Cela ne fait pas encore les grands titres, mais on commence à en parler: la pénurie de médicaments s’installe en France. Et elle ne touche pas des médicaments mineurs: traitement des maladies cardio-vasculaires, anticancéreux, antidépresseurs, bref des médicaments de première nécessité. La santé, et peut-être la vie de certains patients, pourrait être en danger.
Cette pénurie est suffisamment importante pour que les syndicats de pharmaciens s’en inquiètent, que les hôpitaux soient touchés et s’organisent. Au delà des conséquences potentiellement dramatiques que cette pénurie peut engendrer, elle pose globalement le problème de la souveraineté pharmaceutique, et au delà, de la souveraineté économique.
Le terme de souveraineté pharmaceutique est donc une réaction à des phénomènes négatifs issus du fonctionnement du marché. Il en va d’ailleurs de même avec les termes de souveraineté alimentaire3. De fait, on constate que l’on parle beaucoup de souveraineté quand on est en train de la perdre. Ceux qui défendent les mécanismes du marché postulent une rationalité économique supérieure à la rationalité politique4. Mais, cette rationalité économique est douteuse et le FMI lui-même a reconnu s’être trompé5. On peut donc considérer que le choix politique doit primer, ce qui est une définition de la souveraineté.
économique est douteuse et le FMI lui-même a reconnu s’être trompé1. On peut donc considérer que le choix politique doit primer, ce qui est une définition de la souveraineté. Mais, peut-on diviser la souveraineté? Cette question est différente, naturellement de celle des conditions de mise en œuvre de la souveraineté.
Pourquoi une pénurie de médicaments dans la France d’aujourd’hui?
Très souvent, on associe la pénurie de médicaments aux problèmes du sous-développement, ou à des problèmes liés à une crise économique particulièrement sévère. Comment une telle situation peut-elle exister en France, un pays développé, un pays qui a produit plusieurs grands groupes pharmaceutiques et qui est dans le peloton de tête des pays où sont conçus les médicaments les plus puissants?
Il faut sans doute se pencher sur l’économie du médicament, mais aussi sur l’absence de politique publique face à ce problème. Car si l’on parle de souveraineté pharmaceutique, le terme de «souveraineté» fait un peu peur aux pouvoirs publics, qui souvent l’associent au protectionnisme.
Des problèmes de fond
Les problèmes posés par cette pénurie de médicaments sont nombreux. Des traitements vitaux peuvent être interrompus, comme dans le cas de traitement anticancéreux. De fait, la pénurie n’est pas seulement un problème français, mais aussi un problème mondial. Il est aggravé par le manque de fiabilité des pays gros producteurs de médicaments, comme la Chine et l’Inde. Ces pays, qui sont en train de s’aligner sur des normes communément acceptées pour la qualité de la production, doivent faire face à la réticence de leurs propres industriels à mettre en œuvre cesdites normes. De nombreuses usines ont ainsi été fermées, contribuant un peu plus au problème de la pénurie mondiale.
Ajoutons à cela les questions liées à la contrefaçon et à la distribution de produits de basse qualité, voire dangereux, sur Internet, qui est devenu depuis quelques années un circuit important de distribution de médicaments. Cette question appelle des réponses réglementaires, que ce soit à l’échelle d’un pays ou d’un groupe de pays. Non que la question de la contrefaçon soit nouvelle, y compris dans le domaine du médicament, mais du fait de l’existence d’une pénurie globale, cette contrefaçon est en train d’exploser.
Se pose alors un autre problème. Les coûts de recherche croissent de manière vertigineuse depuis une vingtaine d’années, voire plus. Cela tient aux nombreuses certifications qui sont exigées. Cela tient aussi à un processus dévoyé de concurrence. De fait, quand un laboratoire conçoit une nouvelle molécule, il est tenté d’en étendre le domaine d’efficacité. D’ailleurs, la lutte contre certaines infections exige des recherches intenses. Il en est ainsi des rétroviraux, mais aussi des médicaments traitant des problèmes cardiaques ou de certains anticancéreux. De même, l’apparition de phénomènes de résistance aux antibiotiques impose des recherches longues et naturellement coûteuses. Tout ceci fait que les médicaments de pointe sont chers à concevoir, à certifier, et parfois à produire.
Très souvent, si les centres de recherche restent dans les pays d’origine, la production est délocalisée.
Un effet pervers de la concurrence?
Par ailleurs, les laboratoires changent parfois de formule pour éviter la concurrence des génériques, ces médicaments efficaces, mais issus de brevets anciens, tombés dans le domaine public. Bref, il y a une course à l’armement dans le secteur du médicament. Et comme dans la course aux armements militaires, elle conduit aussi à «plaquer or», on dit en anglais «gold-platting» les nouveaux médicaments. Est-ce un problème sans issue?
L’État ne pourrait-il intervenir pour prendre en charge une partie des coûts de recherche et développement? Ce sont aussi ces problèmes qui sont posés par la pénurie actuelle et qui sont au cœur de cet impératif de mise en œuvre de la souveraineté dans le domaine spécifique du médicament. Mais pour avoir une action décisive sur ce point, pour que nos concitoyens ne soient plus confrontés à des choix tragiques en matière de médicaments, il faudrait que la question de la souveraineté devienne le pivot de la pensée politique en ce pays, et nous en sommes loin…
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2 Strange S., (1996), The Retreat of the State: The Diffusion of Power in the World Economy, New
York, Cambridge University Press.
3 Présenté en 1996 pour la première fois. Voir : http://www.fao.org/wfs/begin/paral/cngo-f.htm
4 Sapir J. (2000), "Le FMI et la Russie: conditionnalité sous influence", Critique Internationale, n°6, hiver 2000, pp. 12-19.
5 Camdessus M., (1999), in Libération, 31 août 1999, p.3. Voir aussi, Stiglitz J. E., (1999), "Quis Custodiet Ipsos Custodes?", Keynote Address, Annual Bank Conference on Development Economics - Europe, Governance, Equity and Global Markets, Banque Mondiale et CAE, Paris, 21-23 juin.