L'ex-ambassadeur de France en Russie Pierre Morel, co-président du Dialogue de Trianon, a évoqué dans un entretien au quotidien Kommersant le travail déjà accompli dans le cadre du forum. L'interview est traduite du russe.
Début juin, dans le cadre du Forum économique international de Saint-Pétersbourg, vous avez participé à la première réunion trilatérale des co-présidents des dialogues de Saint-Pétersbourg, de Trianon et de Sotchi (avec l'Allemagne, la France et l'Autriche respectivement). Êtes-vous satisfait de ce nouveau format?
Nous - le Dialogue de Trianon - sommes encore nouveaux, nous avons commencé il y a deux ans et n'avons pas encore définitivement déterminé notre programme. Il y a un an, pendant le Forum, avait eu lieu la première réunion formelle du conseil de coordination de notre Dialogue avec la participation des Présidents des deux pays, et cette année de travail a été assez intense. C'était effectivement la première fois que se déroulait une réunion formelle entre nos collègues du dialogue de Saint-Pétersbourg et du nouveau dialogue de Sotchi.
Quand nous commencions, j'avais rencontré Ronald Pofalla, coprésident du dialogue de Saint-Pétersbourg. Nous avions eu une discussion intéressante. Il m'avait dit: «S'il vous plaît, ne reproduisez pas nos erreurs». Il ne faut pas trop bureaucratiser le travail du Dialogue, créer de nombreux sous-groupes et établir une hiérarchie complexe. Le dialogue de Saint-Pétersbourg et ses co-présidents travaillent néanmoins assez efficacement, et pendant la réunion conjointe nous avons entendu encore une fois tout le travail qu'ils accomplissaient. D'ailleurs, le journal Peterbourgski dialog (publié avec la contribution des journalistes du quotidien Kommersant) est également la preuve de la qualité de leur travail.
Quelle est votre différence?
Pour nous, Dialogue de Trianon, le premier objectif consistait à organiser une structure bilatérale, plus légère que chez nos collègues allemands. Depuis le début nous avons écrit dans la charte que nous travaillerions bilatéralement, mais qu'à terme nous n'écartions pas la possibilité de coopérer avec d'autres partenaires. Parce que si l'on nous demande de poursuivre et de soutenir les traditions historiques des trois derniers siècles, il faut prendre toute l'Europe en considération. Les relations franco-russes ont toujours eu un caractère paneuropéen. Nous pourrions faire quelque chose ensemble tout en maintenant notre propre ligne.
Premièrement, quand nous parlons d'une structure allégée, cela signifie que nous n'avons pas créé de nombreux comités, sous-comités et groupes de travail. Deuxièmement, nous cherchons à éviter une interaction uniquement entre les élites. Mais nous devons être visibles pour agir. A cet effet nous utilisons aussi bien des plateformes extérieures telles que le forum Gaïdar et le Forum de Saint-Pétersbourg, que nos propres projets: nous avons organisé des contacts et des discussions pour les urbanistes des deux pays, nous avons organisé un concours de connaissance de la Russie auprès des jeunes français. Il a été remporté par des jeunes remarquables et talentueux que nous avons invités en Russie. Cette année, nous voulons organiser des olympiades sur le thème de l'intelligence artificielle (IA), nous espérons qu'un grand nombre d'étudiants des deux pays y participera, et nous sélectionnerons les meilleurs pour participer au second tour.
Vos collègues du dialogue de Saint-Pétersbourg ont pu vous parler des problèmes de financement auxquels ils ont été confrontés. Comment gérez-vous ce problème?
Ce n'est pas facile. Nous avons deux budgets à part. La partie russe est financée par le budget national via le ministère des Affaires étrangères et l'Institut des relations internationales de Moscou (MGIMO). Notre ministère des Affaires étrangères possède son propre budget pour cela: 300.000 euros par an de base, et certaines initiatives peuvent bénéficier d'un budget supplémentaire ou d'un financement privé. Je sais que la partie russe alloue bien plus d'argent, tandis que la France durcit le contrôle budgétaire et adopte une attitude traditionnellement prudente envers les nouvelles initiatives. Mais nous sommes inventifs et prévoyons déjà de nouvelles activités.
J'ai été nommé coordinateur du sous-groupe politique de l'OSCE. Je rappelle que l'OSCE participe au règlement de la situation depuis 2014, et qu'à l'époque déjà je participais aux premières étapes. Mais pendant les activités militaires, les conditions n'étaient pas réunies pour le dialogue politique. Les groupes de travail, notamment politique, sont apparus dans le groupe de contact trilatéral (Russie-Ukraine-OSCE – ndlr) après la réunion des dirigeants du Format Normandie en février 2015. Nous nous rencontrons deux fois par mois, et au total nous avons quatre groupes de travail. Hormis la politique, il y a également un groupe pour la sécurité, pour les questions humanitaires (chargé notamment de l'échange de prisonniers et des portés disparus), et pour l'économie (appelé, entre autres, à veiller à l'approvisionnement en eau et en électricité des territoires le long de la ligne de démarcation).
Pensez-vous que de nouvelles opportunités s'ouvrent pour le processus de paix avec l'élection du Président ukrainien Zelensky?
En tant que coordinateur je dois être très prudent et ouvert au dialogue avec toutes les parties. Le processus de paix en soi est long et complexe, et beaucoup d'observateurs sont sceptiques et pessimistes. La situation est très grave, et c'est une tragédie pour les 800.000 personnes qui vivent le long de la ligne de démarcation. La situation reste dangereuse des deux côtés, or des enfants y vivent, il y a des écoles. Mais quand se produisent des événements comme une élection présidentielle, je pense que tous les acteurs, même les gens ayant des opinions différentes, reconnaissent qu'il faut profiter de ce moment pour tenter d'accélérer les négociations.
Les opinions exprimées dans ce contenu n'engagent que la responsabilité de l'auteur de l'article repris d'un média russe et traduit dans son intégralité en français.