Format Normandie: non, Macron n’a pas «vendu son âme au Méphistophélès Poutine»

© Sputnik . Alexey Droujinine / Accéder à la base multimédiaVladimir Poutine et Emmanuel Macron au fort de Bregançon (19 août 2019)
Vladimir Poutine et Emmanuel Macron au fort de Bregançon (19 août 2019) - Sputnik Afrique
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Dirigeants allemand, français, russe et ukrainien se sont rencontrés le 9 décembre à l’Élysée. Cela faisait trois ans que le Format Normandie, qui cherche une issue au conflit en Ukraine, ne s’était pas réuni. Si la rencontre a été sévèrement jugée dans la presse française, Pierre Lorrain, journaliste et écrivain, se montre plus optimiste.

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Les Présidents russe, ukrainien et français, ainsi que la Chancelière allemande se sont réunis le 9 décembre à Paris pour un sommet au Format Normandie (N4), afin de relancer le processus de paix en Ukraine. Lors de la conférence de presse commune –et tardive– devant 500 journalistes, qui est venue clore cette première rencontre du quatuor depuis octobre 2016, Emmanuel Macron et Vladimir Poutine ont fait part d’une certaine satisfaction.

Bien que des «désaccords sur le calendrier et le phasage» des élections dans le Sud-est ukrainien persistent, le locataire de l’Élysée a notamment souligné une discussion «riche, nourrie, fructueuse», dans la perspective d’aboutir à une solution politique qui permettrait de mettre un terme au conflit qui a déjà coûté la vie à plus de 13.000 personnes. Un conflit dans le Donbass que le Président de la République dépeint comme une «blessure ouverte au cœur du continent européen». Pour sa part, Vladimir Poutine a jugé qu’il s’agissait d’un «travail utile», revenant sur les différents points de la déclaration commune des quatre chefs d’État et de gouvernement présents.

Parmi ces derniers, l’intégration à la législation ukrainienne de la «formule Steinmeier». Du nom de l’ex-ministre allemand des Affaires étrangères et actuel Président fédéral, Frank-Walter Steinmeier, elle définit la procédure pour la tenue d’élections locales, sous contrôle de l’OSCE, tout en suivant les lois ukrainiennes, dans les territoires échappant au contrôle de Kiev. En échange de ce scrutin, la «formule Steinmeier» prévoit l’entrée en vigueur d’un statut particulier pour le Donbass, avec une récupération par l’Ukraine de sa frontière avec la Russie. Comprise dans les accords de Minsk II datant de 2015, celle-ci a été récemment signée par Kiev, ouvrant la voie au dégel des pourparlers de paix et à la rencontre de lundi.

«La stabilité du continent européen et la construction d’une nouvelle architecture de confiance et de sécurité passent par le règlement du conflit dans l’Est de l’Ukraine», a déclaré Emmanuel Macron à la presse.

Du côté ukrainien, le Président Volodymyr Zelensky s’est montré plus circonspect. Il estime notamment «très positive» la reprise de négociations paralysées depuis plus de trois ans. Pour sa première participation au sommet quadripartite depuis son élection fin avril, il s’est entretenu avec Vladimir Poutine, et s’est félicité que «toutes les questions compliquées» aient été abordées. Mais pour Zelensky, cela ne reste «pas assez»: «Évidemment, il y a beaucoup de questions qui restent en suspens, que nous n’avons malheureusement pas réussi à régler aujourd’hui», a précisé le Président ukrainien. Il a par ailleurs insisté sur le fait que «le peuple ukrainien n’acceptera jamais» une fédéralisation du pays ou encore tout renoncement à des territoires, évoquant non seulement le Donbass, mais également la Crimée.

Même son de cloche du côté de la presse française, où l’on juge sans concession le bilan d’une rencontre qui n’«a mis personne d’accord». Avant la rencontre, dans une revue de presse internationale, le service public tricolore reprenait exclusivement les points de vue de la presse ukrainienne, allemande, américaine –ou encore d’opposition russe– pour estimer qu’il n’y avait «pas trop à attendre» de ce sommet, évoquant un «piège pour l’Ukraine» et regrettant le non «respect strict du droit international».

