Depuis le 18 juin, un million de Français ont signé en faveur du projet de referendum d’initiative partagée à propos de la privatisation d’Aéroports de Paris. Partie sur des chapeaux de roue, la mobilisation a peu à peu décru pour n’atteindre ce chiffre symbolique que le 4 décembre, selon le décompte du Conseil constitutionnel.
Le succès est à relativiser, car de nombreux Français déclarent soutenir l’initiative: ils étaient en avril dernier 48% à vouloir voter contre cette privatisation. Le 20 novembre dernier, le dernier pointage réalisé par les Sages comptabilisait 31.500 soutiens de moins. Sauf recrudescence massive des votes, le seuil fatidique de 4,7 millions de signatures, soit 10% des électeurs inscrits, requis au 12 mars 2020 pour lancer le referendum, ne devrait pas être franchi. Seul espoir de voir cette procédure enclenchée, qu’Emmanuel Macron ne fasse marche arrière, impressionné par cette opposition massive. C’est ce que voudrait croire Boris Vallaud, député et porte-parole du Parti socialiste, interpellant immédiatement le Président de la République, pour lui rappeler ses engagements sur la réforme du referendum d’initiative partagée:
Bonjour @EmmanuelMacron ! Vous demandiez 1.000.000 de signatures pour un référendum ? Nous y sommes aujourd'hui pour le référendum d'initiative partagée sur la privatisation d'Aéroports de Paris : 1 million de Françaises et de Français ont signé. Chiche ? #ADP pic.twitter.com/vuCiIoz0FJ
— Boris VALLAUD (@BorisVallaud) 4 décembre 2019
Contactés par l’AFP, les constitutionnalistes Dominique Rousseau et Didier Maus ont confirmé que le locataire de l’Élysée peut tout à fait légalement prendre l’initiative d’un referendum sur la question. Sputnik a interrogé l’un des premiers soutiens de ce referendum d’initiative partagée, l’initiateur d’une pétition contre la privatisation d’ADP, David Cayla, économiste à l’université d’Angers. Il décrypte ainsi les raisons de ce paradoxe, un fort soutien populaire, mais qui ne se traduit pas dans les signatures.
Sputnik France: Pensiez-vous atteindre ce chiffre d’un million de signatures?
David Cayla: «On l’espérait. On espérait même atteindre les 4,7 millions de signatures du RIP. Pourquoi? Parce que dans les sondages, la très grande majorité des Français sont opposés à la privatisation d’ADP. Si une majorité des Français était opposée à la privatisation d’ADP, le RIP étant une procédure nouvelle, on avait peu de visibilité sur cette procédure, mais on savait qu’une pétition pouvait tout à fait atteindre en France deux millions de signataires. Vu que c’était légal et consensuel, on espérait que ça avait un impact dans la vie politique et donc atteindre les 4,7 millions pour organiser le RIP.»
Sputnik France: Pensez-vous que le gouvernement puisse reculer et annuler la privatisation?
Sputnik France: Comment expliquer la disproportion entre le fort soutien populaire, visible dans les sondages, et le succès relatif des signatures?
David Cayla: «Il y a plusieurs raisons. La première, c’est l’absence totale de soutien gouvernemental ou du Conseil constitutionnel. Théoriquement, la possibilité d’organiser un referendum d’initiative partagée est dans la Constitution. C’est donc un dispositif légal, c’est une expression citoyenne. Donc théoriquement, le gouvernement devrait encourager l’expression citoyenne de la même façon qu’il fait des campagnes pour le vote et pour le Grand débat. On en a beaucoup parlé. Or là, c’est le mutisme le plus total de la part du gouvernement, soutenu en cela par le Conseil constitutionnel, qui a même refusé qu’on puisse concevoir des spots de publicité dans l’espace médiatique pour favoriser le RIP. Le spot de Jean-Luc Mélenchon, c’est bien, mais ce n’est pas censé être ça.
La @Franceinsoumise
— Jean-Luc Mélenchon (@JLMelenchon) 4 décembre 2019
offre un clip et 2 minutes de son temps de parole officiel à la campagne contre la privatisation d'ADP (https://t.co/QWwyaV802m).#1millionADP #ADP #ReferendumADP
➡️ Signez sur : https://t.co/d5PoDT4jIR pic.twitter.com/t1KRW6gp0s
Normalement, on devrait avoir un soutien pour toute expression démocratique. L’État devrait soutenir, or il ne le fait pas. Récemment, j’ai tenu des tables pour favoriser les signatures du RIP. Ce que je constate, c’est que la majorité des gens ne connaissent pas le RIP, ils ont pu le connaître au moment où ça a pu être médiatisé au printemps et au début de l’été. Maintenant, on est retombé dans l’oubli. Par ailleurs, le système de signatures est assez complexe, même s’il n’est pas impossible à faire. Tout ça ne facilite pas les signatures. Il y a énormément de données qui sont demandées, ça peut freiner un certain nombre de personnes.»
Sputnik France: Est-ce également de la responsabilité des partis politiques?
David Cayla: «Il y a aussi une autre raison, c’est que les partis politiques qui sont assez nombreux à avoir organisé ce RIP, puisque ça va de la droite jusqu’à la gauche, voire l’extrême-gauche. Donc le front contre la privatisation est très large, il concerne quasiment tous les partis politiques, sauf la République en Marche. Mais ces partis politiques ont du mal à communiquer auprès du grand public.
Certes, ils distribuent des tracts, mais ça ne suffit pas. On ne peut réussir le RIP en distribuant des tracts. Ce qu’il faut faire, c’est mettre une table et attendre que les gens viennent et discuter, aller à la rencontre des gens. Les réseaux sociaux et les meetings, l’organisation politique traditionnelle, ne touchent qu’une frange très faible de la population et des électeurs qui pourraient voter pour le RIP.»
Sputnik France: Revenons au fond du problème avec l’économiste que vous êtes. La privatisation d’ADP ne serait-elle pas rentable pour l’État?
David Cayla: «Non, la privatisation n’est pas une bonne opération financière pour l’État, puisque c’est une entreprise qui fait beaucoup de bénéfices, qui verse pratiquement 200 millions d’euros de dividendes chaque année. Ce qui correspond quasiment à la somme qu’entend récupérer l’État pour financer l’innovation de rupture en plaçant le produit de la privatisation sur un fonds financier et qui ne tient pas compte du fait qu’ADP est une entreprise en croissance et qui utilise l’essentiel de ses recettes pour réinvestir. Il y a donc tout un gain dont l’État bénéficie et dont il ne bénéficiera plus. Il est clair que les dividendes sont amenés à augmenter, avec ces investissements qui vont eux-mêmes augmenter. Donc l’État perdra de l’argent de cette privatisation, c’est bien là le problème.»