Laïcité à la québécoise, l’épine électorale dans le pied de Justin Trudeau

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L’opposition de Trudeau à la laïcité québécoise pourrait lui nuire lors du scrutin du 21 octobre. Dans la Belle Province, elle a déjà réduit l’avance des Libéraux sur les Conservateurs. Le conseiller du gouvernement Legault sur la laïcité, Guillaume Rousseau, analyse les impacts de cette position sur la campagne électorale. Entrevue.

Depuis le coup d’envoi de la campagne fédérale, pas un jour ne se passe au Québec sans que Justin Trudeau ne soit questionné sur la laïcité québécoise. En juin dernier, le gouvernement Legault adoptait la Loi 21, qui interdit aux personnes en position d’autorité (juges, enseignants, policiers, gardiens de prison) de porter des signes religieux durant les heures de travail.

Deux jours seulement après le coup d’envoi de la campagne, Justin Trudeau a déclaré que son gouvernement pourrait éventuellement faire invalider cette loi, que 70% des Québécois appuient pourtant. Coup dur pour l’équipe de Trudeau, qui entretenait savamment le flou sur cette question, pour des questions stratégiques évidentes. Rappelons tout de même que le Québec représente à lui seul le quart des sièges à la Chambre des communes.

«Nous ne fermons pas la porte à une intervention éventuelle, parce que ce serait irresponsable qu’un gouvernement fédéral choisisse d’écarter cette option à tout jamais», a déclaré le Premier ministre lors d’un point de presse à Trois-Rivières, le 13 septembre dernier.

Les journalistes ne sont pas les seuls à questionner Justin Trudeau à ce sujet. Partout dans la Belle Province, des citoyens lui demandent de respecter le pouvoir de Québec de légiférer en matière de laïcité.

Le Premier ministre du Québec, François Legault, a aussi appelé tous les chefs de partis fédéraux à s’engager «pour de bon à ne jamais contester la loi». Malgré son opposition à la Loi 21, le parti d’opposition de gauche, Québec solidaire, en a demandé autant à Trudeau, par respect pour l’autonomie du Québec.

La laïcité, question de l’urne au Québec?

Professeur de droit à l’Université de Sherbrooke, Guillaume Rousseau est convaincu que cet enjeu pourrait influencer l’issue du scrutin. M. Rousseau a activement pris part à l’élaboration de la Loi 21 sur la laïcité de l’État, au titre de conseiller du ministre de l’Immigration, Simon Jolin-Barrette. Il estime que les autres thèmes de campagne ont peu de chances de retenir autant l’attention que celui-ci:

«La question de la laïcité pourrait avoir un impact sur le résultat de l’élection fédérale. Et peut-être un impact plus grand que celui envisagé au départ. Certes, il est encore très tôt dans la campagne. Mais pour l’instant, aucun thème majeur ne semble s’imposer.

Justin Trudeau veut imposer la peur que pourrait inspirer Andrew Scheer [le chef du Parti conservateur, ndlr], notamment concernant l’avortement et les compressions budgétaires qu’il préconise. Dans la mesure où Scheer promet de ne pas légiférer concernant l’avortement, on voit mal comment cela pourrait devenir aussi décisif», explique Guillaume Rousseau à Sputnik.

Le professeur estime probable que les questions liées à l’identité québécoise reviennent au centre du débat dans le contexte actuel. Après tout, la place du Québec dans la fédération a souvent fait l’objet d’intenses débats, surtout à l’occasion des deux référendums sur sa souveraineté (1980 et 1995).

«Le contexte de la fin des années 1990 et du début des années 2000 ayant été fortement marqué par des questions financières, on a peut-être oublié à quel point, historiquement, les thèmes plus liés à la question nationale ont souvent été importants lors des élections fédérales, surtout au Québec. La laïcité étant aujourd’hui au centre de la question nationale, il est normal qu’elle ressorte lors de cette élection fédérale», a poursuivi M. Rousseau.

Comme d’autres analystes, Guillaume Rousseau observe que cette position des Libéraux contre la Loi 21 pourrait fortement les désavantager:

«L’impact exact qu’aura cet enjeu sur l’élection reste imprévisible. Pour le moment, cela semble nuire aux Libéraux, qui sont en porte-à-faux avec l’opinion majoritaire des francophones. À mon avis, le fait que leur point de vue reste ambigu pourrait aussi leur nuire. […] En confirmant leur intention de contester cette loi, ils auraient plu à leur base anglophone de Montréal […]. En confirmant leur intention de ne pas la contester, ils auraient mis fin à la polémique et pu passer à autre chose. Avec une position ambiguë, les Libéraux perdent des appuis des deux côtés», analyse notre interlocuteur.

Un sondage récent réalisé par l’institut Mainstreet montre que les Libéraux ont réduit leur avance au Québec sur leurs principaux rivaux, les Conservateurs. Avant le coup d’envoi des élections, les Libéraux avaient une avance de 19% sur les Conservateurs, laquelle n’est maintenant plus que de 8,2%. Dans ce contexte, la position des Libéraux favorise les partis plus favorables au maintien de la loi, le Parti conservateur et le Bloc québécois, ce qui se reflète aussi dans ce sondage.

«Les Conservateurs et les bloquistes pourraient profiter de cet enjeu de la laïcité. Les Conservateurs parce qu’ils sont perçus comme moins hostiles que les Libéraux à la loi sur la laïcité et que cet enjeu pourrait détourner l’attention d’autres sujets moins à leur avantage au Québec, comme l’avortement. Le Bloc québécois, parce qu’ils sont les seuls à appuyer fortement la loi sur la laïcité», conclut Guillaume Rousseau.

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