Les cartels mexicains investissent le Canada: «ces groupes n’ont plus d’intermédiaires»

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Un chien renifleur à la frontière canadienne. - Sputnik Afrique
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Les cartels mexicains seraient-ils de plus en plus actifs au Canada, et plus particulièrement au Québec? Les autorités canadiennes en sont convaincues. Pour Maria Mourani, criminologue réputée, l’absence d’intermédiaires entre ces cartels et les revendeurs de drogue, un phénomène nouveau, explique leur présence accrue. Entrevue.

En juillet 2019, le Service Canadien de Renseignement Criminel (SCRC) avertissait qu’une vague de crimes liés aux cartels mexicains pourrait rapidement toucher le Canada. Sans anticiper de période précise, cette organisation mettait en garde contre des groupes qui voudraient bientôt séjourner au pays afin «d’éliminer la concurrence».

«Un nombre anormal d’importateurs de cocaïne de haut niveau du Canada qui entretiennent des liens avec les cartels mexicains [...] ont été tués dernièrement au Mexique et au Canada», peut-on lire dans un récent rapport de cet organisme relevant de la Gendarmerie royale du Canada.  

Le SCRC reliait notamment la mort par balles du Canadien Philipos Kollaros, à Montréal, à un règlement de comptes impliquant des narcotrafiquants mexicains. Connu des autorités canadiennes, Kollaros était l’ex-client du numéro 1 du cartel de Sinaloa, Joaquin Guzman, alias «El Chapo». Ces derniers mois, au moins trois narcotrafiquants canadiens ont aussi été assassinés au Mexique.

Incidents violents en vue

Pour Maria Mourani, criminologue réputée, il est tout à fait possible que des cartels mexicains tentent actuellement d’étendre leur emprise au pays de l’érable. Auteur de Gangs de rue inc.: leurs réseaux au Canada et dans les Amériques ou de Milena Di Maulo –Fille et femme de mafiosi (tous deux aux Éd. de l’Homme), elle rappelle d’ailleurs que l’importation de drogue– en particulier de cocaïne et méthamphétamine– en provenance d’Amérique latine est loin d’être nouvelle au Canada. Le SCRC note d’ailleurs dans ce rapport que «presque toute la cocaïne» importée au Canada provient du Mexique et de la Colombie.

«Le phénomène remonte déjà à loin. L’ancien parrain de la mafia italienne de Montréal, Vito Rizzuto, faisait beaucoup affaire avec le Venezuela. [...] Les cartels latino-américains font depuis longtemps affaire avec les groupes du crime organisé canadien, mais c’est la chaîne d’approvisionnement qui a changé.
Les groupes criminels canadiens étaient auparavant les grossistes des cartels latinos. Maintenant, les cartels latinos tendent à devenir ici même les grossistes au lieu d’agir simplement à titre de fournisseurs», analyse Maria Mourani au micro de Sputnik.

Mme Mourani observe que la déstructuration des réseaux mafieux à Montréal a favorisé l’entrée des cartels latino-américains, ce qui pourrait expliquer le meurtre passé ou à venir de certains individus.

«Le vide créé par le désordre actuel dans la mafia montréalaise pourrait avoir convaincu certains groupes de venir directement sur le territoire canadien. [...] Le Canada est un grand producteur de méthamphétamine, mais les Mexicains ont peut-être pris le relais.
[...] Le marché est comme un être vivant: il bouge beaucoup et se transforme en fonction des alliances. Actuellement, c’est le bordel dans la mafia italienne. Il n’y a plus de parrain pour faire des importations massives de cocaïne de Colombie, du Venezuela, du Mexique et d’ailleurs», poursuit la criminologue.

En novembre dernier, le directeur de la section new-yorkaise de la Drug Enforcement Administration (DEA), Ray Donovan, déclarait dans une entrevue au Journal de Montréal avoir assisté à l’expansion des cartels mexicains au Canada. Une découverte qu’il aurait faite ces dernières années en démantelant le réseau d’«El Chapo», et qui l’aurait mené jusqu’à Montréal. Le Président américain, Donald Trump, a d’ailleurs récemment annoncé son intention d’ajouter les grands cartels mexicains sur la liste du Département d’État désignant les organisations terroristes.

«On commence à parler davantage des cartels latinos dans les médias, car ils doivent être plus présents sur le territoire. Ces groupes n’ont plus d’intermédiaires: ils font directement affaire avec des groupes sur le terrain. En revanche, ce n’est pas nécessairement plus simple pour eux, car ils doivent eux-mêmes punir les mauvais payeurs et récolter. Ils doivent eux-mêmes régler leurs comptes», précise Mme Mourani.

Le 22 mai dernier, le bureau d’enquête de TVA Nouvelles indiquait que «plus de 200 importateurs, facilitateurs et tueurs à gages» liés aux cartels latino-américains opéreraient «en toute liberté au Québec».

Selon les journalistes, la plupart des membres de ces groupes seraient entrés au Canada munis de faux passeports mexicains. Maria Mourani nuance toutefois le constat fait par cet important réseau d’information. La présence d’autant de membres de ces cartels alimenterait des tensions beaucoup plus vives entre criminels que celles observées actuellement dans la métropole québécoise:

«Il faut quand même préciser que les cartels latinos n’ont encore jamais réussi à détrôner complètement les motards, la mafia, les gangs de rue et autres organisations criminelles bien implantées ici. Même les MS13 [les membres de l’organisation criminelle Mara Salvatrucha originaire du Salvador, ndlr] n’ont pas réussi ce coup.
[...] Il y a un épiphénomène à surveiller, mais les cartels latinos ne peuvent quand même pas débarquer à Montréal et tasser tous les autres, sans quoi ce sera la guerre civile dans les rues», a conclu Maria Mourani.
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