Evo Morales recherché par la Bolivie, mais «n’abandonne pas le combat politique»

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La justice bolivienne a lancé le 18 décembre un mandat d’arrêt pour sédition et terrorisme à l’encontre du Président Evo Morales, exilé depuis peu en Argentine. Sputnik a interrogé Maurice Lemoine, ancien rédacteur en chef du Monde diplomatique et spécialiste de l’Amérique latine, qui dénonce cette décision.

Rififi pour les ex-dirigeants d’Amérique latine: Après l’ancien Président brésilien Lula emprisonné, après l’ancien Président équatorien Rafael Correa exilé en Belgique, voici le Président bolivien Evo Morales, qui a démissionné le 10 novembre dernier, visé par un mandat d’arrêt par le parquet bolivien dans le cadre d’une enquête ouverte pour sédition et terrorisme. Une décision qui a aussitôt été qualifiée d’«injuste» et d’illégale par l’ancien chef d’État.

​Après les nombreuses manifestations qui ont marqué sa réélection, entachée de fraudes, en octobre dernier, Evo Morales a fui la Bolivie pour gagner le Mexique. Le 12 décembre, il est arrivé en Argentine, où il dirige la campagne de son parti, Mouvement vers le socialisme (MAS) pour le prochain scrutin présidentiel prévu pour le mois de mars. Néanmoins, l’ancien Président de la République n’aurait pas le droit de s’y présenter.

Maurice Lemoine a répondu à nos questions. Il est journaliste, ancien rédacteur en chef du Monde diplomatique, et un grand spécialiste de l’Amérique latine. Celui-ci déplore la mise en place d’un «gouvernement de facto» à La Paz et souligne l’immense popularité d’Evo Morales dans le pays, craignant ainsi l’instabilité pouvant déboucher sur une guerre civile.

Sputnik France: Pourquoi la Bolivie a-t-elle lancé ce mandat d’arrêt pour sédition et terrorisme contre Evo Morales?

Maurice Lemoine: «Il se passe le même phénomène que celui qu’on peut observer dans d’autres pays d’Amérique latine, l’utilisation de l’appareil judiciaire pour empêcher un certain nombre de dirigeants d’exercer leurs responsabilités. Je prends trois exemples: vous avez actuellement l’ancien Président équatorien, Rafael Correa, qui vit en Belgique. Il est poursuivi sous vingt-quatre chefs d’accusation absolument ridicules pour la plupart, mais qui l’empêchent de revenir en Équateur pour mener la lutte politique contre son successeur Lenin Moreno.

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Un mandat d’arrêt émis contre Evo Morales en Bolivie
Vous avez eu le cas Lula tout simplement, que l’on a expédié en prison avant l’élection présidentielle pour l’empêcher de se présenter, et vous avez maintenant Evo Morales qui est exilé en Argentine et qu’on en empêche de rentrer au pays. Parce que dès qu’il passe la frontière, on peut l’arrêter.»

Sputnik France: N’y a-t-il pas un risque pour les dirigeants boliviens de victimiser davantage Evo Morales?

Maurice Lemoine: «Il s’agit évidemment d’approfondir la prise de pouvoir illégitime qui a eu lieu en Bolivie, ce qui n’empêche pas d’ailleurs les forces proches d’Evo Morales de s’organiser. Récemment, un certain nombre de dirigeants sont allés le rencontrer en Argentine, étant donné que son mouvement l’a nommé chef de campagne pour une éventuelle prochaine présidentielle. Évidemment, sa non-présence sur le territoire national et le fait que depuis l’Argentine, il ne peut pas mener une activité politique normale, classique dans la mesure où un réfugié politique n’a pas tous les droits dans le pays qu’il accueille, est évidemment un handicap sérieux pour les forces progressistes.»

Sputnik France: Que fait Morales depuis sa démission le 10 novembre?

Maurice Lemoine: «Depuis son départ, il s’est organisé. Il est d’abord allé au Mexique, qui l’a accueilli alors que sa vie était en danger. Puis, précisément pour pouvoir être plus proche des siens, de sa famille politique, il s’est transféré en Argentine. On ne sait pas exactement où il va résider. Certains évoquent la possibilité de la proximité de la frontière bolivienne, d’autres parlent de Buenos Aires. Évidemment, Evo Morales n’abandonne pas le combat politique, dans la mesure où on ne sait pas encore ce qu’il va se passer en Bolivie. Demain ou dans six mois, la situation peut se retourner et Evo est une alternative.»

Sputnik France: Qui dirige actuellement le pays?

Maurice Lemoine: «C’est un gouvernement de facto qui dirige le pays. Actuellement le Président en exercice, c’est Evo Morales, puisqu’il est Président jusqu’au 22 janvier. Pour moi, il y a eu un coup d’État au Brésil. Au Venezuela, on a un Président autoproclamé, Juan Guaido. De la même façon, on a en Bolivie, une Présidente autoproclamée qui s’appelle Jeanine Añez.»

Sputnik France: Y a-t-il un espoir de voir de nouvelles élections?

Maurice Lemoine: «Normalement, les élections sont prévues pour le mois de mars. Donc, il est tout à fait possible qu’elles aient lieu. La question qui se pose, c’est est-ce que les forces qui suivent Evo Morales vont pouvoir disposer de chances légitimes pour se présenter dans la mesure où personnellement, j’imagine assez mal que la droite et l’extrême-droite aient renversé Evo Morales pour laisser son mouvement socialiste, MAS, gagner la prochaine élection présidentielle.»

Sputnik France: Est-il toujours populaire dans son pays?

Maurice Lemoine: «Bien sûr. Ça demanderait un plus long entretien, mais n’oublions pas que d’après un certain nombre d’experts, il a gagné l’élection présidentielle. C’est-à-dire qu’il est encore majoritaire, il y a encore une frange extrêmement importante qui suit Evo Morales.

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Maurice Lemoine n’est pas sûr que «la démission d’Evo Morales évite un bain de sang» en Bolivie
On l’a déjà oublié, mais lorsqu’en dix ans, un gouvernement réduit la pauvreté de 50%, et l’extrême pauvreté de 50%, ça laisse forcément des traces dans le pays. Il y a donc encore toute une population paysanne, indigène y compris, au sein des classes moyennes, qui continue à appuyer non pas Evo Morales en tant qu’individu, mais en tant que symbole de ce qu’ont été les changements en Bolivie ces dernières années.»

Sputnik France: Y a-t-il un risque de guerre civile?

Maurice Lemoine: «De mon point de vue, il y a un risque d’instabilité extrêmement important. N’oublions pas qu’avant l’arrivée au pouvoir démocratique d’Evo Morales, on avait eu cinq Présidents en cinq ans. On a eu là une longue période de stabilité, avec un certain nombre de crises inhérentes à tous les pays, et cette stabilité risque très fort d’être chahutée dans le mois et dans les années qui viennent.»

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