Pierre Lorrain, journaliste et écrivain, spécialiste de la Russie et de l’ex-URSS, auteur notamment de L’Ukraine, une histoire entre deux destins (Éd, Bartillat) revient pour Sputnik sur cette rencontre.

Sputnik: Plus de trois ans après la dernière réunion du groupe de Normandie, les dirigeants allemand, français, russe et ukrainien se sont retrouvés au palais de l’Élysée afin de faire avancer le processus de paix en Ukraine. À l’issue de cette rencontre, Emmanuel Macron et Vladimir Poutine ont fait part de leur satisfaction. Quels sont leurs objectifs qui ont été accomplis lors de ce rendez-vous?

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Pierre Lorrain: «Je crois que pour les Présidents Macron et Poutine, en plus du problème du Donbass, de la paix en Ukraine, il y avait également une volonté de concrétiser les progrès qui ont été faits au cours des derniers mois dans les relations franco-russes. C’était pour eux une manière, grâce à ce Format Normandie de faire comprendre, notamment à la classe politique française, mais également aux différents pays européens, que le rapprochement avec la Russie était sur les rails. Je crois que c’était l’effet annexe, mais qui était tout de même très important pour les deux Présidents.»

Sputnik: Qu’en est-il de la position de Volodymyr Zelensky? Aujourd’hui, des médias français mettaient justement l’accent sur les déclarations «contradictoires» des Présidents français et russe d’un côté et ukrainien de l’autre, quant au bilan de ce sommet quadripartite.

Pierre Lorrain: «Volodymyr Zelensky s’en tire très bien. Il a pris contact avec Vladimir Poutine directement. Ils s’étaient parlé au téléphone à plusieurs reprises, au cours des derniers mois et ces conversations téléphoniques s’étaient toujours très bien passées. Maintenant, cela aurait été un miracle que les points de vue antagonistes depuis cinq ans se rapprochent considérablement. L’Ukraine et la Russie ne s’entendent pas sur les priorités à donner aux différents points des accords de Minsk, elles ont des divergences très sérieuses sur le volet politique. Il aurait été vraiment très surprenant que les points de vue se rapprochent d’une manière radicale à l’issue de ce sommet.

Ce qui est très clair, c’est que ce sommet a permis de régler un certain nombre de points sur le volet militaire et que, là, les progrès sont très importants. Sur le volet politique, les choses sont plus lentes. Pourquoi? Parce qu’actuellement Volodymyr Zelensky en Ukraine dispose d’un capital de confiance considérable de la part de sa population, mais il est attaqué par des groupes nationalistes, par d’anciens Présidents de la République ukrainienne, Petro Porochenko notamment, qui lui reprochent de “capituler” devant les Russes.

Il aurait été très mal vu de sa part de donner des arguments en ne défendant pas une position qui est celle de l’Ukraine, qui est de dire “pas de fédéralisme!”. L’Ukraine n’est pas un État fédéral et ne le deviendra pas. Ce qui ne signifie pas que certaines régions, celle de Donetsk et de Lougansk, mais également d’autres régions à l’Ouest, la Transcarpatie par exemple, ne puissent pas bénéficier de statuts particuliers. Le statut particulier de Donetsk et de Lougansk, qui normalement se terminait le 31 décembre, est prorogé. C’est-à-dire que, déjà, les autorités ukrainiennes ont fait un pas dans la direction d’un rapprochement avec la position voulue par les accords de Minsk, qui est l’inscription dans la Constitution de la particularité des régions de Donetsk et de Lougansk.

Cela ne signifie pas, parce qu’on rajoute dans la Constitution un statut particulier pour les régions, que l’on crée une situation fédérale. De la même manière que ce n’est pas parce que dans certains pays occidentaux, qui ne sont pas du tout fédéraux, on ne puisse pas accorder de statut particulier à certaines régions. En France par exemple, la Moselle et l’Alsace sont sous un statut particulier sur la question religieuse: elles dépendent toujours du Concordat et ça ne pose aucun problème.

