Pourtant, son propre ministre de l’Agriculture et de l’Alimentation, Didier Guillaume, fustigeait le fameux accord il y a quelques semaines encore. Tant par communiqué que devant l’Assemblée nationale, l’ancien président démissionnaire du groupe socialiste au Sénat a ainsi martelé que la position de la France était «claire» et «pas ambiguë»: son Président de la République «n’acceptait pas» de signer un tel accord, qui «nuirait aux intérêts des agricultures et consommateurs français».
«Si c’est la même majorité qui dirige la Commission, alors peut-être que l’accord se fera au détriment des peuples, au détriment des États! C’est ça, la réalité! C’est ça que nous ne voulons pas!», lançait Didier Guillaume au Palais Bourbon, le 22 mai.
Dans la dernière ligne droite de la campagne des Européennes, répondant à un député de l’opposition, le ministre ira jusqu’à accuser la droite parlementaire française et ses alliés européens du PPE d’être les uniques responsables si un tel accord venait à être signé. «C’est la raison pour laquelle nous voulons qu’il y ait une nouvelle majorité en Europe, une majorité qui mette ses actes en accord avec ses positions!», haranguait-il alors. Une diatribe enflammée contre le traité de libre-échange et la Droite, dont l’opposition ne serait que «démagogie», qui provoquera l’hilarité de Sibeth Ndiaye et vaudra à Didier Guillaume une standing ovation des députés de la majorité.
Mercosur : "Vos amis politiques en Europe sont favorables à cet accord", répond @dguillaume26 au député LR Jean-Yves Bony.#DirectAN #QAG pic.twitter.com/1ZofDscs0b
— LCP (@LCP) 22 mai 2019
Moins de six semaines plus tard, les élections européennes passées, la scène laisse songeur. En effet, Emmanuel Macron approuve ce texte, qui portera à «un niveau inédit» l’ouverture du marché européen à des produits agroalimentaires sud-américains ultra-compétitifs, comme le souligne auprès de Sputnik Christophe Ventura. Mieux encore, selon ce spécialiste de l’Amérique latine, directeur de recherche à Institut de Relations Internationales et Stratégiques (IRIS), c’est bien le Président de la République qui a poussé à la concrétisation de cet accord de libre-échange:
«Il s’agit d’affirmer avec cet accord une voie médiane entre la guerre commerciale sino-américaine et l’unilatéralisme commercial imposé par Donald Trump au niveau international, ses politiques protectionnistes et tarifaires, quand justement l’accord entre l’UE et le Mercosur est un accord de libre-échange intégral, qui est présenté comme la victoire de la coopération et des méthodes de négociation multilatérales». En d’autres termes,
«Macron voulait apparaître comme l’architecte et l’homme qui a fait la différence pour obtenir le plus grand accord de libre-échange au monde […] à opposer au Trumpisme, à la guerre sino-américaine. C’est surtout ça qui a emporté le morceau».
Une difficulté qui n’en était pas vraiment une, puisque si Emmanuel Macron a conditionné sa signature du traité au non-retrait du Brésil des accords de Paris, c’est oublier que Jair Bolsonaro, avant même son élection à la présidence brésilienne, avait assuré qu’il ne se retirerait pas de l’accord sur le climat et que ce dernier n’est nullement contraignant, chaque pays restant souverain en matière de contribution à lutte contre les émissions de CO², rappelle Christophe Ventura.
«Rester dans l’accord de Paris ne l’oblige à rien, si ce n’est reconnaître que le changement climatique existe» […] «Rien n’oblige monsieur Bolsonaro à stopper sa stratégie de développement de l’agrobusiness d’exportation», insiste le directeur de recherche à l’IRIS, qui estime ainsi que «Bolsonaro peut considérer avoir réalisé un bon coup!»
