Des premiers travaux manuels à la robotisation
La technique des émulsions consiste en ce qu'une particule chargée, en traversant une émulsion, "active" sur son parcours des cristaux de bromure d'argent (AgBr) qui dans le processus de développement se transforment en nanoparticules ("grains") d'argent métallique.
Cette méthode a été utilisée pour la première fois en physique nucléaire par Antoine Becquerel, qui a découvert en 1896 la radioactivité des sels d'uranium à partir de la noirceur de la plaque photographique.
Un problème considérable inhérent à la méthode des émulsions provient du volume de travail très important nécessaire pour mesurer des coordonnées des nanoparticules qui forment une trace de la particule à l'aide de microscopes optiques. Pendant des dizaines d'années, ces mesures étaient faites manuellement. L'automatisation du processus à l'aide de microscopes robotisés a permis d'éviter un travail humain laborieux et a rendu possible une utilisation novatrice de la technique des émulsions dans les expériences DONUT et OPERA.
DONUT était une expérience de Fermilab pour trouver des interactions de neutrinos taus. Le détecteur a fonctionné pendant l'été de 1997 et a réussi à identifier un neutrino tau — l'unique particule (à part le boson de Higgs) du modèle standard qui était inaccessible pour une observation directe.
En 2010 ont été obtenues les premières preuves directes que les neutrinos muons pouvaient se transformer en neutrinos taus, ce qui a confirmé l'hypothèse des oscillations des neutrinos.
Les microscopes modernes
Les détecteurs actuels, de plusieurs tonnes, utilisent des millions de couches à émulsion en appliquant la microscopie automatisée pour leur scan optique.
Étant donné que la vitesse de travail de tels robots-microscopes limite l'applicabilité des détecteurs à émulsion, les scientifiques recherchent activement un moyen de les rendre plus rapides et de créer des robots de la génération suivante.
Les collaborateurs de l'université MISiS et de l'Institut national de physique nucléaire de Naples (INFN, Italie) ont annoncé dans la revue Scientific Reports avoir mis au point une technologie simple et bénéfique permettant de multiplier par 100 la vitesse de travail d'un MA.
«Nous avons l'intention de créer et de tester un prototype fonctionnel de nouvelle génération utilisant la technologie d'inclinaison du plan focal que nous avons mise au point. La vitesse de tels microscopes, multipliée par 100, permettrait d'accroître significativement la quantité de données traitées tout en réduisant la durée de leur analyse sans importants frais financiers», a déclaré à RIA Novosti Andreï Alexandrov, collaborateur de l'université MISiS et de l'INFN.
«Je pense que la nouvelle génération de MA sera forcément à caméras multiples et utilisera l'inclinaison du plan focal de l'objectif. Nous avons déjà commencé à étudier les possibilités d'utiliser des sources de lumière laser et des principes d'holographie pour créer les futures générations de MA ultrarapides. A l'université de Nagoya, au Japon, a été construit le microscope unique Hyper Track Selector avec 72 caméras et un immense objectif à angle très large, mais qui utilise la technique standard de scan. En utilisant notre technologie, il sera possible d'atteindre la même vitesse de scan avec seulement 14 caméras et un objectif ordinaire, ce qui reviendra bien moins cher», explique Andreï Alexandrov.
L'avenir des détecteurs: de la matière noire à l'oncologie
Un détecteur de plusieurs millions de couches d'émulsion photographique nucléaire existe déjà: OPERA en possède près de 9 millions (ce qui équivaut à une superficie de près de 110.000 m²). Le prochain record pourrait être battu dans dix ans avec l'expérience pour rechercher la matière noire NEWSdm (Nuclear Emulsions for WIMP Search with directional measurement).
Il s'agit de la première et, pour l'instant, de l'unique expérience pour rechercher des particules de matière noire qui utilise des nanocouches d'émulsion pour enregistrer la direction des noyaux de recul nés dans les chocs avec les particules de matière noire (les détecteurs d'autres expériences similaires sont remplis de gaz à basse pression).
D'autres exemples de telles expériences du futur sont FOOT (Fragmentation Of Target) et SHiP (Search for Hidden Particles).
FOOT étudie l'interaction des protons et des ions de carbone lors du passage de faisceaux dans les tissus d'un patient. La connaissance des paramètres de fragmentation des ions est nécessaire pour optimiser les systèmes de planification de l'hadronthérapie du cancer et élaborer de nouvelles méthodes visant à protéger les équipages des futures missions interplanétaires contre le rayonnement cosmique.
Le détecteur de neutrinos de l'expérience SHiP utilisera une grande quantité de couches d'émulsion pour étudier la physique des neutrinos taus et rechercher des particules de matière noire légère nées dans les interactions des protons avec une énergie de 400 GeV.