Face à Macron, «les conditions politiques ne sont pas réunies pour imaginer une union des droites»

© AFP 2024 ANNE-CHRISTINE POUJOULAT Marion Marechal-Le Pen
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La Convention de la Droite fait beaucoup de bruit depuis le 28 septembre. Entre laboratoire d’idées et tentative de jeter les bases d’une hypothétique union des droites, a-t-elle atteint son but? Frédéric Saint Clair, politologue et participant à cette convention, tire pour Sputnik les leçons de cet événement, sur le plan politicien et des idées.

«S’il y a des convergences possibles entre populisme et conservatisme, il n’y en a aucune entre libéralisme et populisme.»

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Un propos de Patrick Buisson en mai dernier qui aurait pu être tenu à la «Convention de la droite». Organisée le 28 septembre, elle a été «gros succès», se sont félicités ses organisateurs. En effet, de Marion Maréchal à Éric Zemmour, en passant par Robert Ménard, les partisans de la fameuse union (ou alliance) des droites ont prononcé des discours qui n’ont pas manqué de faire réagir. Hormis un contrepoint assuré par Raphaël Enthoven, les discours au ton offensif se sont succédé toute la soirée dans une «ambiance électrique».

​Un coup médiatique pour le moins réussi, car depuis le samedi 28 septembre, la presse s’en donne à cœur joie dans le commentaire des différents discours qui ont émaillé cette convention. En tête d’affiche, un Éric Zemmour plus sulfureux que jamais, qui n’a pas fait l’économie d’attaques frontales contre l’Islam.

De son côté, Marion Maréchal, dans un discours aux allures de meeting de campagne, a promis aux auditeurs que, s’ils s’en donnaient les moyens, leurs idées seraient «demain, au pouvoir». Depuis longtemps, celle-ci fait miroiter à demi-mot l’idée d’une union des droites, inspirée entre autres par la matrice intellectuelle d’Éric Zemmour.

«Qui peut penser que nos idées arriveront au pouvoir, sans avoir brisé préalablement les barrières partisanes d’hier?» expliquait de son pupitre Marion Maréchal.

Pourtant, long est le chemin qu’il leur reste à parcourir pour arriver à cette fameuse union des droites et faire tomber les barrières partisanes. Preuve en est, samedi dernier, seuls un député Les Républicains et un élu Rassemblement national ont fait le déplacement. De part et d’autre, d’ailleurs, rien ne laisse supposer que les digues pourraient sauter.

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Pour Patrick Buisson, véritable boussole idéologique de cette droite «dure», l’union des droites fait appel à des marqueurs politiques d’un autre temps, qui sont totalement dépassés aujourd’hui. Dans un entretien accordé à L’Opinion, au mois de juillet, il expliquait que parler d’union des droites,

«Cela revient à occulter l’apparition des nouveaux clivages qui sont venus distordre l’axe de polarité droite-gauche, autour duquel tout semblait figé. À bien des égards, le clivage qui oppose libéraux et antilibéraux, et qui passe désormais à l’intérieur de chaque camp, est aujourd’hui le plus pertinent.»

Alors, l’union des droites, rêve inatteignable ou possible réalité politique? Sputnik France a posé la question à Frédéric Saint Clair, politologue, auteur de plusieurs ouvrages concernant la droite française, notamment La Refondation de la Droite, aux éditions Salvator.

Sputnik France: Rentrons directement dans le vif du sujet: pensez-vous que la droite présente à cette convention est capable de faire sauter les digues existantes à la droite de Macron et parvenir à la fameuse «union des droites»? Il n’y avait qu’un seul député Les Républicains et un élu Rassemblement national…

Frédéric Saint Clair: «Je ne suis pas certain qu’il y a ait en réalité une quelconque attente, de la part des organisateurs, d’union ou d’alliance. Ne serait-ce que par la diversité des profils qui ont été invités: 30 intervenants, dont une bonne partie issue de la société civile, et qui n’était pas nécessairement d’accord entre eux. Ils n’avaient pas la même conception de ce qui était nécessaire pour les années à venir, non pas en termes d’alliance, mais de ce qui était nécessaire pour les années à venir. Le plateau sur lequel j’étais avec Élisabeth Levy et Guillaume Bigot exemplifie parfaitement cela. En revanche, je pense que les organisateurs avaient envie de générer du débat.

