Entre erreurs stratégiques et dogmatisme, comment les politiques ont sapé la France

© REUTERS / Charles PlatiauFrench Economy Minister Emmanuel Macron (L) alongside President Francois Hollande (R). File photo.
French Economy Minister Emmanuel Macron (L) alongside President Francois Hollande (R). File photo. - Sputnik Afrique
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Industrie, travail, élitisme républicain dans l’éducation, centres-ville et discipline économique et financière: tels sont les cinq abandons qui précipitent le déclin économique de la France, selon la Fondation Concorde. Des facteurs, explique le think tank, qui se renforcent l’un l’autre. Retour en détail sur ce cercle vicieux.

Dans son dernier rapport, Les cinq abandons qui font le malheur de la France, le think tank Fondation Concorde tire à boulets rouges sur les décisions politiques de ces dernières décennies tant en matière d’économie, d’emploi, de finances publiques que d’éducation. En effet, cette synthèse d’une quarantaine de pages, réalisée sous la houlette de Michel Rousseau, président et fondateur du laboratoire d’idées, s’attarde sur les causes de la récession industrielle –et économique au sens large– de la France, en allant au-delà des seules décisions prises dans ce domaine bien spécifique. Ce rapport met ainsi en exergue l’interdépendance des différents maillons sociaux-économiques de notre société:

«Notre déclin industriel a pour origine la diffusion d’une croyance collective dans une société post-industrielle et post-travail qui pourrait faire l’impasse sur la production.», synthétise-t-il.

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Jusqu’au début des années 70, les Français étaient encore les «Coréens de l’Europe», devançant en heures de travail par an tant leurs voisins européens que les États-Unis ou le Japon, avec notamment un taux d’absentéisme –hors congés– bien plus bas. Témoin de cet âge d’or, mis en avant dans le rapport du think tank: celui du futurologue américain Hermann Kahn, ainsi que de l’ouvrage «l’Envol de la France» qui s’en inspira, prédisant à la France des années 80 des jours heureux après avoir supplanté l’économie allemande.

Cependant, les réformes socialistes, visant à réduire le chômage en taillant dans l’offre de travail (réductions successives du temps de travail hebdomadaire, ainsi que celle de l’âge de départ à la retraite), couplées à l’augmentation du nombre annuel de jours de congés, ont fait décrocher la durée de travail moyenne annuelle des salariés français et par conséquent leur compétitivité.

500 heures de travail par an et par salarié ont ainsi été perdues dans l’hexagone entre 1970 et 2000, faisant rétrograder la France au rang de cancre des pays développés.

1970-2000, effondrement de la valeur travail: une évolution «considérable»

Des politiques économiques de lutte contre le chômage «axées sur le partage du travail» à l’encontre desquelles l’Institut se montre particulièrement critique: «la création d’emplois par le partage n’a aucun fondement économique théorique ou empirique», assène-t-il.

«La conjugaison d’un faible taux d’emploi et d’une durée de travail réduite font de la France le pays où globalement on travaille le moins dans le monde.»

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À titre d’illustration, si un salarié français travaille plus en moyenne dans l’année qu’un salarié allemand, comme le soulignent régulièrement les grandes chaînes d’information, ces dernières omettent souvent de rappeler que la structure de l’emploi est différente outre-Rhin (recours à l’emploi partiel, taux d’emploi plus élevé). Ainsi, aussi «grossier» ce chiffre soit-il, une fois rapporté à l’ensemble de la population du pays, un Allemand travaille plus en moyenne sur l’année qu’un Français (respectivement 729 heures contre 635).

Non seulement le temps de travail est-il au plus bas, mais «à l’heure actuelle, le taux d’emploi français est l’un des plus faibles de l’OCDE», note le rapport, «Entre la France particulièrement travailleuse de 1970 et le record de la plus faible quantité de travail par habitant, que de chemin parcouru!»

En parallèle, afin de faire face financièrement à cette situation appelant à plus de redistribution, les prélèvements obligatoires sur les acteurs économiques ont été augmentés.

«La France est le pays qui s’est le plus désindustrialisé d’Europe»

Des charges de production supplémentaires qui sont ainsi venues grever un peu plus la compétitivité de la France. Un constat particulièrement handicapant pour l’industrie tricolore:

«Cela nous oblige à accroître nos politiques distributives pour les corriger et ce faisant, à accroître la pression fiscale pour les financer, ce qui dégrade encore davantage notre compétitivité. […] Moins de travail, c’est moins de production et donc moins de recettes fiscales et sociales. Il faut donc augmenter la pression fiscale en multipliant les taxes et en augmentant leurs taux.»

