Au cours des six derniers mois de 2019, la mortalité par intoxication à l’alcool a augmenté de 17,2% en Russie. Cela représente 5.505 personnes, soit près de 6 personnes sur 100.000, mortes d’empoisonnement à l’alcool dans le pays. Ces chiffres figurent dans le rapport du Centre pour l’élaboration de la politique nationale en matière d’alcool.
L’augmentation de la mortalité des citoyens liée à l’alcool dans certaines régions de la Russie a augmenté non pas par dizaines, mais par des centaines de pour cent. Environ 20% des cas d’empoisonnement à l’alcool (1.207 personnes) sont liés à une intoxication et à une exposition à l’alcool «avec des intentions incertaines», ce qui représente 16,6% de plus que l’année précédente. Dans la Classification internationale des maladies, les cas «avec des intentions incertaines» sont ainsi appelés lorsque les experts ne peuvent pas déterminer si la mort est une conséquence d’un accident, d’un meurtre ou d’un suicide. Mais il n’existe pas de standard ni de norme pour le diagnostic d’empoisonnement et d’exposition à l’alcool avec des intentions incertaines. Il est en revanche établi que ce sont les jeunes âgés de 15 à 19 ans qui sont le plus touchés par ces comportements.
Ces chiffres inquiétants restent au centre des préoccupations du gouvernement russe depuis plusieurs décennies. Face à l’urgence de plus en plus pressante d’agir, le Service fédéral antimonopole (FAS) a créé un portail spécial «L’avenir de la Russie. Les projets nationaux», où les projets liés à la santé apparaissent en haut de page. Le projet de «stratégie pour le développement d’un mode de vie sain pour la population, la prévention et le contrôle des maladies non transmissibles» pour la période allant jusqu’en 2025, élaboré par le ministère de la Santé, cite des chiffres inquiétants, malgré «une diminution significative de la consommation de boissons alcoolisées par habitant de 2008 à 2016», qui est «passée de 16,2 litres à 10,3 litres d’éthanol par an et par habitant».
«Cependant, plus de 60% de l’éthanol consommé provient des boissons alcoolisées fortes légales et illégales, ce qui est l’un des taux les plus élevés au monde», soulignent les auteurs du projet.
Un autre point relevé dans le projet, «le contrôle insuffisant» de la vente d’alcool aux mineurs trouve un élément de réponse dans un récent projet de loi du ministère de la Santé qui prévoit de relever l’âge légal pour l’achat de boissons avec une teneur d’alcool supérieure à 16,5%.
«Le ministère de la Santé espère que la loi sur l’augmentation de l’âge légal pour la consommation d’alcool à 21 ans sera adoptée d’ici un an», a déclaré ce 5 septembre Veronika Skvortsova, ministre russe de la Santé, lors d’un entretien avec Sputnik en marge du forum économique de Vladivostok.
Le gouvernement propose trois axes principaux dans ce combat de santé publique: l’augmentation des taxes sur l’alcool, l’interdiction de vendre des boissons alcoolisées par correspondance et l’interdiction de la publicité à la télé et même de ce qu’on appelle la «propagande» de consommation d’alcool dans les films de fiction. Les auteurs du projet proposent notamment d’imposer
«des restrictions législatives aux manifestations télévisées, aux longs-métrages et aux films d’animation, aux clips et aux reportages audio et vidéo, aux émissions de radio relatives à la consommation de tabac, de drogues et d’alcool.»
Les objectifs fixés par le ministère de la Santé à l’horizon de 2025 sont ambitieux: ils visent notamment, de «réduire de 10% la consommation d’alcool absolu par habitant»
La Russie a un riche passé dans la lutte contre ce que l’on appelle communément en russe le Serpent vert (Zelenyï zmiï), appelé en Occident Éléphant rose, ou encore eau de feu dans les populations amérindiennes, si l’on en croit les Westerns. Les bolcheviks ont lancé juste après la Révolution une campagne anti-alcool, qualifié «d’héritage du tsarisme». La campagne de 1929 a mis fin à l’existence de nombreuses brasseries industrielles à Moscou et Saint-Pétersbourg. En 1958, la vente d’alcool a été limitée aux seuls restaurants. 1972 voit la création des «camps de santé» (profilaktoriï, en russe), où on soignait de force la dépendance à l’alcool. Enfin, on se souvient de la fameuse campagne anti-alcool des années 1985-90, au début de la Perestroïka.
Cette dernière a été lancée alors que les chiffres de consommation d’alcool étaient au rouge: en 1984, elle atteignait 10,5 litres d’alcool «officiel» par personne par an et, si on tenait compte de la consommation d’alcool échappant au contrôle étatique, elle pouvait dépasser les 14 litres. Les résultats officiels de cette campagne –à savoir la vente d’alcool divisée par 2,5 et l’augmentation de 2,6 années de l’espérance de vie pour les hommes– ont été contrecarrés par des pertes considérables pour le budget d’État et une perte massive de vignobles, notamment en Crimée.
Le Centre pour l’élaboration de la politique nationale en matière d’alcool s’oppose à une stricte restriction des ventes de boissons alcoolisées en fin de semaine, car «cela pourrait avoir de tristes conséquences». Le phénomène est bien connu: une interdiction entraîne mécaniquement une augmentation des ventes illégales, de la production artisanale et –ce qui constitue le principal danger– la hausse de la consommation de substituts contenant de l’alcool. Donc, il faudrait plus être malin que le Serpent vert et attaquer au niveau culturel, où la propagande autour de la vie saine devrait être innovante, professionnelle et jeune.
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Encore un point sur la position anti-alcool de l’État russe: le ministère de la Santé s’oppose catégoriquement à la vente d’alcool à distance:
«Le ministère de la Santé est catégoriquement contre, catégoriquement... À quoi peut bien conduire le commerce à distance? Toutes ces interdictions, prévues par la loi, seront complètement nivelées», a déclaré à Sputnik Veronika Skvortsova, la ministre russe de la Santé.
Elle a noté qu’au cours des dernières années, «la consommation d’alcool par habitant en Russie a été réduite de moitié». Néanmoins, si cette interdiction était prise, un domaine serait particulièrement affecté: la vente de vin, notamment dans le secteur haut de gamme. Nuancera-t-on la législation?
«Le marché russe est traditionnellement attractif pour les producteurs étrangers de vin: selon le Service fédéral des douanes de Russie, les importations de vin représentaient environ 940 millions d’euros en 2018, alors que la part de la France ne s’élevait qu’à 18,2%», a déclaré récemment à RIA Novosti Mikhaïl Makarov, le représentant du commerce russe en France.