La France et l’Allemagne ont-elles manqué à leur parole envers l’Ukraine?

© AP Photo / Markus SchreiberAngela Merkel et Emmanuel Macron
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Paris et Berlin n’en feraient-ils pas assez pour aider l’Ukraine ou contourneraient-ils les sanctions contre la Russie ? C’est ce qu’a suggéré le nouveau Président ukrainien lors de sa conversation avec Donald Trump, rendue publique par la Maison-Blanche. Sur quelles bases ? Sputnik France a décrypté les propos de Volodymyr Zelynsky.

«Ils ne font pas respecter les sanctions»

La publication de la conversation entre Donald Trump et Volodymyr Zelynsky a fait beaucoup de bruit ces derniers jours, mais un échange au cours de cet entretien n’a pas retenu l’attention qu’il méritait. En effet, durant cet appel, les deux Présidents ont vivement critiqué le manque de soutien de la France et l’Allemagne envers l’Ukraine, et ce, au point d’accuser les deux pays de contourner les sanctions à l’égard de la Russie:

«J’ai parlé à Merkel, et je l’ai même rencontrée. J’ai fait de même avec Emmanuel Macron, et je leur ai dit qu’ils ne faisaient pas le nécessaire au sujet des sanctions. Ils ne font pas respecter les sanctions. Ils ne travaillent pas autant qu’ils devraient pour l’Ukraine», s’est plaint le Président Zelensky auprès de Donald Trump.

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Paris et Berlin contourneraient-ils les sanctions envers la Russie? Seraient-ils en train de laisser tomber l’Ukraine, affaiblie par sa confrontation avec la Russie? L’accusation est grave, c’est un pavé dans la mare qui est pourtant passé inaperçu tant l’actualité politique américaine a pris le dessus.

De son côté, l’Allemagne a démenti par voie de presse ces accusations, citant les chiffres de l’aide allemande depuis le début de la crise ukrainienne : en tout, 1,4 milliard de dollars versés sous différentes formes à l’Ukraine depuis 2014, dont 544 millions consacrés à la coopération au développement. De surcroît, le démenti conteste formellement toute levée des sanctions à l’égard de la Russie et affirme même que les entreprises ne les respectant pas devraient s’attendre à des sanctions de l’État.

​Si aucun démenti n’est sorti du côté français, il n’existe aucune preuve tangible permettant de justifier que Paris n’aurait pas respecté l’un ou l’autre volet des sanctions antirusses.

De quoi parle donc Zelensky quand il affirme au Président américain que Paris et Berlin ne feraient pas respecter les sanctions ? Pour Xavier Moreau, spécialiste de la Russie et de l’Ukraine, contacté par Sputnik France, il ne s’agirait pas du régime de sanctions que les Européens ont mis en place et duquel ils n’ont jamais dérogé:

«Quand il parle de contourner les sanctions à l’égard de la Russie, Volodymyr Zelensky fait référence à la réintégration de la Russie dans le Conseil de l’Europe. Ce à quoi les pays de l’Est de l’Union européenne, l’Ukraine et la Pologne notamment, étaient défavorables. Cette réintégration est largement le fait de la France et de l’Allemagne, d’où le ressentiment du Président ukrainien envers les gouvernements de ces pays», explique Xavier Moreau.

Suite à l’affaire de la Crimée en 2014, la Russie avait été exclue de l’Assemblée parlementaire du Conseil de l’Europe, avant d’y faire son retour à la fin du printemps 2019, au grand dam de Kiev.

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De surcroît, les autorités ukrainiennes redoutent les bruits de rapprochement entre Paris, Berlin et Moscou, qui se font de plus en plus insistants depuis quelques mois. En effet, en France et en Allemagne, les signes de rapprochement symbolique avec la Russie sont de plus en plus abondants. Klaus Ernst, président de la commission de l’économie et de l’énergie du Bundestag, expliquait par exemple, quelques jours avant que la conversation Zelensky-Trump n’ait lieu, qu’il était inutile de poursuivre un tel régime de sanctions contre la Russie:

«Si vous prescrivez un médicament et si vous constatez qu’il n’a aucun effet et, au contraire, qu’il est nocif, y compris pour les entreprises allemandes, vous devez penser que, peut-être, c’est un mauvais médicament», a déclaré le député allemand co-président du parti Die Linke.

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Ces formules sont tout de même à prendre avec des pincettes, tant les ailes néoconservatrices de ces deux pays tendent à tempérer ces élans de rapprochement. De surcroît, du côté russe, la méfiance à l’égard de ces tentatives d’apaisement des tensions est toujours de mise. En effet, qu’il s’agisse du dossier ukrainien ou syrien, l’axe Paris-Berlin est encore loin de s’entendre avec Moscou. Des points de désaccord cruciaux qui empêchent, pour le moment, une quelconque levée de sanctions contre la Russie. Le Drian avait d’ailleurs tempéré toute levée de sanctions estimant qu’il était encore trop tôt pour cela lors de sa visite à Moscou dans le cadre du format «2+2». Et ce, malgré le ton optimiste du Président français lors de la conférence des ambassadeur, au cours de laquelle il proposait de rebattre les cartes avec la Russie.    

​De plus, la publication de ces déclarations du Président ukrainien ne facilite pas la tâche des Européens dans la médiation de ce conflit, car elles sous-tendent qu’ils ont un parti-pris dans le conflit. Elles retirent aux Européens leur statut de médiateur impartial dans le conflit qui oppose la Russie et l’Ukraine:    

«Si Zelensky considère que les Européens n’en font pas assez pour le règlement ukrainien, alors qu’il explique exactement ce que les Européens doivent faire, en tenant compte du fait qu’ils ne peuvent clairement prendre parti dans ce conflit. Les Européens tentent d’agir en tant qu’intermédiaire, ainsi ils doivent prendre en considération les intérêts des deux parties, du moins en faire l’effort. S’ils soutiennent une partie à 100 %, alors il n’y aura pas de solution», explique pour Sputnik le Professeur Niels Diderich, politologue allemand de l’université Libre de Berlin.

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