Augmenter les impôts sur la production, un «non-sens économique», qui plus est lorsque ces taxes entrèrent en vigueur, avant d’augmenter sensiblement, au moment du premier choc pétrolier. Ainsi, pour l’auteur du rapport «on ampute ses ressources et on réduit ainsi ses capacités d’adaptation» précipitant encore un peu plus le déclin du secteur industriel tricolore. «En termes de poids de l’industrie dans la valeur ajoutée, la France est le pays qui s’est le plus désindustrialisé d’Europe», souligne-t-il, alors même que les emplois dans l’industrie sont en moyenne mieux rémunérés que dans un secteur tertiaire tant vanté.

«La France n’est pas sortie de ce paradigme post-industriel. Au contraire même, la nouvelle concurrence des pays émergents qui occasionne de douloureuses restructurations industrielles et la montée de la sensibilité écologiste ont diffusé le tropisme anti-industrie à l’ensemble de la société française. L’industrie est devenue synonyme de pollution et de chômage. On vante ainsi le développement des emplois de service parce que “non délocalisables”.»

Autre critère alarmant aux yeux de la fondation Concorde: le niveau de l’éducation en France. Partant des «faibles compétences» de la population française, tout en rappelant que «moins la population est compétente, plus le chômage est élevé et le taux d’emploi faible», le rapport s’interroge «en amont, à la question à la qualité de l’éducation des jeunes.»

«Démocratisation» du savoir, effondrement du niveau scolaire?

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Le document souligne une éducation «fortement dégradée par sa politisation au début des années 1970», flinguant au passage la réforme Jospin de 1989. Le gouvernement socialiste avait alors priorisé l’acquisition d’un «savoir et de construire sa personnalité par sa propre activité», au détriment de l’ancien modèle républicain de l’école publique, qui se donnait comme objectif de fournir un «savoir élémentaire» en écriture, lecture et calcul au plus grand nombre. À l’époque, l’école publique était déjà accusée de contribuer à reproduire les inégalités sociales existantes, certains parents étant plus à même que d’autres d’aider leurs enfants.

«La volonté de démocratiser l’éducation en rompant avec une transmission de la culture jugée élitiste a abouti à l’inverse des objectifs recherchés: la France est la championne des inégalités sociales à l’école», souligne le rapport.

Ainsi, une fois de plus, ces réformes aboutirent au résultat contraire de celui escompté: le niveau scolaire des jeunes Français s’est depuis effondré, ce qui non seulement les discrimine sur le plan international, mais aggrave une nouvelle fois la compétitivité des entreprises sur le territoire national, sans parler de l’impact sur la santé économique du pays à long terme. Pourquoi investir dans un pays où les employés non seulement reviennent plus cher, du fait du haut niveau de prélèvement et d’un temps de travail minimum, tout en étant moins qualifiés?

«La politisation des questions pédagogiques a empêché toute approche rationnelle de cet enjeu fondamental, en particulier pour la question de l’apprentissage de la lecture: la méthode syllabique est accusée de conservatisme, de méthode “de droite”, et est opposée au globalisme réputé “de gauche”, en paralysant les réflexions et les évaluations sur l’efficacité des méthodes.»

En effet, comme le souligne la Fondation Concorde, qui s’attarde sur les effets délétères du dogmatisme dans la prise de telles décisions, il aura fallu attendre 24 ans pour que soit évalué l’effet sur les jeunes Français de cette réforme.

Désindustrialisation, racine du mouvement des Gilets jaunes

Industrie, travail, élitisme républicain, trois premiers «abandons», qui aux yeux des auteurs, trouvent leurs racines dans les mutations des valeurs qui closent les Trente glorieuses.

«On passe de la société de privation, d’effort, d’héroïsme de l’après-guerre à une société d’abondance, de plaisir et de consommation, où règne l’individualisme dans la recherche forcenée de l’épanouissement individuel», développe le rapport.

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À cette situation sociale et économique explosive s’ajoute l’abandon des centres-ville. Face à la vacance toujours plus grande des commerces, grandes et moyennes agglomérations ne sont pas égales. En effet, la désertification touche tout particulièrement les villes de province. Une situation provoquée en partie par le développement des centres commerciaux (qui créent de l’emploi, mais qui sont aujourd’hui menacés par l’e-commerce) et donc par la désertification industrielle (synonyme de chômage) qui a durement touché les territoires ruraux.

«70% des usines étant implantées à proximité de villes petites et moyennes, elle a laissé de vastes portions du territoire en déshérence.»

