Les vidéos qui circulent depuis le 15 octobre sur la fermeture des églises protestantes en Kabylie et l’expulsion forcée des fidèles de leurs lieux de prières ont provoqué une vive polémique sur la liberté de culte, dans une terre où la présence chrétienne remonte à l’Empire romain.
L’Église protestante a publié le 16 octobre dernier un communiqué dans lequel elle demande l’annulation de «la décision arbitraire» ayant mené à la fermeture de treize lieux de culte – dont trois en l’espace de deux jours, parmi lesquels l’église du Plein Évangile, la plus grande église protestante du Maghreb située à Tizi Ouzou, à 100 km à l’est d’Alger.
Cet acte «risque de porter atteinte à la cohésion nationale» dans un pays qui reconnaît pourtant, dans l’article 42 de sa Constitution, la liberté de culte.
Rappelant que l’État algérien avait financé des dizaines d’opérations d’aménagement de plusieurs églises catholiques du pays, Salah-Eddine Dahmoune précise que cette décision touche «12 sur 49 hangars transformés en églises de manière illégale».
Le pasteur Salah-Eddine Chalal, président de l’Église protestante d’Algérie, a affirmé au micro de Sputnik que son église s’est adressée à maintes reprises aux autorités pour solliciter une autorisation et une légalisation de ses lieux de prière, sans jamais obtenir de retour. Auparavant, sa communauté ne rencontrait pas le moindre problème, notamment auprès d’une population qui s’est faite de plus en plus ouverte et tolérante.
Sputnik: En 2006, l’État algérien a promulgué l’ordonnance 06/03 qui stipule, entre autres, que l’affectation d’un édifice à l’exercice du culte est soumise à l’avis préalable de la Commission nationale de l’exercice des cultes. Pourquoi n’avez-vous toujours pas vos autorisations?
Salah-Eddine Chalal: «Depuis la promulgation de cette ordonnance, nous avons fait plusieurs tentatives de rapprochement auprès du ministère des Affaires religieuses. Nous avons essayé de déposer des dossiers un peu partout, mais nous n’avons jamais eu de retour. Ceux qui nous reçoivent nous indiquent à chaque fois qu’il n’existe pas de textes clairs permettant d’accepter les dossiers d’ouverture de ces lieux de culte, ou même des textes permettant l’attribution des autorisations pour les églises existantes. De ce fait, nous sommes systématiquement renvoyés. Nous ne souhaitons pourtant que cela: des autorisations!»
Sputnik: Que s’est-il passé ce mardi 15 octobre dans votre église du Plein Évangile?
Salah-Eddine Chalal: «Deux jours auparavant, nous avons été convoqués par le commissariat de Tizi Ouzou, où il nous a été signifié que sur ordre du wali (gouverneur), les policiers allaient procéder à la fermeture des locaux de l’église. Sachant qu’il ne relève pas de la prérogative du wali de fermer les églises, mais plutôt de celle de la justice, nous avons refusé de céder. Nous avons décidé d’être présents ce jour-là au sein du lieu de prière pour exprimer pacifiquement notre désapprobation et que nous étions lésés dans nos droits.
Nous avons été évacués avec violence et les lieux de culte ont été scellés par la suite. Nous n’avons pas tenté de réagir face aux forces de l’ordre. Depuis, nous nous organisons comme nous pouvons pour nous réunir et prier.»
Sputnik: Comment quantifieriez-vous les églises et les fidèles de votre communauté en Algérie?
Salah-Eddine Chalal: «L’Église protestante d’Algérie était composée, avant 1974, de plusieurs églises locales, qui se situaient entre église méthodiste et église réformée. Mais depuis cette date, ces églises ont décidé de s’organiser en une seule entité représentant le protestantisme en Algérie, notamment sur le plan juridique. On dénombre aujourd’hui 46 communautés réparties sur 12 wilayas.
Pour ce qui est du nombre de ses fidèles, et devant la difficulté d’obtenir un chiffre exact, nous estimons qu’ils sont autour de 50.000 individus. Mais nous constatons que l’église prend de l’ampleur ces derniers temps. Il y a une croissance significative du nombre de conversions.»
Sputnik: Pourquoi a-t-on ciblé uniquement les églises de Kabylie alors qu’il y a des fidèles partout dans le pays?
Salah-Eddine Chalal: «C’est une question que nous souhaiterions poser aux autorités. Pourquoi cibler uniquement notre région en cette période très sensible de l’histoire de notre pays? Ce sont des actes qui peuvent conduire à des situations plus compliquées que celle que nous connaissons actuellement. Je remercie le Seigneur que la situation en Kabylie n’ait ni empiré, ni se soit dégradée ainsi que l’on aurait peut-être pu s’y attendre.»
Sputnik: Comment les autres communautés religieuses, notamment les musulmans qui sont majoritaires, ont-elles réagi face à la fermeture de vos églises?
Salah-Eddine Chalal: «Les citoyens musulmans, athées – ou autres – sont venus nous soutenir, nous témoigner leur solidarité et nous encourager à demeurer pacifiques. Nous avons également eu l’appui de l’Église catholique, des adventistes, de personnalités politiques, de certaines associations et encore d’autres soutiens.»
Sputnik: Comment est la vie d’un protestant, ou d’un chrétien en général, en Algérie ?
Salah-Eddine Chalal: «Avant 2006, nous pouvions exercer notre foi le plus normalement du monde. Mais depuis, l’étau se resserre. Nous menons une vie difficile, et je dirais même engagée.»
Sputnik: Et auprès de la population?
Salah-Eddine Chalal: «Cela diffère d’une région à l’autre. Ici, en Kabylie, on peut avoir une visibilité car c’est une zone qui reste ouverte et où les gens peuvent s’exprimer et pratiquer librement leur foi. Mais il y a des endroits où c’est beaucoup plus compliqué, où les fidèles mènent une vie souterraine. Des personnes ont été licenciées de leur poste, d’autres contraintes de divorcer uniquement parce qu’on avait découvert leur religion. Mais de manière générale, je vous assure que nous n’avons jamais eu de problème avec la société. Il y a certes des gens qui sont contre nous, mais ils ne le manifestent pas, encore moins de manière violente. Le problème provient des autorités. C’est pour cela que je vous répète qu’avant 2006, notre communauté n’a jamais eu de problème.»
Salah-Eddine Chalal: «Je remarque qu’en dépit de la reconnaissance de la liberté de culte par la constitution, les minorités religieuses sont en danger et de moins en moins respectées. Nous avons vu les attaques dont ont fait objet les ahmadis, les chiites, les karkarites et aujourd’hui, nous, protestants. Mais au niveau de la population, les mentalités commencent à s’ouvrir.»
Sputnik: L’Algérie vit depuis bientôt neuf mois une révolution où toutes les franges de la société sont représentées. Pensez-vous que ce Hirak (mouvement) contribue à cette évolution des mentalités?
Salah-Eddine Chalal: «Absolument, je pense que le Hirak a beaucoup aidé en termes de tolérance et d’ouverture vers l’autre. Nous allons certainement vers une véritable évolution.»