Alexandre Goodarzy, vous agissez avec SOS Chrétiens d’Orient depuis trois ans dans la ville de Mhardeh. Le siège par les djihadistes a récemment été brisé. Soulagé?
Alexandre Goodarzy: «C’est quelque chose que l’on attendait depuis à peu près huit ans. Cela fait quatre ans que je connais bien Mhardeh et Squelbie, une ville voisine. La poche d’Idleb se trouve au Nord-Ouest de la Syrie, ces deux villes sont au Sud-Ouest de cette poche. La ligne de front était à 500 mètres, elle a reculé de 20 km jusqu’à Khan Cheikhoun. Les gens peuvent vivre en paix. Ils étaient menacés par l’organisation djihadiste Hayat Tahrir al-Cham*, d’anciens d’Al-Nosra*, qui avaient fait allégeance à Al-Qaeda* avant de fusionner avec d’autres groupes. Le nom a changé et ne dit rien aux Occidentaux, mais ils ont les mêmes méthodes: décapitations, propagande et intimidations des civils. Quand on parle “d’opposition” ou de “rebelles modérés”, on parle de ces types-là… À un moment donné, Mhardeh a connu six mois de répit, puis les bombardements ont repris. Ça a été dur. La prise de la région du sud d’Idleb repousse vraiment les terroristes à 20 km. J’ai été proche d’eux pendant près de quatre années. C’est une grande victoire, une grande joie pour les habitants, mais il y a eu trop de morts.»
160 civils ont perdu la vie à Mhardeh. Comment la ville est-elle devenue un symbole de résistance?
A.G.: «Cette petite ville de 23.000 habitants (aujourd’hui 16.000) s’est retrouvée sur la ligne de front. Au sein de sa population, Monsieur Simon El Ouakil a décidé de défendre sa maison, puis son quartier, puis sa ville, et en fait de résister aux terroristes qui menaient des razzias, des braquages. Il a mis toute sa fortune au service de sa communauté: “le terrorisme s’arrêtera ici, on ne se laissera pas intimider, on résistera”, s’est-il dit. Ça fait donc exactement huit ans qu’ils résistent face aux tentatives des terroristes qui viennent d’Idlib, sans expérience militaire. Monsieur Simon était un entrepreneur, ses soldats sont des ouvriers, des boulangers, des étudiants –qui vont étudier à Hama le matin et enfilent le treillis l’après-midi.»
Vous dites que les villageois se sont mobilisés… seuls?
A.G.: «Ils se sont spontanément levés, ils se sont constitués en milice: l’armée syrienne ne pouvait pas être partout. Ils ont assuré leur défense tout seuls. Simon El-Ouakil a mis sa fortune à disposition pour assurer la défense de sa ville. L’armée a fourni quelques armes. Je sais aussi que les Iraniens prennent quelques hommes et les forment en Iran à la manipulation des armes, à confectionner des roquettes, etc. C’est d’ailleurs malheureux de voir que c’est la République islamique d’Iran, chiite, qui défend les minorités chrétiennes au Levant. Ça devrait être le travail de la France, qui préfère financer les “modérés”.»
Qu’a donc réalisé votre ONG, SOS Chrétiens d’Orient, à Mhardeh?
A.G.: «De fait, les hommes participent moins à la vie économique. Nous avons décidé de les aider: nous leur apportons des vivres, particulièrement aux familles dont les époux vont au combat. Nous avons aidé l’hôpital de la ville, en repeignant ses murs, en lui apportant du matériel médical. Nous avons soutenu financièrement les associations de handicapés, pour qu’ils puissent se rendre en centre-ville. Nous avons commencé à aider à la reconstruction, nous venons tout juste de financer la première maison. Nous avons levé 50.000 euros [pour Mhardeh, ndlr], nous avons dépensé environ 10.000 euros pour l’instant: c’est long et difficile, la ville était encore récemment sous les tirs.»
Comment décririez-vous la situation humanitaire dans la zone?
A.G.: «Nous étions les premiers à Mhardeh et à Squelbie. Je sais que dans la zone, l’armée russe procède à des actions humanitaires, protège les habitants de la région, comme les Iraniens et des troupes afghanes chiites sous l’autorité de l’armée iranienne. Ensuite, pour Idleb, il y a beaucoup de mensonges, selon moi. Ils réapparaissent aujourd’hui à Idleb. Je ne suis pas là pour dire que Bachar el-Assad est un ange, mais à la libération d’Alep-Est, j’ai été dans les hôpitaux [en décembre 2016, ndlr]: j’ai rencontré ceux qui avaient vécu sous occupation terroriste. À chaque fois, ils me disaient que les Casques blancs ou Syria Charity étaient des terroristes déguisés en humanitaires.»
*Organisations terroristes interdites en Russie