Il avait 46 ans et était affecté à la Direction centrale de la sécurité publique (DDSP) du Havre. Son épouse l’a retrouvé sans vie le 10 septembre. Un 49e suicide depuis le début du mois de janvier au sein de la police nationale. Un bilan encore plus terrible qu’en 2018, année qui avait vu 35 gardiens de la paix s’ôter la vie. Dans le même temps, au lendemain d’une véritable scène de guérilla urbaine à Grigny (Essonne), les policiers de Quimper ont été victimes, en compagnie de pompiers et gendarmes, de violences urbaines dans la nuit du 10 septembre.
«Violences inacceptables ce soir à Quimper par quelques dizaines d’individus contre des policiers, pompiers et gendarmes en intervention», ont indiqué les services de l’État du département.
Un message dont la teneur ne fait que trop se répéter pour des policiers excédés, qui ont décidé d’envoyer un message fort aux autorités. Ils battront le pavé le 2 octobre à Paris. «Une marche de la colère» présentée comme «historique». Gardiens de la paix, officiers, commissaires, syndicats représentatifs ou non, personnels administratifs et de police technique et scientifique, ce ne sont pas moins d’une vingtaine d’organisations qui ont appelé à manifester.
TOUS LES CORPS DE POLICIERS : ACTIFS, ADS, ADMINISTRATIFS, TECHNIQUES ET SCIENTIFIQUES UNIS DANS LA LUTTE CONTRE LE SUICIDE ET LES AGRESSIONS POUR UNE MARCHE NATIONALE DE LA COLERE, LE MERCREDI 02 OCTOBRE 2019 A 12H30 A PARIS@Place_Beauvau @PoliceNationale @prefpolice pic.twitter.com/rIKvnkm3v6
— ALLIANCE PN (@alliancepolice) September 10, 2019
Le communiqué de l’intersyndicale s’articule autour de cinq revendications:
«L’amélioration de la qualité de vie au travail, une véritable politique sociale pour les agents du ministère de l’Intérieur (transports, logement, restauration, garde d’enfants, mutuelle…), une réponse pénale réelle, efficace et dissuasive, la défense de [nos] retraites et une loi de programmation ambitieuse pour un service public de qualité.»
David Le Bars, secrétaire général du syndicat national des commissaires de la police nationale (SCPN-Unsa) prévient:
«Nous sommes à un tournant. Cette marche s’adresse à l’ensemble de la classe politique et d’abord à ceux qui sont aux manettes.»
Un événement qui intervient dans un contexte social tendu pour le gouvernement. Les Gilets jaunes devraient faire leur grand retour le 21 septembre, avec notamment une manifestation nationale à Paris. Le secteur de la santé est toujours secoué par une grogne d’ampleur et l’explosive réforme des retraites fait se lever un fort vent de contestation. Les pompiers, après une grève cet été, appellent également à marcher dans Paris le 15 octobre pour «une manifestation nationale».
Sputnik France a contacté Michel Thooris, secrétaire général du syndicat France Police-Policiers en colère. Son organisation participera à la mobilisation du 2 octobre. Il nous livre son analyse de la situation. Entretien.
Sputnik France: «Il est grand temps de lancer le premier avertissement en haut lieu», a déclaré Fabien Vanhemelryck, secrétaire général du syndicat de police Alliance. Si vous n’êtes pas entendus, pourriez-vous aller jusqu’à demander la tête de Cristophe Castaner?
Michel Thooris: «Je ne peux pas me prononcer au nom de l’intersyndicale. Ce mouvement rassemble presque toutes les sensibilités qui existent au sein du ministère de l’Intérieur. Quelles peuvent être les orientations que prendra ce mouvement par la suite? Je ne peux pas me prononcer en l’état. En revanche, du côté de notre organisation, nous assumons être clairement dans l’opposition au gouvernement. Effectivement, de notre côté, nous pourrions aller jusqu’à demander un changement de ministre si nous n’étions pas entendus sur les sujets qui nous préoccupent.»
Sputnik France: Le même Fabien Vanhemelryck assure que le gouvernement sous-estime «le pouvoir de nuisance» que la police peut avoir si «elle commence à se mettre en colère». Comment pourrait se manifester ce pouvoir de nuisance?
