«J’irai jusqu’au bout»: Mounir Baatour, candidat gay à la présidentielle tunisienne - exclusif

© AFP 2024 FETHI BELAIDMounir Baatour
Mounir Baatour - Sputnik Afrique
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La candidature de Mounir Baatour à la présidentielle tunisienne est une première dans son pays et le monde arabe. Si cet avocat gay fait des droits de la communauté LGBT en Tunisie un point axial dans sa candidature, il refuse, dans un entretien avec Sputnik, que son programme soit réduit à cet aspect.

«On croyait qu’il serait en sécurité en France, mais il s’est avéré que ce n’était pas le cas», c’est par ces mots que l’avocat tunisien Mounir Baatour est revenu sur l’agression «odieuse», commise dans la nuit du 8 au 9 août, envers Nidhal Larbi. Le porte-parole de l’association LGBT tunisienne Shams rentrait chez lui, dans le 11e arrondissement de Paris, quand il a été interpellé par trois jeunes gens. D’après l’association française de lutte contre l’homophobie, IDAHO France, «un homme qui l’avait déjà agressé en Tunisie en 2013 l’a reconnu dans la rue».

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Un militant homosexuel tunisien de la même association que le candidat LGBT à la présidentielle, agressé à Paris - photo

«Il avait été condamné et emprisonné, pendant plus de trois mois, dans un quartier de haute sécurité de la prison Mornaguia [au sud-ouest de Tunis, ndlr] qu’on appelle El-Karraka. C’était des conditions d’incarcération particulièrement dures, dignes d’un criminel dangereux», regrette dans un entretien accordé à Sputnik Mounir Baatour, lui aussi condamné à trois mois de prison, pour des motifs semblables, en 2013.

Fuyant les agressions et les incarcérations, Nidhal Belarbi a été contraint à l’exil. «Nidhal avait été agressé et incarcéré en Tunisie pour son homosexualité. Et c’est grâce à l’association Shams qu’il a réussi à obtenir l’asile en France». Un asile «politique», puisque les personnes persécutées en raison de leur orientation sexuelle sont considérées comme des réfugiés politiques, précise l’avocat tunisien, cofondateur et président de l’association Shams.

Des condamnations se fondant sur l’homosexualité, Mounir Baatour en connaît quelque chose. En 2013, il est lui aussi condamné à trois mois de prison pour « sodomie » avec un mineur de 17 ans. Les faits fondant ce jugement sont toujours contestés par l’intéressé.

Seuls les rapports homosexuels sont incriminés par l’article 230 du code pénal tunisien, à l’exclusion de l’orientation homosexuelle en soi. Toutefois, rappelle Mounir Baatour, les juges ont tendance à élargir le champ d’interprétation de ce texte, «en prononçant des condamnations sur la base de simples échanges de SMS, de conversations sur messageries, de photos, de vidéos, prouvant la simple orientation homosexuelle de la personne, et ce en total désaccord avec le principe de l’interprétation stricte de la loi pénale!», fustige, encore, l’avocat tunisien. L’article controversé prévoit une peine pouvant aller jusqu’à 3 ans de prison. Toutefois, cette limite supérieure est rarement atteinte dans la pratique.

«On attend la formation d’une Cour constitutionnelle pour pouvoir attaquer en justice cet article qui contrevient, à nombre de principes énoncés par la Constitution tunisienne, notamment les articles 21, 23 et 24», poursuit Mounir Baatour.

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Des articles que coiffe un chapitre II de la Constitution intitulé «Droits et libertés». L’article 21 réaffirme le principe d’égalité entre les citoyens devant la loi, sans discrimination. Son alinéa 2 fait de l’État le garant des «libertés et (…) droits individuels et collectifs». L’article 23 énonce le principe de «la dignité de l’être humain et [de] son intégrité physique», et l’article 24 dispose que «l’État protège la vie privée, l’inviolabilité du domicile et le secret des correspondances, des communications et des données personnelles».