D’ailleurs, Jair Bolsonaro ne s’est-il pas, tout comme Jorge Faurie, ministre argentin des Affaires étrangères, Cecilia Malmström et Phil Hogan, respectivement commissaire européen au commerce et à l’agriculture, félicité d’un accord «historique»? Un accord qui aurait été négocié sur vingt ans (39 cycles de négociation) et qui ouvre notamment – à un taux préférentiel – le marché européen à pas moins de 99.000 tonnes de viande bovine, 100.000 tonnes de volaille et 180.000 tonnes de sucre sud-américain. L’exportation de produits agroalimentaires, le fer de lance de l’économie brésilienne.
«Il est certain que les secteurs agricoles de pays européens, la France –parce que c’est la première puissance agricole européenne–, mais aussi la Pologne, l’Italie, l’Irlande, sont les moins bien servis par cet accord. Puisque cet accord prévoit une possibilité de pénétration des produits agricoles sud-américains sur leurs marchés, qui seront de toute façon toujours plus compétitifs que les produits européens. Puisque la logique de l’accord est celle du libre-échange, elle permet des différentiels de compétitivité, qui s’appuient à la fois sur le coût travail et puis aussi sur le moins-disant fiscal et sanitaire.»
«La vérité est que c’est un accord qui affecte durement le secteur agricole européen.» Aux yeux de notre expert, Emmanuel Macron «s’abrite» derrière l’aspect «à tiroirs» de l’accord, à savoir son entrée en vigueur progressive, suivant les produits, ou encore la clause de sauvegarde, afin de faire «passer la pilule» aux agriculteurs français, d’autant plus qu’il faudra encore plusieurs années avant de voir les portes des marchés européens et sud-américains s’ouvrir en grand.
«Les produits qui vont arriver vont poser des problèmes ici, puisqu’ils seront moins chers à l’arrivée, malgré leurs dégâts sociaux et environnementaux, que bon nombre de produits d’agriculteurs français. C’est un problème.»
«Tout est une question de présentation et de communication des gouvernements pour leurs opinions publiques,» résume Christophe Ventura, qui souligne que du côté européen, si donc les pays comptant sur leur secteur agricole sortent perdants du traité avec le Mercosur, ils pourront tout de même compter sur l’ouverture des marchés publics sud-américains pour se refaire un peu:
«Le Brésil, par exemple, s’apprête à mettre aux enchères toute une série de marchés publics en septembre –octobre, […] d’infrastructures, de transports, de ports, etc. Là, les marchés publics seront aussi plus accessibles aux entreprises françaises.»
Un traité européen qui favorise les intérêts industriels allemands au détriment des intérêts agricoles français, un cas de figure qui s’était déjà rencontré à l’occasion de la visite de Jean-Claude Juncker à Washington à l’été 2018. En échange de l’éventuel abandon d’une nouvelle hausse des droits de douane sur les importations de voitures européennes (allemandes) aux États-Unis, Trump avait obtenu des Européens qu’ils reprennent les stocks de soja américain refoulé par la Chine. Les Allemands peinaient à cacher leur joie alors même que du côté français on se scandalisait.
Avant que tout traité n’entre –définitivement– en vigueur, il faut avant tout qu’il soit ratifié par les parlements de l’ensemble des pays membres. Or, du côté français, la porte-parole du gouvernement, Sibeth Ndiaye, a assuré ce mardi 2 juillet sur BFMTV et RMC que le traité ne serait pas ratifié en France en l’état, évoquant «des garanties» qui pourraient être demandées aux pays du Mercosur.
«Décidons ensemble, que non, le Parlement français que l’on soit de droite, de gauche ou En Marche n’acceptera pas la volonté de la droite européenne, du PPE, de signer cet accord», déclarait Didier Guillaume à l’Assemblée en mai dernier.
Reste donc à savoir si ces «garanties» seront plus solides que celles demandées aux groupes étrangers rachetant les industriels français et si on peut s’attendre à une réelle opposition du Parlement à ce texte. Bref, reste à savoir si ces déclarations ne sont pas que «démagogie», afin de sauver la face du gouvernement…