Pour Francis Perrin, Directeur de recherche à l’Institut de Relations Internationales et Stratégiques (IRIS) et chercheur associé au Policy Center for the New South, à Rabat, ces déclarations du Président américain ne sont pourtant qu’un élément secondaire dans la crise qui s’annonce.
«Si quand l’Arabie saoudite réduit sa production de force de près de 60%, les prix du pétrole n’augmentaient pas, on se demande ce qui pourrait faire augmenter les prix du pétrole!»
Celui-ci revient sur les importants dommages, infligés par le raid de drones, revendiqué par les rebelles Houthis. Des dégâts infligés à une usine de traitement d’Abqaïq et aux installations du champ pétrolier de Khuraïs, qui amputent le royaume wahhabite de 60% de sa capacité de production, soit une coupe nette de 5,7 millions de barils par jour, ce qui réduit de 6% les exportations mondiales de pétrole.
Pour Francis Perrin, s’«il y aura forcément un impact haussier» à court terme, avec une répercussion de cette hausse des cours sur les prix à la pompe. Le spécialiste des problématiques énergétiques tient toutefois à se montrer rassurant quant à son ampleur, rappelant qu’en France «les prix du pétrole ne représentent pas plus de 30% dans ce que l’automobiliste paie à la pompe», le reste étant des taxes.
Afin d’évaluer les conséquences à long terme de l’épisode de ce week-end sur les prix, il reste à savoir pour notre intervenant quand les Saoudiens recouvreront leur capacité de production d’avant l’attaque, dans quelle mesure ils feront d’ici là appel à leurs stocks, si d’autres pays producteurs tenteront de «limiter les dégâts» ou si les pays importateurs– membres de l’Agence internationale de l’énergie (AIE, basée à Paris)– feront eux-mêmes appel à leurs stocks stratégiques pour lisser dans le temps l’effet de cette baisse de production.
«On a en France trois mois de stocks de réserve», rappelait d’ailleurs lundi à l’AFP Francis Duseux, président de l’Union française des industries pétrolières (UFIP). Cinquième et dernière inconnue pesant sur l’évolution des cours mondiaux de l’énergie: la possible résurgence d’une attaque de ce type. Difficile de se projeter dans l’avenir avec certitude, compte tenu de ce faisceau d’éléments, estime Francis Perrin.
«Si on a la réponse à toutes ces questions-là, on saura ce qui va se passer pour les prix du pétrole dans les jours et les semaines qui viennent», insiste-t-il.
«On est face à quelque chose de beaucoup plus important que les attaques précédentes qui ont eu lieu dans la même région […] On a franchi plusieurs crans dans la montée des tensions et sur le plan purement pétrolier, l’impact est beaucoup plus considérable que ce qui s’est passé depuis le mois de mai.»
Ainsi, même si l’attaque a été revendiquée par les rebelles yéménites Houthis, pour Francis Perrin le coupable semble tout désigné.
«Ce n’est pas tout à fait par hasard si depuis le début du mois de mai, il se passe des choses curieuses au Moyen-Orient. À moins que l’on ne veuille y voir uniquement une coïncidence. Mais si on croit ce type de coïncidences, on peut croire aussi au père Noël», ajoute notre intervenant.
Il souligne que le doute persiste quant au fait que l’attaque de drones ait été lancée depuis le Yémen. Notons que les installations visées sont toutes deux au nord-est de Riyad, plus proche du Golfe persique que de la frontière yéménite.
Mais au-delà de la dimension purement géostratégique de cet évènement et de ses répercussions sur la stabilité mondiale, celui-ci tombe particulièrement mal pour le gouvernement français. En effet, l’exécutif finalise sa copie pour le budget 2020 et le projet de loi finances (PLF) doit être présenté au Parlement le 25 septembre.
Si, comme à l’accoutumée, celui-ci est annoncé par comme étant un «budget de pouvoir d’achat», non sans provoquer des spéculations quant aux mesures qu’il comportera, une chose est sûre, ce premier budget de «l’acte II» du quinquennat Macron sera le premier depuis le début de la crise des Gilets jaunes. Une crise majeure qui avait été déclenchée par la volonté du gouvernement d’augmenter, au nom de la transition écologique, les taxes sur les carburants fossiles.
Une hausse des prix à la pompe pourrait donc avoir un impact non seulement sur le portefeuille des Français, mais également sur l’agenda du gouvernement, si ce dernier prévoyait une hausse des taxes sur les carburants. Par ailleurs, si celle-ci était prévue, renoncer à une hausse grèverait mécaniquement les recettes, alors même que le déficit public a déjà été revu plusieurs fois à la hausse ces derniers mois. Un impact potentiel sur les plans du gouvernement en matière de fiscalité, que confirme Francis Perrin.
«C’est là où on verra si pour la taxe carbone, le gouvernement français tente de repartir un petit peu à la hausse à compter de 2020 ou si –ne voulant pas réveiller le mouvement des Gilets jaunes, qui s’est depuis affaibli– il préfère encore attendre»,
En effet, pour apaiser la crise des Gilets jaunes, Emmanuel Macron avait promis de ne pas augmenter les taxes… en 2019, ne faisant ainsi que repousser l’entrée en vigueur de la fameuse «taxe carbone». Pour rappel, cette année-là, les hausses fiscales sur les carburants se chiffraient à hauteur de 6,5 centimes d’euros supplémentaires par litre de diesel et de 2,9 centimes supplémentaires par litre d’essence. Or, il ne s’agissait que d’une première étape des hausses fiscales sur les carburants, que le gouvernement avait étalée jusqu’en 2022. Par ailleurs, tout comme avant la crise, la transition écologique (malgré les coupes dans les effectifs du ministère éponyme) est toujours à l’ordre du jour et tiendrait même une place de choix dans l’augmentation des dépenses de l’État souhaitées par le gouvernement.
«Si le gouvernement français à l’impression que la hausse peut être durable, évidemment c’est un élément qui peut peser dans la prise de décision concernant l’augmentation –ou pas– des taxes sur les carburants au 1er janvier 2020 et si oui, quel niveau d’augmentation», conclut Francis Perrin.