Thomas, rescapé du Bataclan, soutient les Kurdes: «un peuple, là-bas, me défendait»

© REUTERS / Christian HartmannCommémoration des attentats du 13 novembre à Paris: témoignages d’un journaliste
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En ce quatrième anniversaire des attentats islamistes du 13 novembre, Sputnik a réuni deux hommes: Thomas, survivant du Bataclan et André Hébert, jeune Français parti en Syrie combattre Daech. Ils ont connu deux facettes du djihadisme et militent pour que la France n’abandonne pas les Kurdes. Entretien.

Au-delà des larmes et des grincements de dents, les commémorations du 13 novembre 2015 battent leur plein ce mercredi à Paris et à Saint-Denis pour honorer les 130 morts et plus de 350 blessés des attentats du Bataclan, des terrasses et du Stade de France.

Emmanuel Macron a appelé les Français dans un tweet à «rester unis pour ne jamais laisser gagner» les djihadistes. Parmi les victimes du massacre au Bataclan, le collectif 44, regroupant 44 «survivants du terrorisme», a signé le 31 octobre une tribune dans Le Parisien en soutien aux peuples du Rojava, c’est-à-dire les Kurdes de Syrie. Le texte dénonce «la passivité de la France» vis-à-vis de peuples envers lesquels «nous avons une dette inestimable», attitude qui permet «l’évasion de centaines de terroristes». Thomas (le nom a été changé) est l’un des signataires de cette tribune. Il a accepté de nous parler en compagnie d’André Hébert, jeune militant communiste parti se battre contre Daech* aux côtés des forces kurdes, auteur du remarquable ouvrage Jusqu’à Raqqa (Éd. Les Belles Lettres).

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Sputnik France: Vous avez signé une tribune dans Le Parisien appelant à se mobiliser pour les Kurdes contre Daech. En quoi le 13 novembre est lié au combat des Kurdes contre Daech?

Thomas: «C’est assez évident. On a été attaqués, nous au Bataclan, par l’État islamique*. Et au même moment, un peuple, les Kurdes, se battait contre l’État islamique et aussi des internationalistes comme André.»

Sputnik France: En quoi le combat des Kurdes concerne-t-il la France?

André Hébert: «C’est un combat qui nous concerne justement pour cette raison. Les Kurdes ont été les pourfendeurs du califat de Daech en Syrie et notamment par la reprise de Raqqa, fin 2017. Raqqa, qui était la capitale syrienne de l’État islamique et qui était aussi le centre militaire, logistique et médiatique de l’État islamique, l’endroit où les auteurs de l’attentat de Paris ont été entraînés et l’endroit où se trouvaient les commanditaires de ces attentats. Donc le lien entre le combat des Kurdes et la sécurité de la France est évident.»

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Sputnik France: André Hébert, que faisiez-vous le 13 novembre 2015? Où étiez-vous?

André Hébert: «Le 13 novembre 2015, je participais à la première offensive contre l’État islamique, c’était dans une ville qui s’appelle Al-Hol, dans le Nord-est syrien. Et au terme de cette offensive, on a chassé Daech de cette ville et j’ai pu utiliser mon téléphone. C’est là que j’ai appris quelques jours après qu’il y avait eu des attentats à Paris. J’étais évidemment extrêmement choqué. Choqué par le nombre de morts, par le fait que ces attaques concernaient les quartiers de Paris que je connais très bien et dans lesquels j’avais vécu. Pour moi, ça ne faisait que confirmer que j’étais au bon endroit, aux côtés des Kurdes, en train de lutter pour leur révolution et contre l’État islamique.»

Sputnik France: Thomas, pouvez-vous nous raconter ce qui vous est arrivé ce 13 novembre?

Thomas: «Le 13 novembre 2015, j’étais au Bataclan pour un concert. On s’est fait attaquer. Il y a eu des tirs dans tous les sens. C’est un évènement qui est connu, qui a été raconté en long, en large et en travers. Moi j’étais venu avec des amis, on a tous survécu. Beaucoup n’ont pas eu cette chance. C’est assez dur pour moi d’en reparler, surtout à cette date, c’est toujours assez émouvant. Des tirs dans tous les sens, des morts dans tous les sens. Moi j’ai réussi à me cacher dans le Bataclan. Je suis sorti parmi les derniers grâce à la BRI. Des morts dans tous les sens, des cadavres dans tous les sens. Du sang partout. Voilà.»  

Sputnik France: Avez-vous toujours des séquelles?

Thomas: «Bien sûr, c’est quelque chose que l’on n’oublie pas. Je pense aussi comme André qui, dans un tout autre contexte, a connu la guerre. Nous, ce n’était pas une guerre, c’était une exécution. C’était totalement soudain et inattendu. Des séquelles, bien sûr! Là où j’en suis, je suis totalement convaincu que ça ne me quittera jamais et ça fait maintenant partie de ma vie.»  