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D’un point de vue partisan, cela dit, votre question est pertinente. Effectivement, les deux formations partisanes sollicitées étaient le Rassemblement national et Les Républicains. Il y a aujourd’hui une crise à droite, qui découle d’une incapacité à créer une opposition capable d’empêcher Emmanuel Macron de reprendre le pouvoir en 2022. Je pense donc qu’au niveau partisan, on peut se poser la question, mais qu’au niveau intellectuel, les conditions politiques ne sont pas suffisamment claires pour qu’on puisse imaginer une alliance.»

Sputnik France: Pourtant, pour une personnalité comme Marion Maréchal, cette «alliance» semble malgré tout être une ambition politique, bien que celle-ci soit censée naître d’une réflexion idéologique…

Frédéric Saint Clair: «Je ne peux pas parler en son nom, mais de ce que j’observe, Marion Maréchal n’est absolument pas dupe des fractures qui divisent aujourd’hui la droite et de son incapacité à les réduire en deux ans. De mon point de vue de politologue, j’ai l’impression que toutes les personnes qui sont autour d’elle sont conscientes que la politique qui est menée actuellement par Emmanuel Macron est impuissante à résoudre les crises qui frappent non seulement la France, mais aussi l’Europe et le monde occidental. Et ce, parce qu’il ne veut pas regarder les problèmes en face, et surtout, revenir sur les fondements de ce social-libéralisme.

À partir de là, il y a un problème qui se pose: soit les différentes droites abandonnent la lutte politique et laissent Macron face à une extrême gauche, elle aussi en panne d’idées. Soit elles se posent la question des divisions politiques de ces droites et de leurs différents socles et essayent de réfléchir à ce qui pourrait créer un consensus et permettre de reconstruire à terme une proposition politique différente de celle qu’on a connue jusqu’à maintenant.

Jusqu’à présent, les différents acteurs de droite ne sont pas encore arrivés au niveau où ils ont identifié correctement les menaces et proposent des solutions tenables. On reste dans les logiques d’appareil et de raisonnements politiques d’hier. Finalement, sachant qu’Emmanuel Macron a récupéré la partie libérale de la droite et semble les satisfaire par sa politique, on voit donc mal comment sans renouvellement, la droite peut proposer une alternative politique crédible.»

Sputnik France: Patrick Buisson disait d’une possible offre d’alliance du RN à LR que c’était «une OPA sur une coquille vide et une main tendue à des gens qui n’en veulent pas»… De ce point de vue, l’idée même d’union des droites n’est-elle pas déjà dépassée? Dans la mesure où celle-ci s’inscrit dans la logique du clivage droite/gauche, qui, pour beaucoup, a été remplacée par le clivage souverainistes/mondialistes.

Frédéric Saint Clair: «Patrick Buisson dit que le clivage est celui des libéraux et des illibéraux. Comme bien souvent, il met le doigt sur un point important, mais comme bien souvent, il caricature et ne peut donc penser l’étape d’après. C’est-à-dire que c’est effectivement un bon thermomètre idéologique, mais souvent les solutions ne suivent pas, car il n’est pas en mesure de dépasser cette volonté de ramener les choses à une opposition binaire. De fait, son opposition du libéralisme et de l’illibéralisme ne suffit pas à structurer un raisonnement politique alternatif au raisonnement libéral. Déjà parce qu’il y a mille façons d’être libéral; on peut être de gauche et tout à fait libéral. Ensuite, ça ne permettra pas d’emmener la population avec soi, car le libéralisme a quand même permis à la société de se construire et nous assure un certain nombre de libertés politiques auxquelles on ne veut pas renoncer. Il s’agit aussi de préciser ce que veut dire “illibéraux”.

