On en connaissait, jusque-là, qui ensorcelaient les filets des cages pour améliorer l’agilité des gardiens, barbouillant les poteaux avec le sang d’animaux pour en garantir l’inviolabilité. Ceux qui, dans les vestiaires, recommandaient l’invocation des aïeux, le port de grigris ou d’amulettes, pour déstabiliser l’équipe adverse. Ceux, enfin, qui se faufilaient à la dernière minute pour jeter des noix de cocos sur le terrain, en offrande à Mami Wata, la déesse aquatique africaine. Non sans quelques mésaventures, parfois. Ce fut le cas en 2002, avec le préparateur des gardiens camerounais, Thomas N’Kono. Ayant tenté, subrepticement, de placer un grigri sur le terrain, il a été appréhendé et passé à tabac par des policiers maliens peu avant la rencontre devant opposer les Lions Indomptables aux Aigles du Mali. Autrement, entre les sortilèges et la Coupe d’Afrique des Nations (CAN), c’est bien souvent une histoire de…charme(s).
Plus discrets, en revanche, sont les Nord-africains. Sous ces cieux où les cultures préislamiques se sont fortement estompées sans survivre par le biais du syncrétisme, supporters, commentateurs, et staff technique, se contentent d’invoquer -souvent sans trop y croire- les saints patrons…et quand les choses deviennent plus sérieuses, c’est carrément le «Grand patron» qu’on appelle à la rescousse.
Le sélectionneur tunisien répond à ceux qui le critiquent pour avoir lu le Coran pendant un match de Coupe du Monde
Tunisia football coach responds to criticism for reading Quran at World Cup match #beltun #tunbelhttps://t.co/K5jVqOzHFG
— The New Arab (@The_NewArab) 23 juin 2018
Le 9 juillet, peu après la victoire «inespérée» des Aigles de Carthage contre les Black Stars du Ghana, Les actualités de la CAN, une émission diffusée à la télévision nationale tunisienne a cru bon d’associer, dans un studio où régnait une ambiance bon enfant, analystes sportifs, ex-joueurs, … et un voyant-astrologue. Une qualité qui s’est avérée bien réductrice, finalement, et les téléspectateurs étaient invités à ne pas s’y tromper. La juridiction astrologique de Mohsen Aïfa, dont la page facebook compte pas moins de 1,5 million d’abonnés, s’étendait bien au-delà des classiques du firmament tels le Taureau, le Bélier et le Capricorne, pour agir sur de plus terre à terre, comme les Aigles.
Dans un passage télévisé enregistré avant le match, et retransmis à l’occasion de cette émission en direct, Mohsen Aïfa brandissait face à la caméra une feuille de papier, sur laquelle était inscrits des signes indéchiffrables et codes cabalistiques. «Voyez, ça c’est le sceau de Soliman», disait-il en prédisant une victoire avec un seul but d’écart.
«Je peux, ainsi, faire en sorte que la Tunisie gagne. Que Dieu soit avec nous! La Tunisie n’a que trop souffert des entraves et de la poisse, puisqu’elle ne dépassait pas les quarts de finale. Voilà où réside le problème. Il faut juste qu’on lui enlève la poisse », insistait-il en enjoignant tout le monde à répéter après lui la formule magique qu’il a prononcée.
Incantation ou non, les Tunisiens ont réussi à s’imposer, finalement, après moult rebondissements, dans ce match de huitièmes de finale et au terme d’une séance de tirs aux buts. Étrangement, le gardien ghanéen est demeuré immobile, comme en état de choc, alors que le Tunisien Ferjani Sassi inscrivait le tir au but de la victoire. «C’est moi qui ai figé le gardien!», revendiquait, en direct cette fois-ci, Mohsen Aïfa dans le studio d’après-match.
«Le gardien ghanéen demande officiellement au charlatan Mohsen Aïfa de le débloquer. Le pauvre, il n’arrive même plus à s’allonger [pour dormir, ndlr]!»
Ils n’en demandaient peut-être pas tant, mais les supporters tunisiens étaient, quelque part, psychologiquement disposés à croire aux miracles. Les joueurs de leur sélection nationale auront, en effet, davantage brillé par le reflet de leurs cheveux kératinés, que par leurs prouesses footballistiques, d’après des critiques récurrentes sur la toile.
«La kératine n’a finalement pas été appliquée en vain. Bravo les garçons!», félicite cette internaute, au lendemain de la victoire sur le Ghana, en accompagnant son message d’une image montrant un Aigle aux cheveux lissés.
Pis, les Aigles de Carthage n’ont réussi à s’imposer, en 90 minutes de jeu, face à aucune équipe adverse, tout au long de cette compétition.
«Encore trois autres matchs nuls, et on remporte la coupe d’Afrique»
Ingrats, les Tunisiens ont massivement fustigé leur sorcier blanc sur la toile. Encore que les critiques les plus acerbes aient été davantage portées contre la télévision nationale, un organe de service public qui assume la responsabilité de ce dérapage.
«En tant que téléspectateur et en tant que contribuable, je condamne l’invitation de ce charlatan à prendre part à une émission sportive sur la télévision nationale. Propager la sorcellerie et le mensonge constitue une atteinte aux valeurs de la raison, et au respect des citoyens et des téléspectateurs. Je demande, donc, que les responsables de cette faute soient sanctionnés, et que des excuses soient faites.»
Suite à l’ampleur inattendue prise par l’événement, notamment sur les réseaux sociaux et les sites d’informations électroniques, la télévision dut, effectivement, présenter publiquement ses excuses.
«Un avertissement a été adressé au chef du département sportif, qui assure la production de cette émission, pour qu’il ne procède plus à la diffusion de tels contenus consacrant la sorcellerie et la servitude dans la société tunisienne. Partant, la Télévision tunisienne, en tant que service public, et faisant preuve d’un sens de la responsabilité morale et sociale, présente ses excuses à son public et ses téléspectateurs, suite à cette émission, nonobstant la vocation légère du passage, d’après son présentateur» peut-on lire dans le communiqué publié par la télévision nationale.
Pour peu qu’il n’ait pas été dépité par la tournure prise par son affaire, Mohsen Aïfa risque, pourtant, de récidiver, en toute discrétion. L’équipe tunisienne devra se mesurer, ce 11 juillet, en quarts de finales, à Madagascar. Mais la sorcellerie tunisienne risque de ne pas avoir de secret pour les Malgaches, cuirassés par leur «Mosavy» national, dont les techniques maléfiques avaient été introduites sur la Grande Île par les Africains et…les Arabes. Le cas échéant, donc, ce sera chacun pour soi, et Dieu…pour les Tunisiens.
«Oh Dieu, soutiens-nous contre Madagascar, ce sont comme tu sais, des mécréants, alors que nous…nous sommes «presque» des musulmans» s’amuse cette internaute.