L’Armée au service de supporters algériens: rien que pour le peuple, le foot… ou presque

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En Algérie, l’Armée veut contribuer à l’épopée footballistique des Verts, en mettant sa flotte à la disposition des supporters se rendant en Égypte. La démarche répond au «souci de satisfaire le souhait d’une grande partie des jeunes pour assister à ce match historique»… à défaut de satisfaire leur souhait de voir partir le «Système».

Partisane des luttes majeures du peuple algérien, comme de ses péchés les plus véniels, l’Armée nationale populaire (ANP) n’a jamais aussi bien porté son nom. En prévision de la finale de la Coupe d’Afrique des nations (CAN) qui se déroulera, le 19 juillet, au Caire, l’état-major algérien a décidé de mettre six avions de transport militaires à disposition de quelque 600 supporters algériens «pour soutenir et encourager les joueurs de l’équipe nationale et les motiver pour remporter ce trophée continental important».

L’annonce a été faite, par voie de communiqué officiel, au lendemain de «la qualification méritée» des poulains de Djamel Belmadi en demi-finale, qui ont écarté les Éléphants de la Côte d’Ivoire au terme d’un match très disputé. La démarche n’est pas inédite de la part de l’ANP, souligne Akram Kharief, spécialiste de l’Armée algérienne, à Sputnik. En 2009, l’Armée s’était fortement impliquée dans une rencontre décisive, au Soudan, que disputait l’Algérie pour la qualification au Mondial 2009.

«À l’époque, un véritable pont aérien avait été déployé par l’Armée pour le transport de quelque 30.000 supporters en trois jours au Soudan. Ce qui est en quelque sorte un exploit. Il faut dire que l’Armée a également pris l’habitude de transporter l’équipe nationale, lorsqu’il s’agit de destinations africaines mal ou pas desservies par les compagnies africaines, y compris Air Algérie», précise l’analyste algérien.

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Reste pour les Algériens à s’imposer, dimanche soir, devant les redoutables Super Eagles du Nigeria, et filer en finale. Le cas échéant, ce sera du kérosène en plus, mais des points politiques en moins…

«C’est clair qu’il y a, tout de même, dans cette démarche, un peu de récupération politique. Cela pourrait s’inscrire dans le cadre des classiques manœuvres du pouvoir algérien pour plaire à la population. Pour s’en rendre compte, il convient de comparer cette situation avec ce qui s’est passé en 2009. À l’époque, alors que l’Armée avait été au cœur de l’opération, tous les honneurs étaient revenus au Président Bouteflika. Rien pour l’Armée, comme si elle n’avait pas pris part à l’opération! Aujourd’hui, en revanche, on a bien droit à un communiqué officiel de l’Armée. En termes de marketing et de communication, il y a un positionnement clair», explique Akram Kharief au micro de Sputnik.

Magnanime, l’Armée a tout de même daigné dans son communiqué, et au détour d’une apposition, associer le Premier ministre, sans le nommer, à cette décision prise «en coordination» avec lui. Autrement, les supporters algériens étaient invités à ne pas se méprendre sur l’identité de leur véritable bienfaiteur. La décision de mobiliser les avions militaires a bien été prise par «le Haut Commandement de l’Armée nationale populaire». Celle qui s’est toujours tenue du «côté de ses compatriotes» en raison des «liens solides et éternels qui l’attachent au peuple», d’après le communiqué de l’Armée algérienne. Dès lors, l’objectif est clairement «de satisfaire le souhait d’une grande partie des jeunes pour assister à ce match historique»… à défaut de satisfaire leur souhait pour le départ du «Système», en faveur duquel ils manifestent depuis cinq mois…

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Chaque vendredi, plusieurs centaines de milliers d’Algériens continuent d’investir les rues de plusieurs wilayas du pays pour exiger de tourner la page du «Système», de ses figures emblématiques, et de tous les paramètres lui permettant de se régénérer.

Du côté de l’état-major de l’Armée, et de ses soutiens politiques, le scénario de la table rase ouvre la porte au «chaos» ou aux «ingérences étrangères». Face à cette situation d’impasse politique, quelques concessions sont accordées, avec l’arrestation de barons du pouvoir de Bouteflika. Mais dans la foulée de l’opération mains propres, c’est un tour de vis général qui n’épargne pas les adversaires politiques du chef d’état-major, Ahmed Gaïd Salah, contribuant par là-même à alimenter la controverse autour de l’homme fort du pouvoir algérien.

D’où les réactions mitigées, quoique mesurées, des Algériens à propos du pont aérien annoncé par l’Armée au bénéfice des supporters des Verts. Réalistes, les Algériens n’ignorent pas que les récupérations politiques d’un événement footballistique ne sont pas l’apanage du pouvoir algérien.

«Hommage à notre Armée qui soutient son peuple en toute circonstance, y compris dans le football. Nous en sommes fiers et honorés»

Reste à savoir si une éventuelle victoire des Algériens pourrait donner l’occasion, aux uns et aux autres, de surfer «politiquement» sur la vague de la CAN, dans un pays où le football talonne la révolution, en tant que vecteur de mobilisation.

«On peut attendre des réactions de l’intérieur de l’équipe nationale où on est resté, pour l’instant, neutre et détaché de ces aspects politiques. On n’a jamais eu de commentaire ni de positionnement clair de la part des joueurs par rapport au mouvement populaire. Si quelque chose dans ce sens venait à être affiché en cas de victoire en demi-finale ou en finale, cela pourrait avoir certaines conséquences en termes de marketing politique», conclut Akram Kharief.

Quant aux supporters, pour peu qu’ils fassent le retour dans les mêmes avions militaires, ils éviteront, peut-être, d’afficher, à bord, un positionnement trop hostile à l’état-major. Moins par crainte de représailles à haute voltige que parce qu’en Algérie, révolution et courtoisie savent aussi faire bon ménage.

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