Seule province majoritairement francophone au Canada, le Québec n’a pas fini d’affirmer sa différence. Et depuis l’élection du Premier ministre François Legault, le 1er octobre dernier, le nationalisme est de retour dans la Belle Province. Le parti au pouvoir, la Coalition Avenir Québec, ne veut pas faire du Québec un pays indépendant, mais entend défendre à tout prix l’identité québécoise.
«Pour nous, il s’agit d’un Québec qui défend sa langue, ses valeurs, son identité. Je parle d’un nationalisme qui peut se vivre à l’intérieur du Canada, j’en suis convaincu», confiait François Legault au journal Le Monde, le 25 janvier 2019.
De nature optimiste, François Legault a souvent répété que son nationalisme n’était pas hostile au Canada. Son projet: accroître graduellement l’autonomie du Québec, sans compromettre sa relation avec le gouvernement fédéral. Pourtant, deux enjeux viennent déjà miner les relations du Québec avec le Canada anglophone: la nouvelle loi sur la laïcité et le pétrole albertain. Alors que cette loi est décrite comme raciste au Canada anglais, des politiciens veulent convaincre Québec d’accepter que des oléoducs soient construits sur son territoire.
Québec-Canada: le retour des «deux solitudes»
Adoptée officiellement le 16 juin dernier, la loi sur la laïcité interdit le port de signes religieux pour les juges, les policiers, les enseignants et les gardiens de prison. Bien avant son adoption, plusieurs organismes québécois la dénonçaient déjà, de même que des politiciens au Canada anglophone. Comme la plupart d’entre eux, le Premier ministre fédéral, Justin Trudeau, estime que la laïcité brime les droits des minorités religieuses.
Les Premiers ministres de l’Alberta et du Manitoba –deux provinces de l’Ouest– ont fait savoir qu’ils désapprouvaient totalement la loi québécoise. Au lendemain de son adoption, Rachel Notley, ex-Premier ministre de l’Alberta, évoquait «un jour triste pour le Canada quand le racisme devient loi». Des interventions qui ont fait réagir au Québec.
It’s a sad day for Canada when racism becomes law. #Cdnpoli https://t.co/FPcsImiCmc
— Rachel Notley (@RachelNotley) 17 juin 2019
L’avocat François Côté explique à Sputnik l’isolement du Québec dans ce dossier. Intervenant régulièrement dans les médias, maître Côté est chargé de cours à l’université de Sherbrooke et spécialiste en droit civil et libertés fondamentales. En entrevue, il a d’abord rappelé qu’il fallait distinguer les Canadiens anglais de leurs élites:
«Sur la question de la laïcité, on peut parler d’isolement du Québec par rapport aux médias, lobbys, politiciens et aux autres gouvernements provinciaux et fédéral, mais il serait hasardeux de parler d’isolement par rapport à la population anglo-canadienne en général. Les plus récents sondages révèlent que 45% des Canadiens anglais soutiennent, en moyenne, la laïcité québécoise. On observe ici un clivage net entre la “cassette officielle”, présentant un front uni de condamnation sans dissidence, et l’opinion publique, qui semble beaucoup plus nuancée», observe François Côté.
Pour expliquer la réaction des élites anglo-canadiennes, Me Côté pointe l’existence de deux conceptions du droit à l’intérieur même du pays. Alors que la conception québécoise est plus favorable à la laïcité, la conception anglo-canadienne est plus ouverte à l’expression de la religion dans les institutions publiques. D’ailleurs, des organismes ont déjà recours aux tribunaux canadiens pour tenter de faire invalider la loi.
«Si on se concentre sur le discours des élites politico-légales, on ne peut que constater un rejet monolithique de la loi sur la laïcité de l’État. Les raisons dominantes derrière ce clivage résident essentiellement dans différentes manières incompatibles de comprendre ce qu’est le droit, dans ses volets “neutralité de l’État” et “liberté de religion” –partagées entre le droit civiliste québécois et la Common Law anglo-saxonne, qui règne en maître dans le reste du Canada», a ajouté l’avocat.
Isolé sur le plan identitaire, le Québec ne l’est pas moins sur le plan énergétique. Consultant en énergie, Jean-François Thibault rappelle que l’Alberta possède 98% des ressources pétrolières du Canada, alors que le Québec continue de consommer de grandes quantités de pétrole étranger. M. Thibault est consultant en énergie et membre du conseil d’administration de Squatex, une société canadienne d’exploitation gazière et pétrolière.
«Pour comprendre comment le Québec est isolé concernant la question énergétique, il faut revenir aux éléments fondamentaux. D’abord, bien que le Canada soit le quatrième producteur de pétrole en importance dans le monde, le Québec et le Nouveau-Brunswick consomment encore une grande quantité de pétrole étranger. Cette situation s’explique par le manque d’infrastructure énergétique permettant de transporter le pétrole de l’Alberta vers les provinces de l’Est», a expliqué M. Thibault.
L’Alberta veut fournir le Québec en pétrole, mais ce dernier refuse que des oléoducs soient construits sur son territoire à cette fin. Le Premier ministre de l’Alberta, Jason Kenney, estime même que «le Québec ne peut pas refuser un oléoduc». Mais selon le Premier ministre Legault, «il n’y a aucune acceptabilité sociale au Québec» pour ce projet. Dans l’Ouest canadien, la frustration à l’égard du Québec est palpable, car cette réalité limite aussi l’accès du pétrole canadien aux marchés internationaux. Pour des raisons écologiques, le gouvernement québécois est fermé à la construction d’oléoducs. Pendant ce temps, l’Alberta voit son économie ralentir.
«Les Premiers ministres de l’Alberta, de la Saskatchewan, du Manitoba, de l’Ontario et du Nouveau-Brunswick sont favorables à la construction d’une telle infrastructure énergétique. […] La seule province réfractaire se trouvant sur le tracé potentiel d’un tel projet est le Québec. En ce sens, il fait littéralement bande à part.
Pourquoi? Dans les circonstances actuelles, un projet d’oléoduc traversant le Québec obtiendrait l’appui d’une minorité de Québécois. Dans ce contexte, pourquoi François Legault se mettrait-il à dos une majorité d’électeurs québécois pour faire plaisir à l’industrie pétrolière canadienne?», demande le consultant.
Mouton noir de la fédération dirons certains, société distincte diront les autres, le Québec n’a pas fini de faire parler de lui dans les autres provinces.