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Marine Le Pen donne-elle des gages pour une union des droites?

Je dis moi que si le libéralisme pose problème, il faudra lui trouver des réponses sur chaque thématique, sociale, économique, politique, civilisationnelle, qui sont déterminantes aujourd’hui. La réflexion est en cours, mais on ne parvient pas à recréer une dynamique, car Emmanuel Macron a dynamité l’UMP: cette union maladroite et contre nature de l’UDF (Union pour la Démocratie Française) et du RPR (Rassemblement pour la République). Elle a tenu quelques années, mais Macron l’a fracturée. Résultat: toutes les sensibilités plutôt UDF ont rejoint Macron et celles plus proches du RPR ont rejoint Marine Le Pen. Ceux qui sont aujourd’hui chez Les Républicains de sensibilité RPR, ils se retrouvent tout seuls. Refaire une droite à l’ancienne, ça supposerait de refracturer LREM et récupérer ceux qui sont partis chez Macron. Sachant que celui-ci a toutes les chances de gagner en 2022, qui ferait ce choix? En réalité, de plus en plus de libéraux vont rejoindre Macron. De plus, il durcit son discours, et ce qu’il perd sur sa gauche, il le récupère sur sa droite, donc ça devient de plus en plus difficile de créer une alternative à droite sur les mêmes conditions de raisonnement. Il faut donc nourrir une réflexion qui soit une alternative au libéralisme, et je crois qu’aujourd’hui il n’y a personne capable de la mettre en place.»  

Sputnik France: L’horizon paraît donc vraiment obscur pour la droite présente à cette convention…

Frédéric Saint Clair: «Absolument… Très obscur oui… On en est vraiment au stade de la réflexion. C’est ce que j’ai fait moi-même en participant à une table ronde de cette convention, j’ai posé des éléments de réflexion: il me semble qu’il faut comprendre aujourd’hui que nous sommes à un changement d’ère. C’est-à-dire qu’on ne veut pas abandonner le libéralisme, mais en même temps, c’est ce libéralisme économique et politique qui est en train de détruire notre écosystème et notre civilisation. Il y a donc urgence à penser une alternative, mais en même temps, on ne veut pas jeter le bébé avec l’eau du bain, parce que ce libéralisme, c’est ce qui constitue la modernité occidentale. Nous sommes donc à l’orée d’une nouvelle forme de compréhension du politique, en lien avec l’écologique et le civilisationnel, et je pense qu’en deux ans, cela ne peut pas être fait. Au niveau partisan, il peut toujours y avoir des surprises, mais je ne crois pas que cela puisse arriver.»    

Sputnik France: Y a-t-il une personnalité politique ou intellectuelle qui aurait déjà des pistes de réflexion intéressantes à la lumière des problématiques que vous venez de soulever?

Frédéric Saint Clair: «Honnêtement, je ne vois personne pour le moment. Je pense que chacun apporte des petites briques, mais on ne voit pas bien le puzzle. Je n’ai pas encore lu d’intellectuel qui propose quelque chose de concret, et ensuite, au niveau des politiques, ils ont deux chapitres de retard. Ils sont encore tous sur les réflexions d’hier… Il y a beaucoup de travail devant nous sur le plan intellectuel: la principale opposition au libéralisme pendant tout le XXe siècle ça a été les totalitarismes et donc une opposition qui nie la liberté des individus…»

Sputnik France: Les libéraux en jouent énormément, d’ailleurs…

Frédéric Saint Clair: «Exactement, vous avez mis le doigt sur le point-clé! Ils ont encore un réflexe idéologique qui date du XXe siècle. La menace n’est plus la même, mais eux pensent que c’est toujours le même problème, et c’est pour ça, qu’ils n’arrivent pas à régler la question civilisationnelle et qu’ils ne voient pas que nous sommes en train de nous faire bouffer culturellement…»  

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