Deux jours avant la fin du Grenelle des violences conjugales, on apprend que début octobre, une femme de 30 ans est décédée en Seine-Saint-Denis des suites d’un étranglement, après avoir passé près d’un mois dans le coma. C’est la 137e victime de féminicide depuis le début de l’année 2019, selon le collectif «Féminicides par compagnons ou ex», la 116e, d’après BFMTV. En 2018, 121 femmes ont été tuées par leur conjoint ou ex-compagnon, selon le ministère de l’Intérieur. Son conjoint est encore en fuite.
Deux raisons peuvent expliquer de tels écarts: l’absence de base unique de recensement et le contenu flou de ce que l’on entend par «violences domestiques». Selon les statistiques présentées par le Procureur général, cités par le quotidien Izvestia, au cours des onze premiers mois de 2018, il y a eu 7.900 meurtres et tentatives de meurtre et 21.600 blessures intentionnelles.
«Nous constatons que nous ne connaissons pas la situation réelle et ne pouvons donc l’analyser. Nous oscillons d’un chiffre à l’autre. Les activistes sociaux donnent un chiffre, les organes d’application de la loi n’en donnent aucun. Faisons face à tout cela et créons ensemble quelque chose pour protéger les femmes des violences domestiques»,
a déclaré en juillet dernier Valentina Matvienko, présidente de l’Assemblée fédérale de la Fédération de Russie, lors de la présentation du rapport de la commissaire aux droits de l’homme.
En marge du Forum des femmes pour l’économie et la société (Women’s Forum for the Economy & Society, WEFCOS), qui vient de clore ses travaux à Paris, Sputnik a interrogé Galina Karelova, vice-présidente de l’Assemblée fédérale russe, à propos des violences conjugales en Russie.
«Les statistiques fiables, c’est l’une de nos préoccupations, assure à Sputnik Galina Karelova, et nous avons demandé au gouvernement de trouver un moyen d’obtenir des chiffres à travers les comptes-rendus des différents départements impliqués. Il n’y a que le ministère de l’Intérieur qui possède des chiffres concrets dignes de foi.»
Le ministère de l’Intérieur russe a répondu immédiatement à la demande de Sputnik:
«Selon les formulaires de déclaration statistique du ministère des Affaires intérieures de la Russie, en 2018 dans la Fédération de Russie, 21.390 crimes dans le domaine de la famille et des relations domestiques ont été commis à l’encontre de femmes. Et entre janvier et septembre 2019, on compte 15.381 crimes», mentionne le document, sans détailler le type de crimes.
Plusieurs cas particulièrement cruels et très médiatisés ont mobilisé l’opinion publique russe, notamment pour lancer une pétition pour l’adoption d’une loi contre les violences domestiques, ou encore un flash mob #JeNeVoulaisPasMourir, lancé par des blogueurs très populaires.
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Dans le rapport annuel de la Banque mondiale intitulé «Les femmes, les entreprises et la loi, 2018», publié le 23 avril dernier, la Russie –ainsi que de 36 autres États– figurait sur la liste des pays souffrants d’une législation imparfaite pour protéger les femmes de la violence.
«En Russie, nous avons la ferme intention de régler ce problème et de créer un système de prévention de violences familiales, insiste Galina Karelova. Nous travaillons avec un groupe d’experts, ainsi qu’avec un groupe de députés de la Douma sur la mise en forme définitive de la loi [sur les violences domestiques, ndlr].»
La vice-présidente de l’Assemblée fédérale russe souligne la nécessité de «tenir compte du fait que la société russe est traversée par des opinions diamétralement opposées» et cite «des centaines des lettres venant d’organisations, notamment féministes, qui font pression à ce sujet», contrecarrées par «une lettre collective des 180 organisations qui s’opposent à l’adoption de la loi».
«Notre objectif à ce jour est de traiter d’une manière délicate tous les aspects de cette loi, pour créer un système de prévention de violences efficace, allié à la non-ingérence dans la vie interne de la famille», souligne Galina Karelova.
«Dans certaines régions de la Russie, ils existent des lois ou des réglementations dans ce domaine, détaille Galina Karelova. Quand on recense des chiffres de violences dans les régions, on se retrouve avec les mêmes chiffres que ceux du ministère de l’Intérieur. Sur la base des statistiques de 2018, la différence énorme citée par les ONG n’a pas été confirmée.»
«On comprend leur point de vue et on cherche à collaborer, rassure Galina Karelova. Il n’est pas certain que nos propositions satisferont tout le monde sur tous les points, puisqu’on a non seulement besoin d’une loi de base pour la prévention des violences familiales, mais également de modifications de certains articles du Code pénal.»
Il y a quelques jours, le groupe sénatorial de travail, qui comprend également des représentants de la société civile, a adopté un certain nombre d’amendements à la loi sur la violence domestique. Notamment, les députés ont précisé le contenu du terme «harcèlement» et ont également suggéré que les organisations publiques ne devraient pas avoir le droit de faire appel aux forces de l’ordre sans le consentement de la victime.
Une discussion autour de la première lecture de la loi se prépare.
«Toute victime a le droit d’être protégée. Ou mieux encore, que le système de prévention fonctionne pour ne pas avoir de victimes», conclut Galina Karelova.