Un édito de Jacques Sapir à retrouver en podcast dans l’émission Russeurope Express du 29 octobre.
Cette crise a marqué les esprits. Alan Greenspan, qui fut le président de la Réserve fédérale américaine au début des années 2000, aimait à rappeler comment il avait fait ses débuts dans la banque alors que ses collègues étaient encore sous le traumatisme de cette crise. Ben Bernanke, qui lui a succédé et qui eut à gérer la crise financière de 2007-2008, a écrit sa thèse sur cette crise. Pour de nombreux économistes, elle fut un point de rupture. On pense ici à Keynes, mais aussi à Myrdal. Les travaux d’Hyman P. Minsky ont aussi la crise en toile de fond.
Comment cette crise est-elle survenue? Depuis quelques jours, les 18, 19 et 23 octobre, les premières ventes massives avaient eu lieu. Il s’agissait encore des prises de bénéfices, venant après une longue période de hausse des cours, mais ces dernières commençaient à entraîner les cours à la baisse.
Émeute à Wall Street
Le jeudi 24 octobre, le fameux «jeudi noir», marque la première grande panique. Le matin, il ne se trouve presque plus d’acheteurs, et ce quel que soit le prix. Les cours s’effondrent. À midi, l’indice Dow Jones a perdu 22,6%. Une émeute éclate à l’extérieur du New York Stock Exchange. Les banquiers, réunis en urgence, tentent d’arrêter la panique. Le marché rebondit légèrement à la nouvelle que les banques vont intervenir pour soutenir les cours. En effet, vers 13h30, des investisseurs institutionnels menés par Richard Whitney, le vice-président de la bourse de Wall Street, interviennent directement. Les cours se redressent rapidement, et la baisse pour la journée est limitée à 2,1%. Les volumes échangés atteignent cependant 12,9 millions de titres pour la journée, un record: le volume normal est de 2 à 3 millions, et le précédent record de seulement 8,3 millions.
Les banques n’interviennent pas, contrairement au jeudi précédent, car elles ont épuisé leurs liquidités. L’indice Dow Jones perd 13%. Le 29 octobre, ou «mardi noir», le volume échangé atteint 16,4 millions de titres. Entre le 22 octobre et le 13 novembre, l’indice Dow Jones va perdre 39%, ce qui correspond à une perte virtuelle de 30 milliards de dollars sur la capitalisation totale, un chiffre qui représente dix fois le budget de l’État fédéral américain.
«Le temps des crises est dépassé»
Qu’est-ce qui a provoqué cette crise? Il y a, naturellement, la bulle financière des années 1927-1928, avec l’illusion - renforcée par les déclarations imprudentes de certains économistes connus comme Irving Fisher - que le temps des crises était dépassé… Il y a des raisons techniques, comme les achats d’actions à crédits et donc la très grande sensibilité des acheteurs aux taux d’intérêts.
Mais il y a aussi la surproduction croissante. Cette surproduction est en fait relative: ce n’est pas tant que la production augmente trop que le fait que la consommation n’augmente pas assez. De fait, ce déséquilibre entre production et consommation est patent depuis le milieu des années vingt, aggravé par la politique déflationniste conduite au Royaume-Uni et par les conséquences financières du Traité de Versailles. Le retour de la Russie - l’URSS - sur le marché international des céréales a aussi provoqué une baisse des cours de ces dernières, baisse qui réduit le revenu des agriculteurs et diminue leur consommation potentielle.
Les différents pays ont su tirer, dès les années trente pour certains, à partir de 1945 pour d’autres, les leçons de cette crise. De fait, les opérations financières et bancaires furent strictement réglementées, et ce dès 1933 aux États-Unis. On établit progressivement un lien entre le salaire réel et les gains de productivité, assurant ainsi un partage relativement équitable des gains de richesse. Cela conduisit à la disparition des grandes crises de l’horizon économique.
Or, depuis le milieu des années quatre-vingt, les différents gouvernements ont, les uns après les autres, démantelés la plupart de ces réglementations. Avons-nous eu la mémoire trop courte? On peut se demander, effectivement, si certaines des leçons de la crise de 1929 ne sont pas toujours d’actualité.
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