Discours de Paul Biya sur la crise anglophone au Cameroun: «il prend en main la direction des affaires»

© AP Photo / Lintao Zhang / PoolPaul Biya
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Le Président du Cameroun a fait une allocution radiotélévisée «surprise», au cours de laquelle il a présenté une série de mesures visant à résoudre la crise séparatiste qui secoue les régions anglophones du pays depuis bientôt trois ans. Olivier Piot, grand reporter spécialiste de l’Afrique, revient pour Sputnik sur le discours du chef d’État.

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Crise séparatiste au Cameroun, Paul Biya annonce l’ouverture d’un «dialogue national»
«L’intervention présidentielle la plus attendue de l’histoire du pays». Mardi 10 septembre au soir, à l’approche de la prise de parole du Président Paul Biya, en français et en anglais, le service public camerounais ne faisait pas dans la demi-mesure.

Il faut dire que les Camerounais s’étaient habitués à voir leur Président, en exercice depuis 36 ans, ne s’adresser directement à eux qu’à l’occasion d’un discours de fin d’année et lors de la fête de la jeunesse, en février. Alors que depuis près de trois ans, le pays est en proie à une grave crise sociopolitique, la prise de parole du chef de l’État était ainsi plus qu’attendue. Une attente d’autant plus exacerbée que la tenue de cette allocution ne fut annoncée que lundi soir, après avoir été une première fois reportée samedi.

Point d’orgue de ce discours de trente minutes, intégralement consacré à la crise séparatiste qui fait rage dans les régions anglophones du pays depuis fin 2016, l’annonce de l’ouverture d’ici la fin du mois de septembre d’un «grand dialogue national» auxquels tous seraient conviés, notamment la diaspora, que des «délégations» iront rencontrer «dans les prochains jours». Aux mesures mises en place en faveur du «bilinguisme» et du «multiculturalisme», ou encore de l’«accélér [ation] du processus de décentralisation», Paul Biya a également promis la grâce pour les combattants qui déposeraient les armes.

Une intervention présidentielle «à la mesure de la crise que traverse aujourd’hui le Cameroun», réagit auprès de Sputnik Olivier Piot, grand reporter spécialiste de l’Afrique, ancien journaliste au Monde diplomatique et fondateur de plateforme franco-africaine de formation de journalistes africains Médias & Démocratie.

Ce dernier rappelle ainsi les ravages causés par ce conflit qui oppose dans les deux régions anglophones (Nord-ouest et Sud-ouest) des groupes armés aux troupes gouvernementales, à savoir près de 2.000 morts un demi-million de déplacés, dont plusieurs dizaines de milliers au Nigeria voisin.

«Je crois que le Président du Cameroun a pris la mesure de l’importance de cette crise et surtout de prendre en main, lui, personnellement, la direction des affaires, alors que jusqu’ici les Camerounais pouvaient lui reprocher d’être dans le silence. Donc je crois qu’il a souhaité par ce discours marquer une étape dans cette crise et s’adresser aux Camerounais comme le Père de la nation», estime Olivier Piot.

Il regrette toutefois que cette prise de parole présidentielle, sur ce qui «est bien l’une des plus graves crises de l’histoire du pays», n’ait pas eu lieu plus tôt. Autre regret, si Paul Biya «ouvre la voie du dialogue» et semble avoir «pris en compte la question du pardon», notre intervenant souligne néanmoins l’absence de «signe clair de pardon» à l’égard des prisonniers. S’ajoute à cela l’absence de reconnaissance de la part de responsabilité de l’État camerounais dans l’aggravation de la crise.

«D’une crise localisée, radicalisée, corporatiste, on est quand même arrivé à une situation de quasi-guerre civile», déplore Olivier Piot.

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«La crise séparatiste au Cameroun, aussi meurtrière en 20 mois que Boko Haram en 4 ans»
Dans son discours, le chef d’État africain déclare avoir, dans un «souci d’apaisement», pris la décision d’arrêter des «poursuites judiciaires pendantes devant les tribunaux militaires» concernant 289 personnes ayant «commis des délits» dans le cadre de la crise anglophone.

Olivier Piot souligne également qu’au-delà des Camerounais, la communauté internationale était dans l’attente de cette intervention présidentielle ainsi que des mesures annoncées. En plus de l’ouverture, le 17 septembre, de la 74e Assemblée générale des Nations unies, notre confrère rappelle les prises de position du Parlement européen. Au mois d’avril, l’instance législative de l’UE avait adopté une résolution concernant la dégradation sociopolitique dans le pays, y dénonçant notamment un «climat répressif» à l’égard des minorités anglophones. À l’époque Bruxelles avait notamment réclamé l’ouverture d’un dialogue national, ainsi que l’amnistie des prisonniers politiques.

Des accusations qu’a balayées mardi soir Paul Biya, évoquant notamment une «prétendue marginalisation des anglophones» et des «idées simplistes et fausses, procédant de la propagande sécessionniste». «La marginalisation, l’exclusion ou la stigmatisation n’ont jamais inspiré l’action des différents gouvernements que j’ai formés depuis mon accession à la magistrature suprême de notre pays» a martelé le chef d’État, rappelant les différentes mesures qui avaient été mise en place pour répondre aux revendications des avocats et professeurs de ces deux régions. Il a souligné de plus que depuis 1992, ses Premiers ministres en étaient tous originaires.

Autre «problème fondamental» de cette crise, que souligne Olivier Piot, la question de la décentralisation. Si le journaliste rappelle que le Président camerounais «dit qu’il n’y a pas de problème de décentralisation» dans la première partie de son discours, mettant en avant les mesures prises telles que la création d’un ministère de la décentralisation, elle est pourtant évoquée parmi les thèmes du futur dialogue national. Notre confrère souligne que c’est là un «point important». En effet, les pouvoirs sont aujourd’hui fortement concentrés à Yaoundé, capitale du Cameroun.

Un pays qui, lorsqu’il fut réunifié en 1961, après les indépendances respectives des territoires sous administration française et britannique, formait une fédération. Le Président camerounais exclut d’emblée tout dialogue sur la question de la sécession pure et simple, revendiquée par certains groupes armés anglophones, rappelant son attachement à «l’unité nationale, l’intégration nationale et le vivre ensemble». Mais, souligne Olivier Piot, Paul Biya s’est bien gardé de prononcer le mot de «fédéralisme».

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