Une monnaie alternative pour l'Italie à la veille d'un conflit avec la Commission européenne

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Les politiciens italiens cherchent une issue à l'impasse économique dans laquelle se trouve le pays grâce à l'émission d'une nouvelle monnaie alternative pour rembourser une partie de la dette publique. L'aspect du nouveau billet, censé remplacer celui de 100 euros en circulation actuellement pour les paiements, a déjà été présenté.

L'émission de la nouvelle monnaie italienne devrait réduire la dette de l'Italie, qui a atteint un record historique, écrit le quotidien Nezavissimaïa gazeta. La dette publique grandissante du pays suscite le mécontentement de la Commission européenne, qui a déjà engagé des procédures formelles visant à sanctionner l'Italie pour violation des normes européennes de stabilité économique.

Début juin, le parlement italien a approuvé la proposition du parti Ligue d'examiner le projet d'émission d'une nouvelle monnaie alternative sous la forme de mini-obligations (dites «mini-bot») de 100 euros. Au total, plus de 50 milliards d'euros d'obligations pourraient être émises. Cette nouvelle monnaie pourrait servir au gouvernement pour rembourser une partie de la somme redevable aux détenteurs d'obligations gouvernementales. Le chef de la commission budgétaire du parlement, Claudio Borghi (Ligue), a déjà révélé le «visage» des nouveaux billets.

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Cette nécessité d'émission découle de la longue crise budgétaire et de la stagnation économique. De la même manière qu'en Russie, la croissance de l'économie italienne ne se calcule qu'en dixièmes de pour cent depuis longtemps. La pauvreté progresse dans le pays, la dette publique augmente. Fin 2018, l'économie italienne a basculé dans la récession. Sachant que la dette publique italienne augmente de 13-14 milliards d'euros par mois et a déjà dépassé 2.300 milliards d'euros.

Selon les règles de l'UE, les pays se trouvant dans l'incapacité de stopper la hausse de la dette extérieure et transgressant les normes de stabilité macroéconomique peuvent être sanctionnés d'une amende. La Commission européenne a déjà exprimé sa désapprobation vis-à-vis des actions du gouvernement italien et a menacé Rome de sanctions à hauteur de 0,2% du PIB. En 2018 déjà, la dette publique italienne avait dépassé 132% du PIB - soit l'une des plus élevées dans le monde.

Par ailleurs, l'émission de cette monnaie parallèle suscite de vifs débats en Italie même. Tandis que la Ligue prépare l'émission, l'actuel ministre de l’Économie et des Finances, Giovanni Tria, s'oppose à la mise en circulation des mini-bots.

«Nous sommes à même de rembourser toute cette dette commerciale avec notre propre monnaie - l'euro. Nous n'avons donc pas besoin d'autres instruments monétaires», a déclaré Giovanni Tria au Financial Times.

Cependant, le quotidien Le New York Times estime que les débats parlementaires sur l'émission de la nouvelle monnaie sont «un premier pas vers la préparation de la sortie de l'Italie de la zone euro». Pour leur part, les experts européens jugent que le déclenchement de la sortie de Rome de la zone euro pourrait «aggraver les crises économiques en Espagne et au Portugal».

Toutefois, beaucoup d'experts pensent que les discussions sur les mini-obligations ne sont qu'une menace et un chantage exercé sur la Commission européenne.

«L'Italie risque de se voir infliger une amende par Bruxelles fin 2019, ainsi qu'une analyse de sa situation économique afin de réduire les dépenses publiques et d'élaborer un programme de réduction générale de la dette du pays», estime Ekaterina Novikova, maître de conférences à l'Université russe d'économie Plekhanov. La situation de l'Italie est effectivement difficile compte tenu de sa dette publique grandissante, pense l'experte.

«L'Italie a besoin d'émettre de nouvelles obligations pour honorer sa dette, mais c'est possible dans le cadre des accords avec Bruxelles - ce que l'Italie ne veut pas faire  pour l'instant», explique-t-elle. Malgré tout, l'Italie reste membre de l'UE et doit obéir aux règles élaborées pour tous les pays: cela concerne aussi bien les quotas de réfugiés et les dépenses sociales que le montant de la dette publique par rapport au PIB, rappelle l'experte.

