Taha Bouhafs, journaliste de terrain pour l’émission La-bas si j’y suis, connu pour ses engagements militants, est aujourd’hui la cible d’un tract du syndicat de police Alliance du 94. Le slogan «Haine anti-flic: Taha Bouhafs a la rage», accompagné d’une photo de chien enragé, illustre le document. Le syndicat a publié le tract après que le reporter ait divulgué sur Twitter le nom du policier qui l’avait interpellé en juin dernier à Alfortville, suivi d’une photo de l’arrestation musclée, attisant la colère de ses collègues policiers.
«Que Taha Bouhafs sache que notre collègue n’est pas seul, et qu’Alliance Police nationale est à ses côtés!»
Les tensions entre le journaliste et les forces de l’ordre remontent à juin dernier. Alors qu’il couvre une manifestation de soutien à des travailleurs sans-papiers à Alfortville, Taha Bouhafs est interpellé et son matériel confisqué. Il dénonce la violence de son interpellation, qui lui vaut dix jours d’incapacité totale de travail (ITT) et trois semaines d’arrêt de travail. Il a alors porté plainte pour «violences par une personne dépositaire de l’autorité publique».
Une arrestation qui avait suscité l’indignation dans le monde de la presse. Plusieurs sociétés de journalistes, comme celles de l’AFP, Les Échos ou Libération ont dénoncé une nouvelle atteinte à la liberté de la presse et un ras-le-bol général d’être pris pour cibles par les forces de l’ordre dans l’exercice de leur métier.
M. Bouhafs a dénoncé ce tract qui le vise personnellement et qui le met gravement en danger, estime-t-il. Depuis des mois, le journaliste est la cible de menaces de personnes se présentant comme policiers sur Twitter et a entamé de nombreuses procédures judiciaires qu’il ne peut plus assumer financièrement, dit-il. C’est pourquoi il a lancé une cagnotte qui a rassemblé plus de 14.400 euros en cinq jours.
Si sa dénonciation nominative d’un policier a choqué le syndicat Alliance, Taha Bouhafs n’est apparemment pas dans l’illégalité. Comme l’indique CheckNews, l’arrêté du 7 avril 2011 relatif au respect de l’anonymat de certains fonctionnaires de police et militaires de la gendarmerie nationale ne prend pas en compte les policiers de la brigade anticriminalité (BAC), dont fait partie le policier qu’accuse M. Bouhafs.
Tahas Bouhafs et policiers à couteaux tirés
Contacté par le site de fact-checking, le Service d’Information et de Communication de la Police nationale (SICOP) affirme que si le reporter avait insulté ou menacé l’agent, alors ce dernier aurait pu porter plainte pour outrage, mais pour le moment, aucune plainte ne leur est parvenue.
«La cause de leur colère? Avoir dénoncé mon agresseur. En plus de l’impunité, ils voudraient aussi l’anonymat», fustige Taha Bouhafs dans son tweet.
Un anonymat réclamé par les gardiens de la paix chez qui l’inquiétude monte: ils se voient menacés et parfois agressés jusqu’à leur domicile. L’assassinat du couple de policiers de Magnanville en juin 2016, chez eux, reste encore en mémoire dans la police, créant un dangereux précédent.
À l’inverse, leurs détracteurs dénoncent activement les violences policières, notamment depuis le mouvement des Gilets jaunes et la réponse au tract d’Alliance ne s’est pas fait attendre:
«Nous, reporters de terrain, avons décidé, face à l’urgence dans laquelle nous place la répression, de constituer le collectif “REC”– Reporters En Colère.»
Dans un communiqué, ce collectif dénonce d’abord la répression que subissent les journalistes de terrain dans le cadre de leur travail, la précarité, mais aussi les blessures morales et physiques auxquelles font face bon nombre d’entre eux. Reprenant les mots du tract d’Alliance soutenant le policier, le Collectif soutient quant à lui Taha Bouhafs:
«Taha n’est pas seul, nous sommes à ses côtés! Nous nous battrons pour le droit d’informer. Comme nous serons aux côtés de tous les reporters qui subissent la répression.»
Nous, Reporters de terrain, avons décidé (enfin), face à une répression sans précédent, de constituer ce collectif.
— Reporters En Colère 🔴 (@REC_Collectif) November 25, 2019
Notre communiqué de presse, ici. #ReportersEnColere#Droitdinformer#TahaNestPasSeul pic.twitter.com/xwZMOBGuyD
À couteaux tirés, policiers et reporters pourraient pourtant bientôt se retrouver côte à côte. Alors que Reporters en Colère annonce sa présence et son soutien lors de la grève du 5 décembre, Alliance et UNSA ont lancé un dernier avertissement au gouvernement: sans réponse de sa part, les syndicats de police s’allieront eux aussi au mouvement de jeudi contre la réforme des retraites.