Je pense que la solution qui sera trouvée d’ici quatre mois, puisque les quatre chefs d’État et de gouvernement doivent se réunir dans quatre mois pour tirer les enseignements de ce qui s’est passé, c’est qu’il ne sera pas question de fédéralisme, que le processus d’organisation des élections dans les régions litigieuses de Donetsk et Lougansk aura avancé et là, les choses seront différentes, dans la mesure où Zelensky pourra retourner à Kiev en disant “regardez j’ai remplis ma part du contrat, la paix est en train de s’installer, tout se passe bien et nous n’avons pas capitulé sur la question essentielle qu’était celle du fédéralisme”. Je pense que c’est dans cette logique-là qu’il faut voir les choses.

On ne peut pas dire Zelensky a perdu ou Zelensky a gagné à l’issue du premier round d’un match entre plusieurs partenaires qui va durer certainement durant plusieurs mois.»

Sputnik: Vous évoquez les progrès «très importants» concernant la situation sécuritaire dans le Donbass, quels sont-ils? «Le cessez-le-feu a été proclamé à vingt reprises ces cinq dernières années et les vingt fois ce cessez-le-feu a été violé», déclarait Volodymyr Zelensky devant la presse.

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Pierre Lorrain: «Effectivement, mais maintenant il y a une réelle volonté, de part et d’autre, d’en finir. D’une part parce que pour l’Ukraine, il y a eu un changement radical, c’est-à-dire qu’aujourd’hui, il y a une majorité de la population qui est favorable à la paix, à la normalisation des relations avec le grand voisin russe.

De plus, les groupements minoritaires de droite ou d’extrême droite, les milices qui –disons-le– étaient protégées par le précédent gouvernement et qui avait une importance considérable, que l’on voyait de manière très nette dans les combats, mais également dans les manifestations à Kiev, qui défilaient sous des bannières qui rappellent vraiment celles d’une époque que l’on espérait totalement révolue, ces groupements-là n’ont plus la même importance.

Ils sont marginalisés, ils se sont marginalisés eux-mêmes et surtout ils n’imposent plus leur volonté au gouvernement ou à la population. Et là, malgré les rodomontades de certains groupes qui disent qu’ils vont poursuivre les combats, etc., l’armée ukrainienne est disposée à faire le nécessaire pour que les choses se passent bien.

De l’autre côté, malgré certains groupes dans les républiques de Donetsk et de Lougansk qui tirent profit de la situation de guerre pour faire des trafics divers, il y a également une lassitude. Rappelons que Donetsk est une ville de plus d’un million d’habitants. Malgré le fait que beaucoup de personnes se soient réfugié, principalement en Russie d’ailleurs, il y a énormément d’habitants à Donetsk. Ils aspirent à la paix, ils aspirent à ne plus subir les bombardements, ne plus avoir des proches se faire tuer.

C’est très important, car la lassitude est des deux côtés. Aussi bien, les Ukrainiens aspirent à en finir, aussi bien les populations et les responsables de Donetsk et de Lougansk sont-ils disposés à accepter une solution à partir du moment où elle leur accorde, non pas l’autonomie –comme l’Écosse au Royaume-Uni ou la Catalogne en Espagne–, mais une forme d’autonomie qui leur permette simplement de parler leur langue, d’avoir leur culture et de ne pas avoir un État centralisateur qui essaie d’imposer à toute force une nationalité ukrainienne qui, dans les faits et dans cette région-là particulièrement, n’existe pas vraiment.»

Sputnik: Pour en revenir à l’évolution sur le volet politique, à en croire les déclarations d’Angela Merkel, d’ici la prochaine rencontre au Format Normandie à Berlin, les conseillers des ministres des Affaires étrangères «auront discuté des dispositions à la fois politiques et sécuritaires et défini les conditions nécessaires à la tenue d’élections locales.» Espérer une avancée significative sur la tenue d’élections dans le Donbass, d’ici mars, vous paraît-il un objectif réaliste?

