Une femme tuée tous les deux jours par son conjoint, le scandale des féminicides

© Photo Pixabay/Alexas_FotosActe de violence (image d'illustration)
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Depuis le 1er janvier 2019, en France, 81 femmes ont été tuées dans le cadre familial, soit une tous les deux jours. Bien que la violence faite aux femmes soit la «grande cause du quinquennat», le nombre de féminicides augmente, notamment de la main d’un conjoint, ex-conjoint ou un membre de la famille. Pourquoi? Sputnik a mené l’enquête.

25 juillet: le 81e féminicide par conjoint ou ex-conjoint est recensé par le collectif Féminicides par (Ex) Compagnons pour l’année 2019. En sept mois, 81 femmes ont été assassinées par un homme, de peur qu’elle le quitte, parce qu’il pense que cette femme lui appartient. Le profil type du tueur n’existe pas, n’importe quel homme peut devenir un bourreau. Chaque année, en France, environ 225.000 femmes sont victimes de violences conjugales. Le gouvernement a fait de la violence faite aux femmes la «grande cause» du quinquennat, mais dans les faits, chaque semaine, un nouveau crime est perpétré, sans compter les femmes frappées, humiliées, violées. Les mesures sont-elles réellement appliquées?

Les solutions mises en place

L’année dernière, Marlène Schiappa, secrétaire d’État chargée de l’égalité homme/femme a annoncé un plan de lutte contre les violences conjugales avec quatre mesures: une campagne télé en direction des témoins, un objectif de réponses de 100% au numéro d’urgence 3919, une plateforme de signalement en ligne et de géolocalisation d’hébergements d’urgence pour les femmes en danger, ainsi qu’un dispositif de partage d’alerte entre professionnels. Depuis 2014, un téléphone «grave danger», un smartphone avec un bouton d’urgence relié directement à Mondial Assistance est attribués à certaines femmes. Des associations d’aide aux victimes ont été créées depuis plusieurs années, et un bracelet électronique anti-rapprochement est en développement. Et depuis 2010, les ordonnances de protection interdisent à un homme violent de rentrer en contact avec la victime. Mais est-ce suffisant?

«Le gouvernement fait tout ce qui est en son pouvoir, mais ne pourra pas tout, tout seul. Nous avons besoin que les témoins des violences les dénoncent, que toute la société se ressaisisse. Dans ce but, toutes les bonnes volontés venant de personnalités, d’élus, d’acteurs de terrain… sont bienvenues pour avancer ensemble. En France, au XXIe siècle, il est inadmissible qu’une femme soit tuée tous les trois jours par son conjoint! Nous avons le devoir de faire arrêter cela. C’est un enjeu de civilisation», a déclaré Marlène Schiappa sur RTL.

«Vous allez faire quelque chose quand je serai morte?»

Mars 2019. Julie Douib meurt après que son ex-mari lui ait tiré dessus à deux reprises. Elle avait pourtant déposé plusieurs plaintes au cours de l’année et interpellé les gendarmes maintes fois. «Vous allez faire quelque chose quand je serai morte?», leur a-t-elle lancé quelques semaines avant le drame. En mai, Nathalie Debaillie est enlevée puis tuée par son ex-compagnon. Elle avait déposé une main courante quelques jours avant sa mort, qui n’a pas été suivie d’une enquête. Début juillet, en Seine-St-Denis, une jeune femme enceinte succombe aux coups portés par son compagnon; elle avait déposé une main courante pour violences conjugales la veille. Bien que les plaintes augmentent– une enquête de l’INSEE affirme qu’une femme battue sur cinq ne porte pas plainte, mais lorsqu’elles le font, elles se confrontent souvent à une mauvaise prise en charge des forces de l’ordre, qui les renvoient chez elle. Les forces de l’ordre les orientent-elles suffisamment? Assurent-elles le suivi de ces femmes avec des associations ou des foyers d’hébergement? Les nombreux faits divers recensés permettent d’en douter.

​Les institutions

Quand bien même une plainte est déposée et prise en compte, qu’une enquête est ouverte, qu’un juge ordonne une mesure d’éloignement du mari violent ou un séjour en prison, qu’est-ce qui assure la sécurité de la femme? C’est là où le bracelet anti-rapprochement serait un début de solution. Ce bracelet qui a déjà fait ses preuves en Espagne, permet de géolocaliser l’agresseur et de le maintenir à distance de la victime.

