Un édito de Jacques Sapir à retrouver en podcast dans l’émission Russeurope Express du 7 décembre.
Les grèves multiples, dans le secteur des transports, mais aussi de la fonction publique, des services, et dans les entreprises, concentrent en elles toute la colère qu’Emmanuel Macron et son gouvernement ont réussi, à tort ou à raison, à accumuler contre eux.
La véritable égalité passe souvent par une inégalité apparente
La raison initiale est donc le refus de la réforme des retraites. Cette dernière prétend aller vers plus d’égalité en supprimant ce que l’on appelle les «régimes spéciaux», et vers plus de pérennité, car à en croire le gouvernement, le déficit actuel du régime des retraites serait tout bonnement insupportable.
Mais ce déficit a en réalité été creusé par ce même gouvernement, qui a réduit les cotisations pour offrir, dit-il, du pouvoir d’achat aux Français. En réalité, et à parler un peu vulgairement, il a «fait les poches» du système des retraites et prétend maintenant en tirer argument pour imposer sa propre réforme. La manœuvre est un peu grosse. On savait Édouard Philippe ficelle… désormais, on voit la corde!
Jacques Sapir et Clément Ollivier reçoivent Henri Sterdyniak, cofondateur des Économistes atterrés et chercheur à l’OFCE, Nicolas da Silva, maître de conférences en économie à Paris 13, spécialiste de la santé et de la protection sociale, et Stéphane Sirot, historien du syndicalisme et des mouvements sociaux, professeur à l’université de Cergy-Pontoise.
L’autre argument est celui de l’égalité. En supprimant les régimes spéciaux, on rendrait le système des retraites plus lisible et plus juste. Mais a-t-on simplement réfléchi au pourquoi de la constitution de ces fameux régimes spéciaux?
Nous ne travaillons pas tous dans les mêmes conditions. Certains travaux sont particulièrement pénibles, que ce soit physiquement ou nerveusement. Par ailleurs, certains régimes de retraite qui semblent en apparence avantageux sont parfois la contrepartie de rémunérations salariales plus faibles. Bref, s’il y a une multitude de cas qui, c’est vrai, rendent difficile une lecture globale du système des retraites, c’est aussi parce qu’il y a dans la vie réelle - mais oui, cette réalité qui semble bien étrangère aux technocrates qui réfléchissent dans leur bulle -, une multiplicité des situations. La véritable égalité et bien souvent obtenue par une inégalité apparente.
Vers l’«acte 2» de la contestation sociale?
Alors, que ce soit au travers du fameux «âge pivot» ou de toute autre invention, les Français ont bien compris que le but de la réforme était de les faire travailler plus longtemps et, dans de nombreux cas, pour des pensions moindres. Or, si l’espérance globale de vie s’est beaucoup accrue ces dernières années, il n’en va pas de même pour l’espérance de vie dite «en bonne santé». C’est pourtant bien cette dernière qui doit ici être prise en considération. C’est elle qui démontre que les travailleurs arrivent aujourd’hui épuisés à l’âge de la retraite.
Mais il y a plus dans cette grève. Elle est aussi la manifestation d’une immense colère sociale qui monte des tréfonds du pays. Le nombre de catégories de travailleurs où cette colère déborde, des paysans aux travailleurs des hôpitaux, des enseignants aux salariés de la RATP et de la SNCF (auxquels, il convient de le rappeler, l’inspection du travail vient de donner raison quant à la présence d’un contrôleur à bord de certains TER), promet d’en faire une mobilisation très particulière.
Les directions syndicales le sentent, et font tout pour garder le contrôle sur ce mouvement. Mais à l’impossible nul n’est tenu. On peut penser que cette grève aura des conséquences, voire pourrait se transformer en un mouvement social s’installant dans la durée. Un an après le début de la crise des Gilets jaunes, et alors que cette dernière est loin d’être terminée, s’ouvre sans doute avec le 5 décembre l’«acte 2» de la contestation sociale.
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