Michel Thooris: «Là encore, je le laisse juge de ses propos. Mais il est évident que s’il y avait eu au plus fort de la crise des Gilets jaunes des policiers qui avaient décidé de se mettre en service minimum, on imagine bien ce que cela aurait pu donner. Il a fallu évidemment qu’ils fassent beaucoup plus qu’un service minimum pour arriver à contenir la colère du peuple vis-à-vis du pouvoir politique.»
Sputnik France: Plusieurs responsables syndicaux parlent de la plus grande mobilisation de policiers depuis 2001. Il semble que les syndicats aient réussi cette fois à surmonter leurs différends…
Michel Thooris: «C’est exact. Depuis 2001, nous n’avions pas eu d’intersyndicale qui avait véritablement réussi à se mettre en œuvre autour d’un sujet commun avec un objectif commun. Cette intersyndicale regroupe personnels actifs, administratifs, techniques ou scientifiques. De ce point de vue là, nous avons, au moins sur le papier, réussi quelque chose d’historique. Du côté de notre organisation, nous nous sommes interrogés sur notre participation à cette intersyndicale. Nous ne cachons pas être très critiques à l’égard des syndicats majoritaires: nous considérons qu’ils portent une part de responsabilité dans la crise actuelle. Reste que nous n’avons pas voulu jouer les diviseurs. De plus, le paysage syndical dans la police est en évolution. Des secrétaires généraux partent à la retraite, d’autres arrivent. Nous souhaitons donner une chance à une nouvelle génération de syndicalistes, même s’ils arrivent avec l’étiquette d’organisations que je qualifie de préhistoriques, de montrer qu’ils veulent réellement défendre l’intérêt de nos collègues. Il aurait été déraisonnable de notre part de ne pas participer à cette volonté d’union autour d’un sujet majeur, qui est celui du suicide des policiers.»
Sputnik France: Le retour en force des Gilets jaunes est annoncé pour le 21 septembre, avec une multitude d’événements organisés, certains depuis plusieurs semaines. Est-ce que vos collègues craignent de repartir pour une nouvelle année très difficile au niveau du maintien de l’ordre?
Michel Thooris: «C’est très compliqué à dire. Le mouvement des Gilets jaunes a connu plusieurs phases. Au départ, le mouvement historique du 17 novembre 2018 a rassemblé le peuple français dans toute sa diversité, avec une grande majorité d’individus qui n’avaient jamais manifesté, qui n’étaient pas des militants. Cette frange s’est rapidement effritée de par le manque de sécurité entre le risque de se faire écraser par une voiture ou de prendre un tir de flashball dans les manifestations. Un bon nombre des Français moyens qui constituaient les premiers Gilets jaunes ont cessé de manifester. Petit à petit, cette population a été remplacée dans les cortèges par des manifestants et agitateurs professionnels, qui sont venus avec leurs techniques violentes de manifestation pour systématiquement faire dégénérer la situation avec les forces de l’ordre. Est-ce qu’aujourd’hui le mouvement des Gilets jaunes est capable de faire redescendre dans la rue la France des oubliés, la France du petit peuple en colère? J’en doute. Il faudra observer comment le mouvement pourra continuer d’exister et à quels défis sécuritaires nous devrons faire face dans les prochaines semaines.»
Sputnik France: Une intersyndicale de pompiers a également appelé à une manifestation nationale le 15 octobre à Paris. Pourrait-on assister à une convergence des luttes entre policiers et pompiers?
Michel Thooris: «Il le faudrait. Nous l’appelons de nos vœux. Je pense qu’elle doit même aller au-delà des pompiers. La lutte doit rassembler tous les acteurs de la sécurité en France. Je pense notamment à nos collègues surveillants pénitenciers, qui souffrent terriblement, mais aussi à nos collègues douaniers. Concernant les gendarmes, leur statut militaire rend difficile une contestation, mais ils peuvent toujours se faire représenter par le biais d’associations et se faire entendre. Des agents de la RATP sont armés et exercent des missions semblables aux nôtres de même que certains agents de la SNCF. Tous ces acteurs de la sécurité souffrent aujourd’hui et n’en peuvent plus de l’absence de réponse pénale appropriée quand ils font leur travail. Sans parler des agressions subies au quotidien, qui vont de l’incivilité à la tentative de meurtre. Oui, il faut une convergence des luttes afin de peser lourd sur le gouvernement et obliger les politiciens à prendre des mesures réelles et concrètes.»