Offensive turque contre les Kurdes: «la France devrait protéger la stabilité au Proche-Orient»

© AFP 2024 DELIL SOULEIMANCivilians ride a pickup truck as smoke billows following Turkish bombardment on Syria's northeastern town of Ras al-Ain in the Hasakeh province along the Turkish border on October 9, 2019
Civilians ride a pickup truck as smoke billows following Turkish bombardment on Syria's northeastern town of Ras al-Ain in the Hasakeh province along the Turkish border on October 9, 2019 - Sputnik Afrique
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L’intervention militaire d’Erdogan contre les Kurdes dans le nord-est de la Syrie affole les capitales occidentales. La France se retrouve face à ses propres contradictions et Charles de Meyer, président de l’ONG SOS Chrétiens d’Orient, plaide pour une réorientation stratégique décisive.

Présente depuis six ans dans le chaos syrien, l’ONG SOS Chrétiens d’Orient est aux premières loges de l’offensive turque dans le Nord-Est syrien, contre les bastions kurdes. Entretien avec son Président et cofondateur, Charles de Meyer, qui considère que l’on assiste à un désastre stratégique pour la France.

Sputnik France: à situation complexe, question simple: que reprochez-vous à la diplomatie française?

Charles de Meyer: «Ce que je lui reproche, c’est de s’être embarquée dans une situation d’ambiguïté. Vous savez ce que disait le Cardinal de Retz: “on ne sort de l’ambiguïté qu’à ses dépens”. Aujourd’hui, la France devrait être la protectrice des chrétiens d’Orient et même la protectrice de la stabilité au Proche-Orient. C’est son rôle historique. Or, elle n’a plus les moyens de faire cette politique, car elle s’est laissée entraîner dans des alliances qui lui interdisent d’avoir une crédibilité dans sa parole et la marge de manœuvre nécessaire.

Ainsi n’a-t-elle rien dit quand les Turcs soutenaient des factions puissamment islamistes, qui commettaient des exactions dans tout le nord de la Syrie, notamment au nord d’Alep. Un rapport de l’Onu est paru, qui évoquait la poche d’Idlib comme le plus grand dépotoir à islamistes du monde. Or, dans cette poche d’Idlib, les forces turques possèdent des postes d’observation. La France n’a rien dit, n’a rien fait, et a reproché au pouvoir de Damas de faire la guerre à cette poche islamiste.

Deuxième problème: la France a fait le choix de s’allier au YPG, la branche syrienne du PKK à peu de choses près, le PKK étant classé terroriste par l’UE, la France et les États-Unis. La France a donc soutenu deux camps qui ne pouvaient aboutir qu’à se faire la guerre. Elle s’en est réduite à des pétitions de principe, qui n’est pas une stabilisation de terrain.»

© Photo SOS Chrétiens d'OrientCharles de Meyer, Président de l"ONG SOS Chrétiens d"Orient, présente en Syrie depuis 2013: «la France a continué à soutenir la Turquie alors même qu’elles agressaient d’autres parties du territoire syrien. Pourquoi donc attendre cette agression contre les kurdes pour réagir?»
Offensive turque contre les Kurdes: «la France devrait protéger la stabilité au Proche-Orient» - Sputnik Afrique
Charles de Meyer, Président de l"ONG SOS Chrétiens d"Orient, présente en Syrie depuis 2013: «la France a continué à soutenir la Turquie alors même qu’elles agressaient d’autres parties du territoire syrien. Pourquoi donc attendre cette agression contre les kurdes pour réagir?»

Sputnik France: Les capitales européennes s’émeuvent pour leurs alliés kurdes. Vous semblez moins perméables à cette émotion?

Charles de Meyer: «Qu’on s’entende bien: quand les Kurdes sont victimes d’assassinats, de persécutions, d’exactions, nous sommes bouleversés. Tout ce qui est du ressort de la guerre est abominable. En tant que catholiques, notre ONG cherche la paix. Toutefois, ce que nous nous étonnons de voir, c’est un discours qui voudrait faire des Kurdes les seuls alliés de l’Occident dans la région, et surtout les seuls habitants du nord-est de la Syrie. Les Kurdes ne représentent que 10% de la population du pays et les accords tacites internationaux leur laissaient 30% du territoire. Ils ont pratiqué des politiques de soutien à tout ce qui était Kurde, et d’éviction de tout ce qui n’était pas kurde: notamment, les tribus arabes et diverses minorités chrétiennes. Nous avons voulu le dénoncer: par exemple, l’interdiction de suivre des enseignements dans les langues originelles des communautés chrétiennes. Ce que nous soulignons également, c’est que la France a continué à soutenir la Turquie, alors même qu’elle agressait d’autres parties du territoire syrien. Pourquoi donc attendre cette agression contre les Kurdes pour réagir?

