiel économique et stratégique reconnu», a expliqué l’expert.
Si les États du Sahel sont pauvres, leur sous-sol n’en demeure pas moins bien garni. Entre or, pétrole, fer, cuivre, uranium et autres, le Sahel regorge de richesses avérées qui ne manquent pas de susciter la convoitise des uns et des autres.

Ces dernières années, au Mali comme au Burkina, la production d’or, encore largement artisanale, s’est considérablement accrue. Selon des chiffres officiels, elle a atteint en 2018 60,8 tonnes et 52,6 tonnes au Burkina. Et bien qu’officiellement l’exploitation d’uranium n’ait pas démarré, il est fait état de la présence de ce minerai dans le sous-sol des deux pays.

Par contre, au Niger voisin, quatrième producteur d’uranium au monde, cela fait des décennies que le minerai est exploité dans des carrières et dans des mines souterraines par plusieurs groupes miniers, principalement par le géant français Orano (ex-Areva).

La thèse d’une France combattant pour ses intérêts économiques a plus que jamais le vent en poupe, sous les cieux africains. Les accusations de «néocolonialisme» qui poursuivent l’ancienne puissance coloniale trouvent d’autant plus d’écho chez les populations sahéliennes que le terrorisme, loin de s’affaiblir, se renforce et ce, en «l’absence d’une véritable stratégie politique sous-tendant l’opération Barkhane», comme le relevait récemment pour Sputnik le chercheur malien Yehia Ag Mohamed Ali.

Tout en se rendant à ce constat, certains balaient d’un revers de la main toute arrière-pensée économique dans l’intervention française au Sahel. Les intérêts français seraient, avant tout, liés à des considérations de sécurité, y compris nationale, les enjeux sécuritaires étant interdépendants. L’universitaire et africaniste Bernard Lugan n’hésitait pas à brandir, récemment, le risque du «chaos total» en cas de retrait de la force Barkhane.

«L’armée française ne combat pas au Sahel pour des intérêts économiques puisque la région totalise moins de 0,25% du commerce extérieur de la France. Elle ne combat pas davantage pour son uranium. Sur les 63.000 tonnes extraites à travers le monde, le Sahel n’en produit en effet que 2900. Quant à l’or du Burkina Faso et du Mali, il est extrait par des sociétés canadiennes, australiennes et turques», relevait Lugan dans sa revue L’Afrique réelle.
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