«L’ecsta chinois», la substance de la mort qui terrifie le milieu de la nuit

© AP Photo / Drug Enforcement AdministrationEcstasy pills, which contain MDMA as their main chemical
Ecstasy pills, which contain MDMA as their main chemical - Sputnik Afrique
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De l’ecstasy de plus en plus puissant circule ces derniers mois en Europe. En France, le décès dans la nuit du 31 août d’un jeune homme dans un club parisien a relancé la polémique. L’«ecstasy chinois», une substance surdosée, inquiète tout particulièrement: elle a déjà causé la mort de dizaines de personnes dans le monde.

«Suite à l’accident survenu dans la nuit du samedi 31 août et qui nous a bouleversés, la Préfecture de Police de Paris a prononcé une fermeture administrative immédiate de Dehors Brut à compter d’aujourd’hui [vendredi 6 septembre, ndlr]», annonce dans un communiqué l’équipe dirigeante de Dehors Brut, club techno éphémère prisé des danseurs parisiens. 

Il était ouvert depuis peu et doit déjà fermer ses portes, pour au moins quelques semaines.

Dans la nuit du 31 août, un jeune homme de 21 ans est décédé alors qu’il y passait la soirée avec des amis. Une enquête pour homicide involontaire a été ouverte et confiée à la brigade des stupéfiants. Selon une source judiciaire citée par l’AFP, les premiers éléments confortent l’hypothèse d’un décès par overdose.

«Ses amis ont parlé de quatre ecstasys qui auraient été écrasés et mis dans une bouteille qu’ils partageaient», a déclaré une source proche du dossier.

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Pour le moment, la nature des substances ingérées par le jeune homme n’est pas connue. Mais ce décès a ravivé la polémique sur les mesures à prendre afin d’éviter de nouveaux drames, dans un contexte où les drogues sont de plus en plus «chargées». Le 3 septembre, le Collectif Action Nuit (CAN) a publié un communiqué interpellant les autorités. Il est composé de professionnels et d’experts de la nuit et s’est alarmé de la «recrudescence de consommation de produits stupéfiants particulièrement dangereux».

«Communément appelés “ecstasys”, des produits largement surdosés circulent ces dernières semaines en France, laissant présager une arrivée de produits asiatiques transformés et également surdosés, appelés vulgairement “ecstasy chinois”», alerte le communiqué.

Ce dernier, composé d’une substance appelée N-Ethylnorpentylone, fait des ravages dans le milieu de la nuit depuis des années, à travers le monde entier. Un article remarqué du média spécialiste Mixmag a beaucoup circulé au mois d’août au sein du milieu festif français.

«S’il ressemble bien au premier abord aux habituels cristaux de MDMA, avec des effets similaires les deux premières heures après ingestion, le N-Ethylnorpentylone a des effets secondaires redoutables. La drogue est trois fois plus forte que la MDMA: elle provoque psychose et paranoïa chez les usagers, qui peuvent rester éveillés jusqu’à quatre jours après ingestion», explique le média référence de la nuit.

Un récent rapport de l’Organisation Mondiale de la Santé (OMS) souligne que cette substance a causé la mort de 125 personnes dans le monde entre 2016 et 2018. Très inquiétant et comme le souligne Mixmag, qui cite l’association britannique The Loop, chez nos voisins britanniques, 5% des échantillons de cachets d’ecstasy testés par cette association en 2019 contenaient du N-Ethylnorpentylone.

Plus largement, l’ecstasy est de plus en plus en fort selon l’Observatoire français des drogues et toxicomanies. Cette drogue, qui vise à notamment à provoquer chez l’utilisateur une sensation de bien-être, une désinhibition et une plus grande sensibilité à la musique, possède des teneurs en méthylène -dioxy-métamphétamine (MDMA) de plus en plus élevées.

«Les ecstasys présentent également des teneurs en constante augmentation pour atteindre des niveaux très supérieurs à ce qui pouvait être observé dans les années 2000. Ainsi, alors que la teneur moyenne était de 44 mg de MDMA dans un comprimé en 2009, elle atteint 128 mg en 2017. Les teneurs maximales observées pouvant parfois être supérieures à 300 mg par comprimé, soit une dose très supérieure à la dose considérée comme toxique (autour de 120 mg selon les individus). Cette augmentation des teneurs est en lien avec les nouvelles formes d’ecstasy qui sont apparues en 2011: des comprimés plus gros, aux couleurs plus vives et avec des formes 3D représentant des logos de grandes marques connues», explique l’OFDT.

