La côte sud de la Crimée, un patrimoine à dimension internationale

© Photo Yuri MolodkovetsLe Palais de Livadia, palais de villégiature des Romanov, de style renaissance, est le lieu où s'est tenue la conférence de Yalta en 1945
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Malgré la situation politique peu avantageuse pour leur candidature au patrimoine mondial de l’Unesco, les experts du programme «La côte sud de la Crimée –territoire du patrimoine mondial» poursuivent l’enquête sur son patrimoine culturel. L’objectif: être prêt au moment propice pour déposer le dossier complet à l’institution onusienne.

La Crimée était à l’honneur du Centre culturel et spirituel russe à Paris. Début septembre, une exposition photo, montée dans le cadre du projet «La côte Sud de la Crimée –territoire du patrimoine mondial», qui prend exemple sur l’Unesco, a mis en valeur ses hommes et ses paysages.

Brigitte Lacombe, célèbre photographe française installée à New York, a tiré le portrait des «gardiens» de la Crimée: historiens, employés de musée, architectes-paysagistes, viticulteurs, qui ont consacré leur vie à l’étude et à la préservation du patrimoine. Yuri Molodkovets, photographe officiel du Musée l’Ermitage de Saint-Pétersbourg, s’est pour sa part attaché à rendre la beauté des paysages magiques, parcs, palais, domaines, vignobles… un double regard qui montre la richesse exceptionnelle du patrimoine naturel et culturel de la côte Sud de la péninsule.

«C’est un territoire empreint de l’histoire de la Russie des 250 dernières années, raconte à Sputnik Svetlana Adaksina, conservatrice en chef du musée d’État de l’Ermitage. Il est impossible d’en faire abstraction. Où que l’on pose le regard, on voit apparaître les liens avec Catherine la Grande ou la famille impériale russe. Cela ressemble aux strates archéologiques que l’on observe dans chaque point historique ou géographique criméen.»

Une centaine de kilomètres de rivage, de Foros à Alouchta, sont extrêmement riches en monuments architecturaux, historiques, culturels et naturels. Cette côte est notamment connue pour la multitude de parcs botaniques créés depuis l’attachement de la Crimée à l’Empire russe en 1783. La Grande Catherine attribuait volontiers de vastes propriétés à ses sujets, mais exigeait en retour l’aménagement «harmonieux et élégant» des territoires. De nos jours, comme un peu partout dans le monde, ce patrimoine est menacé par les aménagements modernes.En avril 2018, les experts du programme «La côte Sud de la Crimée –territoire du patrimoine mondial», créé par la Fondation de l’académicien Dimitri Likhatchev et le musée de l’Ermitage, dans le sillage de l’Unesco, ont mené une enquête sur le patrimoine culturel de la côte Sud criméenne. Svetlana Adaksina, également responsable de l’expédition archéologique en Crimée-Sud, parle du début d’une «renaissance archéologique» sur ces territoires.

© Photo Yuri Molodkovets«Le problème principal de ces territoires – c’est l’urbanisme. Il est nécessaire de construire avec tact, sans détruire.»
La côte sud de la Crimée, un patrimoine à dimension internationale - Sputnik Afrique
«Le problème principal de ces territoires – c’est l’urbanisme. Il est nécessaire de construire avec tact, sans détruire.»

«Au lieu de s’obstiner sur la recevabilité de la candidature de la côte sud de la Crimée au patrimoine mondial de l’Unesco, nous travaillons sur la remise en état des monuments, en nous référant aux niveaux d’exigence mondiaux les plus élevées, précise Svetlana Adaksina. C’est une sorte de perfectionnisme interne. L’objectif du projet est de trouver des moyens de protéger les monuments et d’attirer l’attention des spécialistes du monde entier sur leur état.»

D’après la conservatrice de l’Ermitage, le travail actuel porte également «sur l’éducation, afin de changer l’attitude envers ces monuments à l’intérieur du pays» et le groupe travaille sur la préparation d’une loi concernant le statut spécial de ces territoires. En dehors de la reconstruction et la restauration des monuments, les scientifiques font face à la croissance de la population, au désir des promoteurs de construire plus d’habitations, plus d’immeubles pour les vacanciers.

