Depuis toujours, Khady Bakayoko, actuellement chargée de communication à la section Côte d’Ivoire de FOSCAO, une plateforme d’organisation de la société civile de l’Afrique de l’Ouest, s’intéresse à tout ce qui touche au digital et à l’informatique. Pourtant, elle n’a jamais réellement reçu une formation de base dans ce domaine.
Alors quand, en août 2019, elle découvre sur la page Facebook de l’African Women 4 Tech un appel à candidatures pour jeunes femmes porteuses de projets, c’est avec enthousiasme qu’elle s’empresse de postuler.
L’African Women 4 Tech est une initiative de l’Africa Cybersecurity, une conférence sur la cybersécurité en Afrique qui réunit tous les ans depuis 2016 à Abidjan, entre autres, experts du numérique et des nouvelles technologies, opérateurs téléphoniques, fournisseurs de services ou encore responsables gouvernementaux.
Et pour cette quatrième édition de l’Africa Cybersecurity, l’African Women 4 Tech organise pour la première fois un concours qui vise à primer les meilleurs projets de femmes dans le digital.
Pendant les deux jours, les 3 et 4 octobre, que durent l’événement, les 13 candidates retenues bénéficient d’une formation expresse mais intensive aux métiers techniques du numérique et travaillent à la matérialisation technologique de leurs idées, assistées par Simplon Côte d’Ivoire, une école qui forme gratuitement des jeunes à ces professions.
Le projet de Khady Bakayoko n’a finalement remporté que le deuxième prix, mais son écho n’en demeure pas moins particulier auprès du jury et du public. L’aspect pratique, innovant et d’utilité publique du projet de l’étudiante en master 2 de communication pour le développement a su séduire.
Dénommée «Kininya», qui signifie «santé» en malinké [ethnie et langue parlée sur toute l’étendue du territoire ivoirien et qui se retrouve également au Mali et au Burkina, NDLR], l’application mobile de Khady Bakayoko permet de commander, en ligne, des produits pharmaceutiques avec un service de livraison à domicile, peu importe le lieu.
L’application n’est pas encore opérationnelle mais son développement, qui s’effectue avec le soutien de Simplon Côte d’Ivoire, est bien avancé.
«Avec cette application, toute personne qui, pour des raisons diverses, ne peut se rendre à la pharmacie pourra désormais commander ses médicaments via son smartphone et se les faire livrer au lieu de son choix», explique au micro de Sputink Khady Bakayoko.
Mais ce n’est pas tout: Kininya permettra aussi de trouver des pharmacies à proximité ou de garde via la géolocalisation GPS. Et l’application est conçue pour pouvoir être utilisée même par des personnes analphabètes ou peu à l’aise avec les nouvelles technologies.
L’achat du médicament, peu importe le type ou la quantité, mais le tout sous la supervision d’un professionnel de santé, notamment de l’ordonnance médicale qui peut être téléchargée sur l’application, se fera via «mobile money».
Le «mobile money» est une technologie largement répandue en Côte d’Ivoire. Le parc d’abonnés «mobile money» des trois opérateurs (Orange, MTN et MOOV) présents en Côte d’Ivoire s’élevait à 13,4 millions au 31 décembre 2018. Et les transactions sur ses services ont généré 84 milliards de francs CFA (128 millions d’euros) sur toute l’année 2018.
Un autre côté pratique de l’application est qu’un tiers peut acheter un produit pharmaceutique au profit d’une personne donnée.
Khady Bakayoko a eu l’idée de concevoir Kininya un jour que son fils de deux ans était tombé malade.
«Quand il n’était encore qu’un nourrisson, mon fils a contracté une forte fièvre un soir. On n’avait plus de médicaments et les pharmacies étaient fermées. J’étais complètement désemparée. Au sortir de cette situation, je me suis fait la promesse de créer une application pour que les parents qui se retrouveraient face à un problème similaire puissent avoir à porter de main une solution», confie la jeune mère.
Le projet de Khady Bakayoko est innovant et ambitieux. Et il nécessite une implication de l’ordre des pharmaciens de Côte d’Ivoire que la jeune entrepreneure a entrepris de contacter.
La mise en place de Kininya, selon les estimations de sa conceptrice, nécessite 3 millions de francs CFA (4.573 euros). Elle recherche donc actuellement des investisseurs.
«Je recherche actuellement des partenaires pour m’accompagner dans cette aventure qui, j’en suis convaincue, profitera grandement aux Ivoiriens», déclare-t-elle.
D’après une étude du cabinet international Rolland Berger publiée en 2018, l’Afrique occupe la première place au monde en matière d’entrepreneuriat féminin. Sur le continent, le taux d'activité entrepreneuriale (TEA) des femmes s’élève ainsi à 24%, loin devant les 11% enregistrés en Asie du Sud-Est et dans le Pacifique.
Par ailleurs, toujours selon l’étude du cabinet Rolland Berger, en 2016, la valeur totale du produit intérieur brut (PIB) créée par l'entrepreneuriat des Africaines culmine entre 250 et 300 milliards de dollars, ce qui équivaut à près de 12-14 % du PIB de l’Afrique.
L’impact des femmes sur l’économie de l’Afrique étant unanimement reconnu, ces dernières années, les initiatives pour promouvoir leur représentativité dans l’écosystème de la technologie et de l’innovation, mais aussi pour encourager l’entrepreneuriat féminin, se sont multipliées sur le continent.
Des études de l'Organisation de coopération et de développement économiques (OCDE) ont démontré que «les investissements qui renforcent les capacités des femmes ont des impacts significatifs et positifs sur la société». En effet, initiées au numérique, elles présentent des aptitudes avérées à trouver des solutions aux difficultés qu’elles rencontrent dans leur milieu.
À «EntrepreneursOnTheMove», une coproduction du «Land of African Business (LAB)» et de la fondation allemande GreenTec Capital Africa (GCAF), destinée à l’investissement dans les start-up qui a eu lieu du 2 au 4 octobre à Abidjan, l’un des trois prix au menu de l’événement était, justement, le «Prix de l’entrepreneuriat féminin». Ce prix était doté d’une enveloppe de 2.000 euros.
En revanche, aucune des trois lauréates de l’African Women 4 Tech n’a reçu d’accompagnement financier pour son projet. Elles se sont vu remettre un trophée des mains du Dr Raymonde Goudou Coffie, la ministre de la Modernisation de l’administration et de l’Innovation du service public de Côte d’Ivoire.