En avance sur son temps
Abram Ioffe fut l'un des premiers, dans le monde scientifique, à croire en la force miraculeuse de l'énergie nucléaire. Toutefois, comme d'autres chercheurs au début des années 1930, il pensait qu'il faudrait attendre plusieurs décennies avant d'obtenir des résultats pratiques dans ce domaine. Tout a changé peu de temps avant la guerre, quand les chercheurs de plusieurs pays à la fois ont créé une nouvelle branche dans la science: la physique nucléaire.
En 1940, Gueorgui Flerov et Konstantin Petrjak ont découvert le phénomène de fission spontanée de l'uranium. Après quoi le présidium de l'Académie des sciences de l'URSS a reçu une note «Sur l'utilisation de l'énergie de la fission de l'uranium dans une réaction en chaîne» signée par Kourtchatov, Flerov et d'autres grands spécialistes. Une commission académique pour l'uranium a été créée.
Mais les recherches ont dû être suspendues au cours des premiers mois de la guerre: le pays a été confronté à des besoins plus urgents, et la maîtrise de l'atome semblait être à la limite du fantastique. Les travaux ont repris seulement fin 1942, quand il s'est avéré que les élaborations de l'arme meurtrière sans précédent en Allemagne hitlérienne et aux États-Unis représentaient déjà une menace pour la sécurité soviétique. Durant cette période, les États-Unis, pour qui travaillaient de facto les meilleurs physiciens de l'Occident, avaient réussi à prendre la tête.
Fin 1944, les chercheurs ont présenté au gouvernement de l'URSS le premier lingot d'uranium très pur. C'était en grande partie le mérite de la «Marie Curie russe»: Zinaïda Erchova, qui dirigeait un laboratoire spécialisé à l'Institut de l'industrie des métaux rares Giredmet. Bien évidemment, les journaux n'en avaient pas parlé.