«Nous devons protéger les Marseillais de ces commandos de guerre», a déclaré Samia Ghalli, sénatrice PS des Bouches-du-Rhône. Formule-choc ou réalité? Nous nous sommes entretenus avec un ancien policier marseillais, aujourd’hui Secrétaire national adjoint pour la Province du syndicat de Police Alliance, David-Olivier Reverdy.
Sputnik France: Pourquoi la situation marseillaise est-elle si complexe?
David-Olivier Reverdy: «Les formules-chocs des politiques et de Samia Ghalli, nous sommes habitués, mais pour le coup elle raison: il faut protéger les Marseillais de ces gangs. Il y a une spécificité à Marseille: il y a une centaine de cités et la moitié est classée à risques par la Préfecture de Police, et toutes ces cités se situent dans l’agglomération marseillaise. On a l’habitude d’avoir des cités dans les communes limitrophes, à Marseille c’est différent! C’est Marseille, dans ses 16 arrondissements, qui concentre la totalité de ces cités. Cela crée un problème d’autant plus aigu que la population urbaine se trouve au cœur d’une cité!»
Sputnik France: vous évoquez le risque considérable de victimes collatérales…
David-Olivier Reverdy: «On sait que le territoire marseillais est peu étendu, très concentré, au maximum une centaine de km2. La bande littorale freine d’un côté son étendue et de l’autre côté, quelques reliefs bloquent la ville. Qui dit trafic suppose des luttes de territoire pour l’accroître, ce qui explique le nombre de victimes de plus en important, année après année.»
Sputnik France: Justement, comment décririez-vous l’évolution du trafic de drogue depuis une décennie?
David-Olivier Reverdy: «Ça s’enracine, ça s’implante, et c’est parti pour durer longtemps: le trafic est extrêmement lucratif. Ce sont plusieurs centaines de millions d’euros pour les grosses cités, des sommes astronomiques! Un réseau fait vivre des dizaines de familles. [35 milliards d’euros pour la France, ndlr].
Lorsque l’action de la police permet de faire tomber un réseau, on sait que, dans les heures qui suivent, une nouvelle organisation prend sa place. Pour nous, il faut repartir à l’assaut et recommencer à chaque fois: toutes les cités ont vu leur tête de réseau tomber, mais chacune est de nouveau organisée. On a l’impression d’écoper la mer à la petite cuillère.»
Sputnik France: Alors qu’attendez-vous de la création de l’Office anti-stupéfiants (Ofast), présenté par Christophe Castaner comme le «chef de file unique de la lutte contre les trafics de drogue, sur le modèle de la DGSI pour la lutte antiterroriste»?
David-Olivier Reverdy: «Nous sommes habitués à Marseille à voir les plans antistups se succéder depuis une dizaine d’années. On se rend compte qu’aucun plan ne parvient à juguler l’extension des trafics. Le collatéral, ce sont les règlements de comptes. Sans trafic de stupéfiants, il y aurait largement moins de règlements de comptes [80% des règlements de comptes en France sont en effet liés à ce trafic, ndlr]. C’est ce qui donne l’occasion aux politiques d’employer des mots durs –la “gangrène des cités”, le “recours à l’armée”, etc. On ne peut pas aujourd’hui admettre que des gens utilisent des kalachnikovs en milieu urbain.»
«Les trafiquants, ils s’en foutent pas mal que l’OCTRIS est morte et que l’OFAST vient de naître!»
Sputnik France: Si je vous comprends bien, Christophe Castaner ne sera pas en mesure de vaincre ces «commandos de guerre» dans la cité phocéenne? Rappelons que l’Ofast remplacera le 1 janvier 2020 l’Office Central pour la Répression du Trafic Illicite des Stupéfiants (Octris).
David-Olivier Reverdy: «On est parti sur des années et des années, le problème est largement plus important que la situation marseillaise: c’est un problème international. On sait que des paysans dans de nombreux pays ne subsistent que par la culture de la marijuana ou de la coca, etc. Tant que l’on n’a pas réglé les problématiques dans ces pays-là, il y aura toujours du trafic. Forcément, tant qu’il sera aussi lucratif, on se retrouvera avec des gens qui n’auront rien d’autre à perdre que de risquer leur vie pour gagner des sommes astronomiques. Et les trafiquants, ils s’en foutent pas mal que l’OCTRIS est morte et que l’OFAST vient de naître! Quel est son contenu, et surtout quels sont les moyens pour la lutte contre les stupéfiants? C’est là où nous attendons le ministre au tournant. Ça fait dix ans que nous voyons venir les ministres sans voir de baisse significative des trafics ou des règlements de compte…»
«Nous croulons sous la paperasse, c’est du temps perdu pour rien!»
Sputnik France: est-ce un problème de moyens ou doit-on approfondir le problème?
David-Olivier Reverdy: «Les moyens ne sont jamais suffisants, mais il y a aussi les difficultés rencontrées par les policiers sur le terrain, notamment au niveau de la procédure pénale. Elles sont de plus en plus complexes pour nous et de plus en plus favorables au mis en cause. Il faut changer l’arsenal juridique. La dernière proposition [de Christophe Castaner, ndlr] est d’adapter les moyens juridiques à la lutte contre les stups, ça a été clairement dit, ce qui est un aveu face à la criminalité organisée. Nous avons besoin de travailler plus vite et plus sereinement, avec des lois de procédure pénale plus simples –elles sont censées avoir été simplifiées en février dernier!
Nous croulons sous la paperasse, c’est du temps perdu pour rien! Sur une centaine de procès-verbaux dans un dossier, 70 ne sert à pas grand-chose, seuls 30 seront utiles: les 70, c’est du temps en moins à travailler sur le fond du dossier, à être productifs dans la lutte antidrogue.»
Sputnik France: Christophe Castaner a déclaré vouloir «frapper fort». Rien dans les 55 mesures proposées n’obtient votre satisfaction?
David-Olivier Reverdy: «Il y a un point intéressant, c’est la cellule de renseignements opérationnels: c’est la collecte d’information [Mesure 1 du plan: “mission de recueil et de renseignement criminel à des fins de partage entre les services”, ndlr]. Le pilotage de l’OFAST, centralisé, est plutôt une bonne chose: ça devrait permettre à la Police de ne pas se marcher sur les pieds entre différents services, de ne pas travailler pour rien. Ça devrait permettre une meilleure circulation de l’info, et donc une meilleure compréhension du phénomène stupéfiant dans une ville, à Marseille ou ailleurs. Ça permet de travailler en meilleure intelligence.
«Il faut globaliser la lutte et non la morceler!»
Associer les douanes, les impôts et la gendarmerie est important: on ne travaille pas sur les mêmes zones, néanmoins le phénomène stupéfiant est global et nous avons besoin de celle-ci pour l’actualisation des procédures. La cellule de renseignements opérationnels permettra de faire travailler les différents ministères et de ne pas oublier les acteurs locaux, porteurs de renseignements. Sans oublier les bailleurs sociaux, puisque ces cités sont gérées par les bailleurs sociaux, qui ont eux aussi des choses à dire. Il faut globaliser la lutte et non la morceler. Sur ce point, on est sur la bonne voie.»