«Le problème principal de ces territoires, c’est l’urbanisme, assure Svetlana Adaksina. Il est nécessaire de construire avec tact, sans détruire. Nous avons comme objectif d’obtenir les décisions législatives pour la côte sud de la Crimée qui refléteraient toutes les particularités de ces territoires et cités mémorielles.»

Le groupe d’initiative est confiant dans la réussite du projet, puisque leur «dossier progresse bien au niveau du gouvernement fédéral. Nous avons pris ce projet du développement comme point de départ pour travailler sur l’élaboration de cette loi». Le travail scientifique est minutieux, car «pour obtenir le vote de la loi, il faut avoir une explication claire, justifier précisément à quel besoin elle répond». Et le travail se développe également au niveau international, entre autres avec «les Français, qui n’ont jamais arrêté de venir en Crimée». «Je ne peux pas vous donner le détail de la fréquentation touristique, je remarque juste qu’ils sont là», confesse Svetlana Adaksina. En ce qui concerne le «tourisme scientifique», le centre scientifique de l’Ermitage n’a jamais coupé les ponts avec l’étranger:

«Nos collaborations internationales se développent d’une manière aussi active qu’auparavant, souligne Svetlana Adaksina. Tout comme nous continuons d’avoir des contacts très étroits avec nos collègues ukrainiens. La science n’a pas de frontières. La vocation des gens de culture et des scientifiques, c’est de surmonter les barrières, de surmonter les difficultés d’ordre politique.»

Pour créer un parallèle, Svetlana Adaksina cite le problème entre la Russie et l’Allemagne concernant des objets d’art déplacés lors de la Seconde Guerre mondiale. En 2013, l’Ermitage a exposé ces objets dans le cadre de l’exposition «Âge de bronze, Europe sans frontière», qui a été inaugurée par Poutine et Merkel.

«Cela a témoigné d’une percée du silence qui précédait, se réjouit Svetlana Adaksina. Je pense qu’avec la Crimée, il faut s’attendre à la même perspective de dialogue global, soutenu par la culture et la science.»

Et pour clore ce volet optimiste sur la conservation du patrimoine culturel et naturel, voilà un extraordinaire sujet historique aux accents franco-russes. En 1914-15, à l’initiative d’hommes politiques, de savants et d’artistes, sur la Côte Sud criméenne, apparaissent des villages résidentiels. Après la révolution, nombre de ses résidents sont partis en France. Comme le veut une tradition encore vivace, cette «intelligentsia» et les artistes n’étaient pas fortunés, ils ne pouvaient se permettre de vivre à Menton comme Ivan Bounine, par exemple.

Mais la place ne manquait pas à l’époque sur la Riviera, et ils ont trouvé un site plus modeste et ressemblant par son esprit artistique à leur village russe de vacances: La Favière, près du village de Bormes-les-Mimosas. On rencontrait jadis dans des résidences secondaires modestes cachées dans un splendide écrin de nature, entourées de pins, le poète Sacha Tchorny, les peintres Ivan Bilibine, Natalia Gontcharova, Mikhaïl Larionov, les Obolensky…

À la fin des années 1950 –début 1960, le village subit le même sort que de nombreux sites côtiers et périt sous les pelles des bulldozers lors du bétonnage de la côte. Mais (!) le petit-fils d’une certaine Appolinairia Chvetsova, l’une des premières habitantes de ce village français, s’est lancé dans un procès contre la mairie. Il se battait contre la construction massive, contre le défrichage d’une pinède. Il a mis 15 ans de sa vie dans cette bataille judiciaire. Il a perdu, et une grande marina y a été construite. Mais, au bout de ces quinze ans, au début des années 1970, la société française a pris conscience des dégâts causés à la Côte d’Azur par le bétonnage. La Loi Littoral, qui empêche désormais la construction sans bornes sur les côtes a été adoptée. Et ceci, grâce à l’Affaire de Chvetsov, qui a fait jurisprudence!

«Notre programme de la côte sud criméenne s’inspire de la Loi Littoral. Il a pour objectif de préserver ce patrimoine fragile, mis en péril par notre désir égoïste d’avoir une maison personnelle avec une vue époustouflante, précise pour Sputnik Elena Vitenberg, chef du projet “Côte Sud de la Crimée –le territoire du patrimoine mondial.” Le plus important est que la Russie soit consciente de la valeur de ce patrimoine. Nous gardons l’espoir de pouvoir préserver ce patrimoine qui, au fil des siècles, a été créé avec une participation internationale. »

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