Comment différents facteurs peuvent-ils changer le goût habituel de la bière ou du café?
La musique change tout
Des physiologistes des universités de Bruxelles et d’Oxford ont organisé il y a quelques années une expérience inhabituelle. Ils ont annoncé à trois cents volontaires qu’ils goûteraient des espèces de bière différentes: une bière blonde à 4,5%, une bière triple à 8% et une ale belge à 6%. Les participants devaient goûter deux fois la boisson servie et évaluer ses qualités. Ils ne savaient pas cependant qu’ils dégustaient la même bière dans les deux cas. En formulant ses opinions, pratiquement tout le monde était sûr d’avoir goûté des espèces de bière différentes.
Le secret de l’expérience est assez simple: chaque verre de bière s’accompagnait d'une musique différente. En résultat, le goût a semblé aux participants plus acide, plus amer ou plus alcoolisé qu’en réalité.
Qui plus est, cette approche fonctionnait non seulement avec les boissons alcoolisées. Quand les chercheurs offraient aux volontaires des bonbons avec des accompagnements musicaux variés, les participants affirmaient que leur goût était absolument différent. Ainsi, les sons graves rendaient les bonbons plus amers, alors que les sons aigus renforçaient leur douceur, même s'il s'agissait des mêmes sucreries.
Les auteurs de ces expériences expliquent cette différence gustative par la plasticité du cerveau. La conscience humaine tente sans cesse de soutenir certains sens au détriment des autres. De leur côté, les chercheurs de l’université Cornell (États-Unis) estiment que les sons forts sont capables d’influer mécaniquement sur la corde du tympan, une partie du nerf intermédiaire qui assure notamment la transmission des informations des récepteurs gustatifs de la langue.
Par ailleurs, cet effet explique pourquoi la nourriture servie dans les avions est peu savoureuse. Dans le contexte du bruit fort des engins, audible même dans le compartiment des passagers, la douceur s’affaiblit, alors que les autres qualités gustatives sont au contraire ressenties de manière plus intense. C’est ce qui ressort des remarques des 48 volontaires qui ont dégusté de la nourriture avec l’accompagnement d’un bruit fort d’avion et en silence.
La couleur de la tasse de café
La sensation de la force du café dépend non seulement de la variété des grains et de leur degré de torréfaction, mais aussi de la tasse servie, plus précisément de sa couleur. Cet effet a été découvert par les chercheurs suisses encore en 1979. Les spécialistes ont versé du café à des volontaires dans plusieurs tasses: marron, rouge, bleue et jaune. Près de 73% des participants ont affirmé que la tasse marron contenait le café le plus fort, alors qu’il était en réalité identique à celui des autres tasses.
40 ans après, cette expérience a été recréée par des chercheurs australiens et britanniques, qui ont divisé 18 participants en trois groupes et leur ont servi du café dans des tasses bleues, blanches ou transparentes. Selon les volontaires, la tasse blanche contenait le café le plus fort et le moins sucré, alors que la boisson servie dans la tasse transparente était la plus faible et peu savoureuse.
La couleur de la vaisselle ou de l’emballage influe non seulement sur le café. Ainsi, une mousse de fraises servie sur une assiette blanche semblait 10% plus douce et 15% plus aromatique que celle présentée sur une assiette noire. Qui plus est, le pop-corn salé servi dans un bol rouge a semblé un peu sucré aux participants.
Les chercheurs estiment que l’illusion d’un goût plus marqué s’explique par le contraste de couleur: la vaisselle blanche rend la mousse plus rouge, c’est-à-dire plus douce et plus savoureuse, alors que la nourriture présentée dans l’emballage rouge est considérée comme plus sucrée et plus calorique. Même chose pour les barres chocolatées, qu'une étiquette verte rendait moins caloriques et moins bonnes pour la santé qu’une étiquette rouge aux yeux des consommateurs, alors que les barres étaient absolument identiques dans les deux cas.
Le poids est également important
Ce n’est pas la couleur de l’emballage, mais son poids qui rend le yaourt plus délicieux et plus naturel, affirment les chercheurs de l’université d’Oxford après avoir proposé à plusieurs dizaines de volontaires d’évaluer le goût de ce produit. Les participants ont dégusté le même yaourt de deux pots apparemment similaires. Le premier était cependant 71 grammes plus lourd que le deuxième et contenait, selon les volontaires, un yaourt plus savoureux et plus épais.
On constate une chose similaire avec le Coca Cola, voire l’eau ordinaire. Les gens qui consomment la même boisson dans des gobelets en plastique et en verre estiment que plus lourde est la vaisselle, plus délicieux et - le plus important - plus cher est son contenu. En même temps, les essais à blanc indiquent que la plupart des volontaires sont incapables de distinguer l’eau vendue en bouteille de celle de robinet, si l’on leur sert dans des verres de poids identique dans les deux cas.
Selon le physiologiste britannique Charles Spence, qui a consacré plus de vingt ans aux études de la perception multisensorielle, la connaissance de toutes ces astuces permettra aux consommateurs de manger des aliments utiles et en quantité raisonnable. D’un autre côté, les résultats de ces recherches suscitent aujourd’hui beaucoup d’enthousiasme de la part des grandes entreprises alimentaires qui assurent le financement principal des études de ce genre, fait remarquer Charles Spence.