Justin Trudeau, le Premier ministre canadien, vient de désigner les nouveaux membres de son cabinet ministériel. Réélus sans majorité parlementaire le 21 octobre dernier, les Libéraux se disent prêts à entamer leur mandat.
Avec le changement de titulaire aux Affaires étrangères, une nouvelle ère vient-elle de s’ouvrir en la matière? Chercheur à l’Université de Montréal et ex-conseiller du ministre des Affaires étrangères Stéphane Dion en 2016-2017, Jocelyn Coulon livre son analyse à Sputnik.
Sputnik France: L’ex-ministre des Infrastructures, François-Philippe Champagne, vient d’être nommé aux Affaires étrangères. Quels sont ses principaux défis?
Jocelyn Coulon: «L’héritage du premier mandat de Trudeau est quand même une mauvaise relation avec les quatre grandes puissances mondiales que sont les États-Unis, la Russie, la Chine et l’Inde. Il y a un effort considérable à faire pour rétablir les ponts avec au moins trois de ces quatre grandes puissances: la Russie, la Chine et l’Inde. Le défi de M. Champagne consiste donc à rétablir le dialogue et le contact avec ces pays. Il faut savoir parler à tout le monde. Le Canada doit réapprendre l’art de la diplomatie.
[…] Si les Américains sont capables de négocier avec les talibans en Afghanistan, pourquoi les Canadiens seraient-ils incapables de le faire avec la Russie?
Concernant la relation du Canada avec les États-Unis, elle n’est pas si mauvaise, mais il faut rappeler que la signature du nouveau traité de libre-échange s’est faite à l’avantage des Américains et sous leurs conditions. L’accord final n’a d’ailleurs pas encore été ratifié. Cette histoire n’est pas terminée.»
Sputnik France: L’ex-ministre des Affaires étrangères, Chrystia Freeland, hérite du ministère des Affaires intergouvernementales et du poste de vice-Premier ministre. S’agit-il pour elle d’une promotion ou d’une rétrogradation, dans le contexte où elle devra contrer la menace sécessionniste des provinces de l’Ouest?
Jocelyn Coulon: «C’est une promotion importante. Un strapontin pour ses ambitions de devenir chef du Parti libéral du Canada et prochain Premier ministre. De nombreux observateurs s’entendent pour dire que son parcours témoigne de cette ambition.»
Sputnik France: Quel est le bilan, l’héritage de Mme Freeland aux Affaires étrangères (2017-2019)?
Jocelyn Coulon: «Le bilan de Mme Freeland est contrasté. L’accord de libre-échange avec l’Europe se fait au détriment des Canadiens et celui sur l’Amérique du Nord n’est pas encore définitif. Les Casques bleus au Mali ont été retirés rapidement, malgré une demande pressante de l’Onu de rester. Il y a une initiative positive afin de dénouer la crise au Venezuela. Il reste qu’après un premier mandat, le Canada entretient des relations exécrables avec l’Inde, la Chine et la Russie. Il faut que cela change.»
Sputnik France: Vous avez déjà souligné que la politique étrangère avait été la grande absente de la dernière campagne fédérale. À quelles grandes orientations peut-on s’attendre en la matière avec l’arrivée du ministre Champagne?
Jocelyn Coulon: «Cela va dépendre de la marge de manœuvre que le Premier ministre va lui accorder. Mme Freeland est maintenant vice-Premier ministre: elle va donc certainement avoir son mot à dire sur les orientations de politique étrangère.
[…] Chose certaine, François-Philippe Champagne est un pragmatique et non un idéologue comme Chrystia Freeland... Il devrait donc se concentrer sur ses dossiers de manière assez rigoureuse. C’est un politicien qui réfléchit en termes de résultats. Le nouveau ministre devrait toutefois éviter de tweeter constamment. La diplomatie du tweet n’a pas très bien servi le Canada. Il vaudrait mieux laisser cette technique à Donald Trump, qui en est un expert.»
Sputnik France: L’ancien chef des services secrets canadiens, Richard Fadden, a récemment dressé un bilan très négatif de la vision canadienne des relations internationales. Selon lui, le Canada ne prend pas acte des grandes transformations de la scène internationale. Partagez-vous son avis?
Jocelyn Coulon: «Oui, tout à fait. Fadden a une bonne lecture des événements, mais elle est partielle. Il pointe du doigt les puissances russe et chinoise, mais oublie de dire que les Occidentaux portent une lourde responsabilité dans la dégradation des relations internationales. La fragilisation des accords de désarmement est une des causes de la dégradation des relations internationales. Dès lors, le non-respect des accords ou leur abolition fait monter les tensions.
[…] Depuis 1996, nous avons vu que les Américains ont remis en cause de nombreux accords de désarmement. Cette réalité fragilise évidemment la structure de tous ces accords importants, qui sont le fruit de très nombreuses années de négociation. Quand on parle de l’effet déstabilisateur de la Russie ou de la Chine dans le système international, il ne faut pas oublier qu’ils sont loin d’être les seuls joueurs à remettre en cause certaines règles. Les Américains le font depuis vingt ans maintenant.»
Sputnik France: Le nouveau gouvernement Trudeau parviendra-t-il à redonner au Canada un rôle digne de ce nom dans le monde?