La guerre commerciale annoncée par le président Trump en juin 2018 connaît un nouvel essor après une période d’accalmie pré-G20 en mai 2019. En toute logique, Trump, après avoir en aval fustigé le déséquilibre commercial américain dû à l’importation massive de produits chinois, a décidé de frapper en amont, sur le transfert de technologies.
Le pragmatisme des dirigeants chinois allait se révéler payant et nourrir l’inquiétude des puissances occidentales de second et premier ordre, en raison de la rapide assimilation des techniques par la Chine et de la capacité à reproduire leurs produits à grande échelle. En outre, les ambitions chinoises évoluèrent, passant du statut d’«atelier du monde» à celui de centre de recherche et développement dynamique de stature internationale. Le monde n’allait pas tarder à apprendre l’existence des BATX, Baidu, Alibaba, Tencent, Xiaomi, le pendant des GAFA, Google, Amazon, Facebook et Apple. Géants chinois auxquels il faut rajouter TCL, Lenovo, ZTE et… Huawei.
Huawei, victime expiatoire de la guerre commerciale USA-Chine?
Une décision prise sur la base de rapports antérieurs émanant du département de la Défense et du Bureau fédéral d’investigation (FBI), en raison des risques de perte de souveraineté technologiques et de la présence potentielle de failles en cybersécurité sciemment intégrées à des fins de cyberespionnage. Pour comminatoire que fût la publication de cet acte, il attesta en filigrane que le matériel émanant de ces sociétés était tout à fait susceptible de répondre aux plus hautes attentes techniques. Et c’est précisément à ce moment que le Président Trump intervient en dévoilant son jeu de poker menteur avec les puissances mondiales, pouvant menacer les intérêts économiques et militaires américains.
L’inscription le 15 mai 2019 de l’équipementier chinois sur l’Entity List de la Bureau of Industry and Security fut un couperet brutal pour les ambitions de Huawei, en interdisant à Google de lui concéder une licence de son système d’exploitation Android. La décision suscita rapidement une panique parmi les utilisateurs d’ordiphones de la marque et une certaine gêne chez les responsables de Google, fort contrits de perdre un client d’une telle importance.
Google en dommage collatéral
La firme de Mountain View doit s’exécuter, quand bien même ses intérêts ne seraient pas concordants avec ceux de l’administration américaine, car elle n’en demeure pas moins une société régie par la territorialisation de son siège social. Avec l’obligation inhérente de respecter les décisions impératives portant sur la sécurité d’État.
Il n’est pourtant pas certain que les autorités américaines aient pour autant toutes les cartes en main pour faire fléchir leurs homologues asiatiques. Au petit jeu du bluff, les Chinois peuvent très bien faire parler leur science du jeu de go et jouer sur des conséquences plus néfastes à plus ou moins long terme.
Dans un avenir proche, les entreprises américaines œuvrant en Chine, secteur des technologies de l’information et de la communication en tête, pourraient être directement impactées par des représailles commerciales, ouvrant ainsi la porte à une reprise en main du marché chinois par des sociétés concurrentes, avant tout nationales. Pareil scénario fragiliserait encore davantage la position de sociétés américaines faisant face à la fois à des normes moins avantageuses que par le passé et à une nationalisation induite par les consommateurs de plusieurs secteurs comme l’atteste le China Business Climate Survey de 2018 (l’indice du climat des affaires en Chine pour les sociétés américaines, recueilli par la Chambre américaine de commerce).
Pékin peut-il retourner la situation en sa faveur?
Le second effet est à moyen terme: si Huawei devait se retrouver définitivement privé d’Android, la solution la plus crédible serait d’accélérer l’avènement d’un nouveau système d’exploitation. Cette possibilité pourrait contenter le pouvoir chinois, désireux d’opérer un contrôle plus serré de sa population. En raison des liens entre le fondateur de Huawei et de l’Armée Populaire de Libération, l’entreprise réprouvée pourrait profiter des apports de Kylin, le système d’exploitation militaire, et l’adapter en une version plus commerciale, faisant gagner ainsi à Huawei un temps précieux en recherche et développement. Mais encore faudrait-il prévoir tout un écosystème gravitant autour de cet OS, à l’instar d’iOS et… d’Android. Car la force d’une couche logicielle est sa capacité à engranger des utilisateurs ainsi que des sociétés tierces. Le défi n’est pas seulement technique, mais aussi commercial.
La solution la plus pratique pour l’heure serait de se baser sur la version Open Source d’Android, qui reprend certains éléments de son pendant commercialisé par Google. Cela aurait le mérite de ne pas déboussoler les utilisateurs déjà habitués à l’environnement, mais cela constituerait à terme un effort de développement conséquent en très peu de temps.
Beaucoup de bruit pour rien?
L’acte des États-Unis est unilatéral dans le monde occidental, ce qui atténue aussi sa force d’impact et risque d’isoler l’exécutif américain dans sa charge contre les produits et services chinois. En revanche, passé le choc de la décision, Huawei pourrait être avisé de s’entourer de partenaires dans le secteur des télécommunications pour élaborer un plan de résilience et parer ainsi à tout renouvellement de cette situation à l’avenir.
Cette annonce arrive cependant dans un contexte très compliqué pour les autorités chinoises, qui doivent faire part d’un ralentissement prononcé du dynamisme de leur économie depuis début 2019 (6,4% du PIB, alors que leur croissance était encore à deux chiffres en 2010) et d’une méfiance accrue de plusieurs partenaires dans le monde quant à l’emploi de leurs technologies, notamment dans les domaines des télécommunications. Pour l’heure, une solution intermédiaire a été proposée via une licence générale temporaire accordée à Huawei pour les quatre-vingt-dix prochains jours, laissant le temps à la firme chinoise de mieux peaufiner sa stratégie et à ses utilisateurs de souffler après l’émotion de ces derniers jours.