«Je suis un révolutionnaire qui fait de la politique et je suis prêt à mourir pour mes convictions»: rhétorique révolutionnaire et phrasé de rappeur, Hadama Traoré a répondu sur les réseaux sociaux à Christophe Castaner. Fanfaronnade ou authentique menace à l’ordre public?
La manifestation prévue à Gonesse en soutien à l'assassin de la préfecture de police est une infamie et une insulte à la mémoire de nos policiers.
— Christophe Castaner (@CCastaner) October 9, 2019
Je me suis entretenu avec le préfet du Val-d'Oise : le rassemblement va être interdit.
Dans son appel vidéo pour le moins polémique, Hadama Traoré n’y est pas allé par quatre chemins: «toutes les communautés persécutées, on va faire la guerre ensemble, aux politiques et aux médias. Et on commence ce jeudi [10 octobre, ndlr]», avant d’ajouter: «la personne qui ose dire que Mickaël Harpon était un terroriste animé par des revendications religieuses, je lui traite sa mère et je lui crache à la gueule. [Mickaël Harpon] était discriminé parce qu’il était sourd (…) c’était une crème! (…) un bonhomme avec un grand H (sic).»
Le cabinet du maire PS de Gonesse, Jean-Pierre Blazy, a d’ailleurs confirmé avoir reçu un récépissé de déclaration d’un rassemblement de moins de 50 personnes. Mais la liberté de manifester s’arrête là où l’ordre public commence, et la liberté d’expression est bornée par l’apologie du terrorisme –un délit réprimé par l’art. 421-2-5 du Code Pénal.
Selon Me. Guillaume Jeanson, avocat et porte-parole de l’Institut Pour la Justice (IPJ), «le risque est grand de considérer cette manifestation en soutien à Mickaël Harpon comme une glorification de la personne même»… et donc comme une apologie du terrorisme.
«Faire l’apologie d’une personne qui a commis un attentat terroriste est considéré par la jurisprudence comme une infraction pénale sanctionnée en principe d’une peine allant jusqu’à cinq ans d’emprisonnement et 75.000 euros d’amende, et cette peine est même aggravée quand cette apologie est diffusée sur Internet, puisque cette peine passe à sept ans et 100.000 euros d’amende.»
Il appartiendra dès lors au Parquet de se saisir de l’affaire et de trancher entre le désir de «réinformation» affiché par Hadama Traoré et l’apologie à proprement parler. «Toute la question qui se pose est celle de la qualification retenue par le parquet, qui décide ce qui relève du complotisme, d’une pure provocation, si ces éléments constituent l’infraction et s’il est utile de poursuivre l’auteur.»
Une infraction qui semble caractérisée pour Me. Guillaume Jeanson, au vu des éléments connus sur l’attaque terroriste de la Préfecture de Police, «en générant une théorie du complot qui vise à faire croire que Mickael Harpon, en dépit de tous les éléments sortis, était une victime. Le faire passer pour une victime, c’est quand même quelque chose d’assez scandaleux.»
Si Guillaume Jeanson entend bien sûr respecter la présomption d’innocence, il n’en demeure pas moins que la découverte au domicile de Mickaël Harpon d’une clé USB contenant les coordonnées et données personnelles de ses collègues policiers et des vidéos de Daesh, le contact avec un prédicateur salafiste connu des services, semblent aujourd’hui attester de sa radicalisation. Et donc de l’absurdité des propos d’Hadama Traoré.
Victimisation et convergence des luttes
Fait divers et énième polémique née sur les réseaux sociaux, les déclarations de Traoré expriment cependant une réalité sociale: «cette thématique de la victimisation remonte de plus en plus systématiquement dans nos quartiers», a déclaré François Pupponi, député ex-PS du Val-d’Oise. On retiendra par exemple les propos de Tariq Ramadan, qui a lui aussi décrit Mickaël Harpon comme une «victime» dans un communiqué.
Et de la victimisation à la convergence entre islamisme et idéologie «indigéniste», dont les militants se voudraient défenseurs de minorités persécutées, il n’y aurait qu’un petit pas:
«C’est ce qui montre la dangerosité de ce genre de propos. Ce sont des propos de nature à allumer la mèche pour que tout s’embrase. C’est pour cette raison-là que le préfet doit prendre ses responsabilités et interdire cette manifestation», affirme Guillaume Jeanson.
Dans l’immédiat, avant même une éventuelle poursuite par le Parquet, «le préfet a lui la possibilité [d’interdire la manifestation]. Effectivement, on voit bien le risque de trouble à l’ordre public», en vertu du code de la sécurité intérieure. Pour Guillaume Jeanson, il y a là aussi une question morale, de respect envers une institution policière déjà ébranlée par la tragédie du suicide des agents, des attentats comme celui du couple de policiers à Magnanville, et bien sûr d’une attaque terroriste dans son «Saint des Saints».