En attendant la formation de la Cour constitutionnelle, et l’abrogation éventuelle de l’article 230, le risque demeure réel pour la communauté LGBT. La prison a été un tournant décisif dans la vie de Mounir Baatour, dont l’homosexualité se trouvait, désormais, de notoriété publique. De militant pour les droits de l’homme, et président d’un petit parti politique créé au lendemain de la révolution, il affinera son combat vers un modèle sociétal encore plus protecteur des droits des minorités sexuelles. En 2015, il cofonde l’association Shams, contribuant ainsi à placer la communauté LGBT au cœur du débat. Nonobstant les tabous.

Certes, la Constitution tunisienne trahit bien le vent de libéralisme qui a soufflé sur la Tunisie à la suite de la chute du Président Ben Ali. Mais les mentalités, qui dictent les pratiques sociétales ou administratives, n’ont pas suivi le même cheminement. Malgré son ouverture légendaire, la société tunisienne demeurait, ainsi, particulièrement conservatrice. Les années de crise, de fracture sociale et d’insécurité, si propices aux replis identitaires, ont fait le reste. Si bien que certaines questions, comme l’homosexualité, font encore l’objet de résistances dépassant, parfois, le clivage traditionnel entre progressistes et islamistes.

Il ressort d’une étude publiée en juin dernier par la BBC que seuls 7% de la population tunisienne considérait l’homosexualité comme «acceptable». Le sondage ne précisait pas, toutefois, si ceux qui la jugeaient inacceptable étaient forcément favorables au maintien de sa pénalisation.

​La société civile tunisienne reste le meilleur allié, en tous cas, des abolitionnistes de l’article 230. En juillet 2018, près d’une centaine d’associations tunisiennes apportaient leur soutien aux propositions émises par la COLIBE, la Commission pour les libertés individuelles et l’égalité, mise en place par le Président tunisien de l’époque, Béji Caïd Essebsi. Parmi les propositions phares de cette instance, la dépénalisation de l’homosexualité.

​La recommandation est demeurée lettre morte, toutefois, alors que le Président Caïd-Essebsi préférait se saisir d’une autre proposition de la COLIBE, l’égalité dans l’héritage entre les hommes et les femmes, tandis qu’il engageait les hostilités contre les islamistes. Son décès inopiné, le 25 juillet 2019, provoque l’annonce d’une présidentielle anticipée, le 15 septembre, à laquelle Mounir Baatour, 48 ans, s’est présenté. Son acte a été salué, par nombre d’observateurs occidentaux, comme la première candidature gay du monde arabe. Même si la défense des droits des minorités est présentée, dans les médias, comme son principal cheval de bataille, le président du Parti libéral tunisien (PLT) entend brasser plus large.

«Ma candidature se fonde sur le programme du Parti libéral tunisien, avec des volets économiques, sociaux, culturels, des propositions sur la santé. Il englobe aussi les libertés individuelles et la protection des minorités ethniques, religieuses ou sexuelles. Je suis un militant des droits de l’homme depuis des années, et j’estime que ce que subit la communauté LGBT, en Tunisie, est catastrophique », insiste le candidat à la présidentielle tunisienne.

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Une candidature qui n’est donc pas «symbolique», pour cet avocat qui entend aller «jusqu’au bout» après avoir réussi à réunir 19.565 parrainages citoyens, soit environ le double des signatures requises. Si personne ne se fait d’illusions sur l’issue de cette aventure, le résultat permettra, toutefois, de mesurer l’ampleur d’un éventuel «vote gay» en Tunisie…diminué, peut-être, des voix des militants de 11 associations et collectifs LGBTQ+  de Tunisie. Dans une pétition lancée sur le site change.org, et transmise à des organes de presse, ces organisations se sont désolidarisées du candidat, en déclarant que 

« Nous ne soutiendrons jamais une personne sur la base de son orientation sexuelle, son identité où son expression de genre sans se soucier de ses pratiques »

En cause, de présumées « plaintes recueillies par différentes organisations, de la part d’individus ayant rapporté avoir été abusés sexuellement (dont des personnes mineures) » par l’intéressé, ou encore « les nombreuses violations de la vie privée des gens commises par l’association Shams (…) en publiant des informations privées et personnelles de certains individus LGBTQI+ sans leur consentement dans le seul but d’obtenir un scoop médiatique sans se soucier des dangers auxquels s’exposent ces personnes». Des accusations que Mounir Baatour rejette en bloc.

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