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Sputnik France: André Hébert, comment la guerre vous a-t-elle marqué?

André Hébert: «J’ai un certain nombre de souvenirs qui ne s’effaceront jamais. Quand on arrivait là-bas en tant que volontaire, avant même de combattre, on vous fait enregistrer une vidéo posthume, on vous fait écrire votre testament. Notamment quand vous avez une vingtaine d’années, ce sont des choses qui marquent. Ensuite, il y a la violence des combats évidemment. Maintenant, je ne sais pas ce qu’on peut entendre exactement par le terme de séquelle, c’est certain que ce sont des choses que je n’oublierai jamais et qui créent un gouffre avec les autres, une fois que l’on rentre, par rapport aux autres gens de sa génération, du même milieu. Pour autant, j’ai repris le cours de ma vie et j’avance malgré ça.»

Sputnik France: Selon vous, le 13 novembre a-t-il fait évoluer les mentalités et le fonctionnement de la sécurité dans les espaces publics, notamment dans les gares, aéroports, salles de concert?

Thomas: «Alors là, je ne saurais pas vous dire, puisqu’il me semble qu’il n’y a pas si longtemps, l’ennemi s’est introduit au cœur de notre système de défense. Donc, que les choses aient changé en termes de sécurité, je ne sais pas. Je sais que le soir du 13 novembre, il y avait une troupe de l’opération Sentinelle qui était là et qui n’est pas intervenue. Je ne peux absolument pas vous donner d’informations sur la sécurité en France.»

Sputnik France: André Hébert, avez-vous voulu venger les victimes du 13 novembre?

André Hébert: «Évidemment! Quand on a appris ces attentats, on venait de terminer notre offensive. Mais on savait qu’une autre était déjà en préparation et que l’on allait repartir d’ici quelques semaines. Pas seulement pour les Français, pour l’ensemble des volontaires occidentaux, ça nous donnait une raison supplémentaire de combattre et de détruire cet ennemi. Comme les autres attentats qui ont été commis par les sympathisants de l’État islamique, c’était à chaque fois des éléments qui renforçaient notre détermination à les détruire.»

Sputnik France: Quatre ans après cet attentat meurtrier, pourquoi est-il important pour vous aujourd’hui de soutenir les Kurdes?

Thomas: «Depuis les attentats du 13 novembre, comme beaucoup, je me suis informé sur l’origine de l’État islamique, sur la situation en Syrie. Depuis 2015, j’ai vu avec un certain bonheur qu’il y avait un peuple qui se battait –à savoir les Kurdes– et qui ne se battait pas n’importe comment, qui se battait en affichant des valeurs démocratiques, d’égalité, d’égalité entre les hommes et les femmes. C’est quasiment la première fois que l’on voyait des femmes armées défendre leur destin.

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Là, j’ai découvert ces peuples, les Kurdes, les Yézidis, j’ai découvert aussi les combattants internationaux comme André qui ont fait le voyage pour cette cause. Donc, j’ai découvert tout ça au long de ces années. Et j’ai évolué avec la conviction qu’il y avait là-bas effectivement tout un peuple multiple, mais organisé, armé dans la démocratie, dans l’égalité, pour une véritable démocratie sociale. C’est quelque chose que nous, en tant que Français, vivant dans une République, on est censés défendre. Puisque les républiques doivent se soutenir.

Donc j’ai évolué avec cette certitude qu’un peuple était là-bas et me défendait, moi et mes intérêts. Et un jour, le 9 octobre de cette année, les troupes américaines se retirent, l’armée turque envahit le nord de la Syrie et commence –avec d’ailleurs l’aide d’anciens djihadistes– quasiment sous le couvert de l’Otan, à commettre leurs exactions, leurs crimes envers les Kurdes.

Et c’est quelque chose qui moi, en tant que victime, en tant que survivant du Bataclan, m’a profondément révolté. Je ne l’ai pas fait en tant que citoyen, j’aurais pu le faire dans n’importe quel parti politique. C’est en tant que survivant que j’ai été absolument révolté par le sort qui a été réservé aux Kurdes, par rapport à l’abandon total de mon pays et de la communauté internationale envers les Kurdes. C’est-à-dire que les Kurdes ont été finalement un sous-traitant de l’antiterrorisme et au moment où le pays estime qu’il n’en a plus besoin, on les a lâchés, on les a laissés se faire massacrer, c’est absolument intolérable. C’est absolument intolérable, non seulement en tant que citoyen, mais avant tout, en tant que survivant du terrorisme parce qu’eux, se sont battus pour moi. Eux se sont battus pour nous.»

* Organisations terroristes interdites en Russie

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