Une illustration de la fracture territoriale, qui trouve un écho tout particulier sur fond de révolte des Gilets jaunes, dont la mobilisation hebdomadaire n’a pas cessé depuis novembre dernier. D’ailleurs, dès la première ligne de son préambule, le rapport du think tank évoque cette crise comme étant l’«un des symptômes de cette déréliction» de la France.

Fragilité de la France périphérique

Le rapport recoupe d’ailleurs les cartes de la variation d’emplois industriels de ces 20 dernières années avec la carte des votes exprimés en faveur de Marine Le Pen lors du premier tour des élections présidentielles. Sans surprise, les deux se recoupent.

Évoquant «l’extrême fragilité de notre organisation spatiale», l’auteur souligne les conséquences des politiques d’urbanisation qui ont tendu au développement des maisons individuelles et donc des zones urbaines, éloignant toujours plus le salarié de son lieu de travail et surtout le rendant toujours plus dépendant de sa voiture. Or, non seulement cette voiture est aujourd’hui pointée du doigt par les décideurs politiques (la volonté d’augmenter, sous couvert de préservation de l’environnement, les taxes sur les carburants avait mis le feu aux poudres en novembre dernier), mais elle revient au-delà du carburant extrêmement cher aux ménages modestes, faisant qu’ainsi «l’acquisition d’un pavillon éloigné du lieu de travail peut se révéler insoutenable sur le plan financier», déplore le rapport, menant ainsi à une situation totalement paradoxale.

«Plusieurs millions de salariés se lèvent tous les matins pour un gain inférieur à 300 euros par mois par rapport au fait de rester en inactivité et de bénéficier des minimas sociaux.»

Dernier abandon épinglé par le think tank, celui de la discipline économique. Là encore, un phénomène non seulement paradoxal, mais également marqué tant par une certaine «rigidité intellectuelle» de décideurs politiques, que par la priorité donnée par certains d’entre eux à leurs intérêts purement politiciens.

Les conséquences tragiques des occasions manquées

En guise d’illustration, le rapport revient sur la proposition du président de la banque centrale de la République fédérale allemande de faire du franc une monnaie pivot pour le mark et la livre. «Une aubaine fabuleuse pour la France d’apparaître comme un pilier du système monétaire européen» qui fut toutefois rejeté par le ministre de l’Économie et des Finances d’alors, Pierre Bérégovoy, qui s’en tint à sa politique du «franc fort» après la forte inflation provoquée dans le pays par les dévaluations successives qui marquèrent le début de l’ère Mitterrand. Pour l’auteur du rapport, nous étions à l'

«un de ces moments, qui reviennent régulièrement dans nos politiques monétaires ou militaires, où de bonnes politiques se mutent en carcan idéologique par rigidité mentale.»

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Une «erreur historique» dont les conséquences pour la France «furent tragiques». Non seulement d’un côté, l’Allemagne dut se résoudre à revoir en conséquence à la hausse ses taux d’intérêt –ce qui impacta le marché français du crédit–, mais de l’autre, les jeux politiciens de François Mitterrand vinrent aggraver la situation. En effet, la décision du Président de soumettre la ratification du traité de Maastricht à un référendum, afin d’affaiblir la droite, provoqua le retrait de la Livre sterling du Système monétaire européen (SME) et l’effondrement de la Lire à cause des importantes craintes du rejet du texte. Conséquence, les taux s’envolèrent de nouveau en France, transformant la politique du franc fort en piège et menant le pays à un nouvel épisode de crise particulièrement éprouvant pour le secteur industriel.

«La violente récession de 1993 entraîna une véritable vague de désindustrialisation de la France avec la destruction de 800.000 emplois», note le rapport.

Ces dernières années, certaines décisions politiques ont mené à la dilapidation de nombreux fleurons industriels français (tels qu’Alcatel-Lucent, Alstom, Lafarge, Technip…), fragilisant encore plus le tissu économique du pays, sans parler d’un aspect d’ordre plus stratégique. Le rapport évoque également les cas plus anciens de Péchiney, Usinor ou de la CGE  «avec le concept de l’entreprise sans usine de Serge Tchuruk». Aux yeux de l’auteur du rapport, le constat est sans appel: «nos élites ont laissé dépérir, voire disparaître les plus beaux fleurons de notre industrie».

Pour la fondation Concorde, tous ces «abandons» contribuent à creuser l’écart entre l’Hexagone et ses partenaires européens et donc à voir diminuer la richesse de ses habitants. Plus grave, peut-être, il souligne que «l’économie française est en train de manquer la nouvelle révolution industrielle», estimant qu’il existe un risque que la France, «qui se modernise beaucoup moins que les autres pays européens», soit «reléguée dans les pays de seconde zone».

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