«Les perspectives d'émission de nouveaux mini-bots italiens paraissent peu plausibles. Les hauts fonctionnaires de l'UE, notamment le patron italien de la Banque centrale européenne Mario Draghi, ont déjà parlé de la violation des règles de l'UE en matière de centre d'émission et d'augmentation de la dette. La violation de ces règles est passible d'amendes pour le pays, ce qui semble être un scénario très négatif vu l'état tendu de l'équilibre budgétaire italien. C'est la raison pour laquelle, au niveau fédéral, le gouvernement italien n'est pas unanime au sujet de l'émission de mini-bots, et que face à la menace de sanctions de l'UE il cherchera très probablement à empêcher ce scénario. En même temps, le grand soutien de cette démarche par la majorité parlementaire reflète plutôt l'attachement aux principes de tenue des promesses sociales faites activement pendant la campagne. D'un autre côté, une telle position pourrait être perçue comme le renforcement de la position du gouvernement dans les négociations avec les structures de l'UE concernant l'augmentation du plafond du déficit budgétaire à l'ordre du jour», estime Dmitri Bedenkov, chef du bureau analytique de Russ-Invest. Et si la probabilité d'émission des mini-bots laisse sceptique, l'assouplissement de la position de l'UE concernant le budget, lui, paraît tout à fait réaliste si l'on se tourne vers l'expérience douloureuse du Brexit.

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C'est pourquoi il faut considérer cette démarche non seulement comme une tentative populiste des députés italiens de montrer leur autonomie, mais également comme une ruse pour obtenir le résultat voulu lors des négociations difficiles qui s'annoncent, poursuit l'expert.

«A partir de 1999, c'est-à-dire depuis la création de la zone euro, l'augmentation réelle du PIB italien, de 1% en moyenne, est inférieure à celle de 19 pays de cette zone. La présence dans la zone euro crée des prémisses à l'accumulation d'une dette excessive par l'économie italienne et à l'immersion du pays endetté dans la stagnation économique», note l'analyste Alexandre Ossine de Freedom Finance.

C'est pourquoi, dès que la perspective d'une forte croissance, d'une possibilité d'accroître la dette et d'accélérer la prospérité au-delà de 1% en valeur réelle apparaît sur le marché, ces intentions bénéficient d'un soutien.

«Il est extrêmement difficile de retenir économiquement l'Italie dans le cadre du mécanisme européen de stabilité (MES). Il faut changer la politique budgétaire et monétaire des pays fondateurs de manière à ce qu'elle permette à l'économie de l'UE d'avoir une croissance suffisante pour réduire le poids de la dette des économies périphériques. Mais la zone euro ne peut pas se permettre une hausse durable de l'inflation, même faible. Cela provoquerait un choc d'inflation et, théoriquement, une réduction significative de la part globale et du rôle des finances et de la monnaie du MES dans le monde», déclare Alexandre Ossine.

Stratégiquement, l'aspiration de l'Italie à une plus grande liberté économique est légitime, réelle et justifiée. La cause en est la hausse progressive des risques d'inflation dans les économies développées et l'aspiration des investisseurs à minimiser ces risques, tout en gagnant parallèlement sur la hausse de la demande mondiale et la tendance au surendettement.

En même temps, tactiquement, le moment pour attiser le scandale autour des contradictions entre l'Italie et le MES est défavorable pour les forces qui prônent l'indépendance économique. Le fait est que l'aggravation des différends aujourd'hui, quand l'activité économique recule depuis plusieurs trimestres, renforcera la demande en instruments de «protection», affaiblira les investissements dans les pays périphériques et, indirectement, les positions politiques des «séparatistes économiques».

Les opinions exprimées dans ce contenu n'engagent que la responsabilité de l'auteur de l'article repris d'un média russe et traduit dans son intégralité en français.

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