Mais parfois, il est déjà trop tard, soit elles se retrouvent allongées sur une table d’autopsie, soit elles passent de l’autre côté et tuent pour ne pas mourir. En 2018,à Limoges, une femme tue son mari, elle est condamnée à de la prison ferme. L’homme avait déjà été condamné trois fois pour violences conjugales. Elles sont devenues le symbole de ces violences : Alexandra Lange ou Jacqueline Sauvage, ces femmes battues qui en ont eu assez et se sont défendues. Leur histoire ont inspiré des téléfilms, «L’emprise» et «C’était lui ou moi»; l’une a été acquittée, l’autre condamnée, puis graciée par François Hollande. N’oublions pas non plus les dommages collatéraux de ces violences, des enfants orphelins ou parfois eux-mêmes victimes de violences. Plus de 140.000 enfants y sont exposés chaque année selon une étude de l’INSEE-ONDRP de 2017, sans oublier les familles et les proches de ces vies perdues, qui auraient pu être évitées. Cette année, ces familles veulent des actions concrètes.

«Le gouvernement ne fait pas son travail. Avec Édouard Philippe, nous avons fait l’aumône, rien n’a été entendu. On est repartis une main devant, une main derrière. C’est très bien que les associations fassent le boulot… Elles font le boulot, mais dans des situations précaires, il n’y a pas d’argent! Donc soutenons celles qui font le travail, ce n’est pas elles qui devraient faire tout ce travail!», s’emporte Muriel Robin, lors de la manifestation du 6 juillet à Paris réclamant des mesures urgentes contre les féminicides.

«Elles s’appelaient Hélène, Johanna, Annie, Ghylaine, Marion, Évelyne... Elles sont nos mères, nos filles, nos sœurs, nos amies... Et elles ont été lâchement assassinées. La vie leur a été ôtée par leurs bourreaux, des hommes possessifs, pervers ou manipulateurs qui se sont joués d’elles. Ils laissent des familles entières dans un deuil insupportable. Ils laissent des enfants orphelins qui ont parfois assisté au pire et dont la vie est brisée à jamais.» Voilà comment commence la tribune de 35 familles de victimes de féminicides, publiée le 19 juillet sur France Info.

Ces familles proposent des mesures pour le Grenelle des violences conjugales prévu pour septembre, où elles demandent à être reçues par le gouvernement. Elles souhaitent tout d’abord l’inscription du terme féminicide dans le Code pénal. À l’inverse de la Belgique, l’Espagne ou encore l’Argentine, le terme n’est pas inscrit dans la législation française, la loi ne considère donc pas un féminicide comme circonstance aggravante d’un homicide. Au vu du nombre de meurtres, alors même que ces femmes avaient déposé plainte, les signataires de la tribune appellent également à une formation des forces de l’ordre pour une meilleure prise en charge des victimes, mais aussi des témoins qui viennent dénoncer un cas. Parmi les autres mesures préconisées dans ce document, citons l’augmentation du nombre de foyers d’hébergement pour les victimes, un suivi psychologique et le port obligatoire du bracelet électronique pour l’homme violent dès la première condamnation.

«Nous sommes aussi des victimes collatérales totalement oubliées des pouvoirs publics et souvent isolées, nous nous sentons méprisées. Nous pensons aussi à toutes ces femmes aujourd’hui victimes de violences conjugales. Nous le savons: elles vivent dans la peur du passage à l’acte et ne sont ni entendues ni soutenues», soulignent encore les signataires de la tribune.

Un fléau mondial

Selon le dernier rapport sur les homicides des Nations unies, sur les 87.000 féminicides, 50.000 femmes sont mortes à cause de leur conjoint, ex, ou membre de leur famille, soit 58% des féminicides. Les pays d’Asie et d’Afrique sont les plus meurtriers, suivis par l’Amérique (Nord et Sud). L’Europe se retrouve en 3e place et enfin l’Océanie, selon le même rapport. Des chiffres à prendre avec des pincettes: au vu des données manquantes, les comparaisons sont difficiles à établir. Certains pays ne communiquant pas ces dernières ou ne qualifiant pas correctement un homicide en tant que féminicide. Pour ce faire, la police doit identifier le sexe de la victime et le lien entre cette dernière et l’auteur, ce qui n’est pas toujours le cas.

De plus, la législation ou les traditions de certains pays vont même jusqu’à admettre les violences envers les femmes. En Inde, elles n’ont pas le droit de porter plainte pour viol conjugal. Selon une étude menée par la Fondation Thomson Reuters, la Somalie se place en 3e place pour les punitions en lien avec les traditions, lapidations ou attaques à l’acide. Les punitions en cas de déshonneur dans de nombreux pays font froid dans le dos. Au Pakistan, les crimes d’honneur sont récurrents, sous les yeux impassibles des autorités. On ne compte plus les attaques à l’acide, comme celle dont a souffert cette maman célibataire après avoir refusé la demande en mariage d’un homme. En 2015, la Commission des droits de l’Homme a recensé 55 attaques de genre dans le pays pour seulement 17 arrestations.

Pour certains pays, le chemin est encore très, très long.

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