Il ne fait pas bon travailler pour des médias russes en Estonie, après que des salariés de l’antenne locale de Sputnik aient reçu de lettres les menaçant de poursuites judiciaires s’ils ne cessaient pas de travailler pour leur maison mère, Rossiya Segodnya, avant le 1er janvier 2020.
Pour les 35 salariés de Sputnik Estonia (dont 33 de nationalité estonienne), le choix est simple: démissionner ou encourir la prison. Un ultimatum immédiatement dénoncé comme arbitraire par l’agence, son directeur général, Kirill Vychinski, fustigeant une «commande politique». Des pressions également condamnées par Vladimir Poutine, qui a apporté son soutien aux journalistes victimes des pressions de Tallin. Même ton du côté de la rédactrice en chef de Sputnik et RT, Margarita Simonian, estimant que Sputnik ne se heurtait nulle part ailleurs à autant de problèmes. Celle-ci a appelé la Présidente estonienne Kersti Kaljulaid à empêcher l’arrestation des journalistes.
D’autant plus que ce n’est pas le premier incident avec les autorités du pays balte. Fin novembre, la première journaliste de Sputnik révélait que des employés avaient été convoqués par les services de sécurité. Des déclarations intervenant après que service de presse de l’agence ait relayé que des pressions avaient été exercées sur les banques du pays, par le Bureau de données sur le blanchiment d’argent (RAB) du Département de police et de protection frontalière, afin qu’elles cessent leur collaboration avec Sputnik et que le bailleur des locaux de Sputnik Estonia dénonce unilatéralement le contrat de location.
Des pressions qui n’inquiètent pas qu’en Russie. Dans un communiqué, le secrétaire général de la Fédération Internationale du Journalisme, Anthony Bellanger, a déclaré jeudi 19 décembre,
«Nous sommes préoccupés par la situation actuelle des journalistes de Sputnik en Estonie. Les professionnels des médias devraient être autorisés à exercer librement leurs fonctions, sans menaces d’autorités supérieures. Nous appelons le gouvernement estonien à respecter la liberté de la presse, quelle que soit la nationalité des journalistes.»
Soulignons que l’Estonie n’est pas le seul pays où les journalistes de Sputnik sont entravés dans l’exercice de leur métier. Sputnik et RT sont régulièrement qualifiés d’«organes de propagande» par des membres du gouvernement, jusqu’au Président de la République lui-même, son parti ayant accusé les médias russes d’avoir relayé des «fake news» à son encontre durant la campagne présidentielle, accusations qu’ils se sont gardés d’étayer par des preuves.
Travailler avec nous, une «offense éthique» avait estimé le fondateur de la radio associative auprès de nos confrères, sa radio «diffus [ant] chaque jour la radio d’État russe pour assurer sa survie», comme le résumaient ces derniers.
Le tout moins de trois mois avant les élections européennes, dans lesquelles le gouvernement français craignait une ingérence russe –Médiapart dépeignant un Emmanuel Macron et son entourage direct comme «obnubilés» par une telle éventualité– et moins trois moins après l’adoption de la loi dite «anti fake-news» qui semblait taillée sur mesure pour Sputnik et RT.
En novembre 2019, Sputnik France décroche la 29e position des médias les plus lus en France (devant Libération, le magazine Paris Match, la radio Europe 1 ou encore le site d’investigation Mediapart) et la 4e parmi les médias étrangers, selon SimilarWeb, soit juste au pied d’un podium exclusivement américain, constitué du HuffPost (Verizon) et les deux agrégateurs Yahoo et MSN.