© Photo SOS Chrétiens d'Orient«Nous avons une solide implantation sur place, nous dit Charles de Meyer, Président de l"ONG SOS Chrétiens d"Orient, avant d"ajouter : si les grands fonds de dotation sont prêts à soutenir une action, nous mettons nos équipes à leur disposition pour travailler dans cette zone.»
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«Nous avons une solide implantation sur place, nous dit Charles de Meyer, Président de l"ONG SOS Chrétiens d"Orient, avant d"ajouter : si les grands fonds de dotation sont prêts à soutenir une action, nous mettons nos équipes à leur disposition pour travailler dans cette zone.»

Enfin, ce que nous soulignons c’est que les Kurdes ont fait le choix d’eux-mêmes de se ranger du côté d’une alliance avec le gouvernement syrien, puisque c’était leur seule possibilité historique. En réalité, ce que les diplomates et idéologues occidentaux ont fait, c’est de promettre des rêves aux Kurdes, les poussant à continuer un combat qui ne pouvait pas fonctionner contre les Turcs. Nous avons donné de l’énergie à une guerre qui devait s’interrompre. C’est la conclusion: la France n’a cessé de donner du grain à moudre à tous les boutefeux, alors qu’il aurait fallu tout faire pour que le conflit s’éteigne.»

«la France n’a cessé de donner du grain à moudre à tous les boutefeux, alors qu’il aurait fallu tout faire pour que le conflit s’éteigne.»

Sputnik France: votre ONG, SOS Chrétiens d'Orient, est présente sur le terrain en Syrie. Quels sont vos objectifs humanitaires dans le nord-est? Quelles sont les perspectives humanitaires?

Charles de Meyer: «Nous sommes très investis dans la région de Lattaquié et nous nous étions rendus à Qamishli, une ville peuplée de nombreux chrétiens. Il y a eu des victimes des bombardements turcs. Actuellement, nous avons demandé aux amis de SOS Chrétiens d’Orient de travailler à la coordination des projets pour soutenir tous ceux qui auront été victimes de manière matérielle, physique ou psychologique de ces bombardements, et puis d’aider les populations qui auront été tentées par l’exil, de manière à ce qu’elles puissent rester là-bas, et que nord-est de la Syrie reste une terre où l’influence chrétienne ne disparaisse pas.

SOS Chrétiens d’Orient a tous les réseaux locaux: il y a une semaine, notre chef de mission s’est rendu dans le Jéziré pour distribuer 100 sacs d’alimentation et des bourses pour que les étudiantes continuent d’aller à l’école. Nous avons une solide implantation sur place. Si les grands fonds de dotation sont prêts à soutenir une action, nous mettons nos équipes à leur disposition pour travailler dans cette zone. Il y a un relais français dans cette partie-là de la Syrie. Le Quai d’Orsay et d’autres structures ont la possibilité de reconnaître l’intérêt de la France à soutenir les blessés de ce conflit.»

«Nous avons une solide implantation sur place. Si les grands fonds de dotation sont prêts à soutenir une action, nous mettons nos équipes à leur disposition pour travailler dans cette zone.»

Sputnik France: revenons au contexte plus global. Et la Russie dans tout ça? à quoi Poutine joue-t-il selon vous? Il a renoué le contact entre Syriens et Kurdes, il peut faire pression sur Ankara. Pour résumer, il est le seul à parler à tout le monde.

Charles de Meyer: «Poutine est le seul à parler à tout le monde pour une raison très simple: il été invité à se rendre sur le territoire syrien par le gouvernement syrien. Il est en pleine légalité internationale. Il poursuit donc une politique d’assistance à son allié, il a une position qui est très légitime. Par ailleurs, les Kurdes ont fait savoir que si les Américains les avaient lâchés, ils se tourneraient vers d’autres protecteurs. On comprend bien que ces autres protecteurs pourraient être les Russes. Contrairement à ce que disent de nombreux analystes, Vladimir Poutine agit dans son bon droit, qui est celui d’appliquer des alliances que la Russie entretient avec la Syrie. Deuxième question: quelles seront les entreprises, ONG, soutenues par la Russie? Il faut attendre Poutine au tournant. Car s’il a soutenu indirectement et directement les chrétiens sur le territoire syrien, nous espérons qu’il parviendra également à les soutenir dans la phase de reconstruction du pays, et que tout cela se fera dans la justice et le bon droit. La Russie a tout à gagner à compléter sa victoire militaire par une action de la société civile, vers l’équilibre entre les communautés.»

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