Pierre Lorrain: «Oui, à partir du moment où la feuille de route est acceptée, c’est-à-dire la formule Steinmeier, qui normalement aurait dû être acceptée par Kiev en 2015: c’était dans les accords de Minsk. L’une des formules qui devaient parvenir à un règlement était celle mise en avant par le ministre allemand des Affaires étrangères Frank-Walter Steinmeier, qui est aujourd’hui Président de la République fédérale. Même si c’est un titre purement représentatif il a tout de même son importance. Pour lui, c’est quelque chose de très important que sa formule puisse réussir. D’où le fait qu’Angela Merkel, malgré sa position un peu délicate vis-à-vis de la politique intérieure, insiste également avec le Président Macron sur l’avancée dans ce sens-là.

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Et à partir du moment où la France et l’Allemagne sont d’accord pour que cela avance, à partir du moment où la Russie est également disposée à accepter cette formule Steinmeier, qui prévoit que les élections auront lieu sous contrôle international et selon les règles électorales ukrainiennes, c’est-à-dire qu’il y a pour l’Ukraine une sécurité. Ce ne sont pas des élections fantoches, il y aura des candidats, des candidats de tous les bords, et elles devraient être transparentes. Donc à partir de ce moment-là, l’organisation d’élections dans ces conditions ne présenterait pas réellement de problèmes, même si sur le terrain, il risque d’y avoir des obstructions. À partir du moment où tous les partenaires sont disposés à avancer, je pense que d’ici le prochain sommet à Berlin, où ces élections seront déjà faites où elles seront en bonne voie d’accomplissement.»

Sputnik: Pour conclure, dans la presse française on évoque un rendez-vous qui «confirme le virage prorusse» entamé depuis plusieurs mois par la diplomatie française. Êtes-vous d’accord avec cette analyse?

Pierre Lorrain: «Je crois que la diplomatie française n’est pas prorusse ni antirusse, je crois qu’aujourd’hui, le Président de la République française est devenu comme l’étaient certains de ses prédécesseurs, un adepte de la realpolitik. C’est-à-dire que dans la situation géopolitique actuelle, en Europe et dans le monde, il est indispensable pour un pays comme la France de revenir aux principes que l’on appelle gaullo-mitterrandiens, mais qui sont des principes essentiellement gaullistes, d’indépendance nationale, d’équilibre entre les différents blocs qui peuvent exister et surtout un principe de bon sens.

Pendant tout le mandat de François Hollande, la Russie était considérée par la diplomatie française, comme par la diplomatie de certains autres pays européens, comme un ennemi. Aujourd’hui, Emmanuel Macron l’a dit très clairement, la Russie n’est pas l’ennemi. Donc, on tire les enseignements, on négocie, on se rapproche, on fait des échanges, parce que c’est ça la politique! Chacun défend ses intérêts, la Russie n’empêche personne de défendre ses intérêts et de même elle n’a aucunement l’intention qu’on lui interdise de défendre les siens.

À partir du moment où Emmanuel Macron et Vladimir Poutine sont sur la même ligne, ils peuvent avoir des divergences, il n’y a pas un rapprochement extraordinaire entre la France et la Russie. Ce qu’il y a aujourd’hui, c’est la prise en compte du fait que pour négocier, il faut se voir, il faut se réunir, il faut parler et que c’est comme ça que l’on résout les problèmes.

Et je crois qu’aussi bien Emmanuel Macron que Vladimir Poutine ne seraient pas mécontents de voir se profiler à l’horizon de la fin du mandat d’Emmanuel Macron une grande conférence européenne avec éventuellement les partenaires américains et canadiens pour régler les problèmes de sécurité en Europe et dans l’hémisphère Nord, comme la conférence d’Helsinki en 1975 avait réussi à régler pas mal de problèmes. C’est ça l’objectif final du rapprochement que l’on perçoit entre les positions françaises et russes, mais je ne pense pas qu’il y ait un alignement quelconque ou que Macron ait vendu son âme à un Méphistophélès qui serait Poutine, ce n’est pas cela du tout.»

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