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Sputnik France a contacté Nicolas*, un fêtard parisien de 31 ans, qui est un consommateur occasionnel des fameuses pilules. Il observe que des produits plus puissants circulent depuis peu dans la capitale:

«La dernière fois que j’ai pris un ecsta, je suis resté éveillé pendant plus de 48 heures. Impossible de dormir. Je suis resté défoncé pendant au moins 12 heures avec un seul cachet, ça ne m’était jamais arrivé. J’ai essayé de dormir après ma soirée, mes, mais jambes me tiraient. Je faisais des cabrioles dans mon lit. C’était dingue. Je ne sais pas si c’était de l’ecsta chinois, mais ce truc était extrêmement chargé.»

«Le vrai problème, c’est qu’au départ les effets ne sont pas très différents de ceux qu’un utilisateur pourrait attendre de la MDMA, mais ils prennent plus de temps à venir. Les gens peuvent alors penser avoir acheté quelque chose de plus faiblement dosé, en prendre davantage et overdoser sans s’en rendre compte», explique à The Telegraph à propos de l’ecstasy chinois Fiona Measham, fondatrice de The Loop.

​Nicolas* se dit «très concerné» par ce qu’il lit au sujet de ces drogues de plus en plus puissantes.

«Il faut toujours prendre un demi-cachet d’abord et attendre un moment pour voir à quel point c’est dosé. C’est le conseil que je pourrais donner à ceux qui veulent continuer à consommer de l’ecsta», explique-t-il.

Contacté par Sputnik France, l'OFDT souligne qu'il ne faut pas céder à la panique concernant «l'ecsta chinois» , du moins dans l'Hexagone :

«A ce stade, l’OFDT ne dispose pas des résultats des analyses qui ont dû être pratiquées pour identifier le/les produit/s pouvant être incriminé/s après l’intoxication mortelle d’un jeune homme de 21 ans il y a 10 jours. L’OFDT n’est  donc pas en mesure d’associer cet événement dramatique et la circulation de tels produits. L’OFDT n’a eu vent d’aucune urgence ou événement sanitaire concernant l’Ephylone récemment, depuis son classement au niveau mondial en mars 2019. Le Système d’identification national des toxiques et des substances (SINTES)  de l’OFDT qui collecte et analyse des produits nouveaux ou susceptibles de présenter un caractère de dangerosité particulière (le plus souvent après la survenue de problèmes sanitaires plus ou moins sérieux ou d’effets inattendus) n’a pas retrouvé cette molécule depuis 2017.»

En mars 2018, le Collectif Action Nuit avait déjà appelé les autorités à agir face à la multiplication des incidents liés à la drogue dans le milieu festif français.

«Nous demandons de disposer de moyens légaux dissuasifs plus efficaces:

- Des campagnes d’information grand public lors de la circulation avérée de produits toxiques dans une ville, un département, une région,

- L’organisation d’une table ronde autour de la question incluant les associations de prévention terrain comme Le Kiosque, Enipse, Fêtez Clairs, la MILDECA et les syndicats professionnels,

- La fouille des clients par des agents de sécurité agréés par le ministère de l’Intérieur,

- Un moyen d’analyse des produits pour prévenir en cas de toxicité mortelle,

- Un guichet unique de l’administration pour traiter le signalement des cas constatés.»

«Le CAN a transmis cinq propositions de mesures urgentes à mettre en œuvre pour lutter contre ce fléau aux ministres de l’Intérieur et de la Santé en mars 2018. Aucune à ce jour n’est en place. Nous le regrettons et rappelons l’urgence de la situation», se désole le collectif dans son dernier communiqué.

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Pour Fédéric Hacquard, adjoint à la vie nocturne de la mairie de Paris, la fermeture administrative prononcée à l’encontre de Dehors Brut ne va pas dans le bon sens. «La sanction tape à côté du problème et est disproportionnée», selon lui.

«Un jeune homme est mort et c’est très grave. Mais le préfet se trompe et prend le problème à l’envers: sanctionner un club qui fait beaucoup de choses dans le domaine de la prévention, c’est un mauvais message», souligne-t-il, avant de rappeler que Dehors Brut «doit être un des seuls clubs en France à avoir une antenne de la protection civile sur place.»

La direction de Dehors Brut est en effet en pointe dans la lutte contre les dangers de la drogue et ne comprend pas la décision de la préfecture de Paris:

«De façon générale, ces fermetures n’ont et ne régleront jamais le fond du problème. Il est donc urgent de déployer une approche différente pour que la responsabilité ne repose plus sur les seules épaules des entrepreneurs de lieux culturels que nous sommes et trop souvent démunis face à un problème de santé nationale.»

Le CAN ne demande pas autre chose:

«Des jeunes meurent. Nous, professionnels de la nuit, revendiquons une considération de l’État à la mesure de l’enjeu, pour éviter de nouvelles tragédies au sein de nos établissements.»

*Le prénom a été changé

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