«La Turquie et l'Iran encerclent les puissances arabes»

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Au vu de l'évolution de la crise soudanaise, les pays du golfe Persique craignent que la côte occidentale de l'Arabie saoudite puisse se retrouver à portée de la Turquie.

Malgré le changement de pouvoir au Soudan, plusieurs contrats internationaux sont toujours en vigueur dans ce pays africain, notamment le traité conclu avec Ankara en 2017 sur la reconstruction de la vieille ville de Suakin, située sur une île de la mer Rouge, rappelle le quotidien Nezavissimaïa gazeta. Les monarchies arabes soupçonnent que la Turquie souhaite y installer une base militaire, selon le média. Les forces soudanaises, qui leur sont loyales, exigent des Turcs qu'ils interrompent ces projets.

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La réaction de la Turquie à l'exigence du commandement militaire du Soudan de quitter l'île de Suakin, dont le port historique est actuellement restauré par les autorités turques dans le cadre d'un accord signé en 2017, est attendue dans les semaines à venir. Cet accord bilatéral avait été signé par Recep Tayyip Erdogan et le dirigeant soudanais de l'époque, Omar el-Béchir, parmi 12 accords de coopération en matière de tourisme, la sécurité et dans le secteur militaro-industriel.

Ankara disait vouloir transformer Suakin en lieu de pèlerinage, et les travaux de restauration ont commencé en 2018. Dans ce travail, les Turcs ont été rejoints par leurs alliés tactiques — les Qataris. A présent, le chef du conseil militaire soudanais Abdel Fattah Burhane affirme que cet accord n'est plus en vigueur.

Pour l'instant, la Turquie n'entreprend rien et déclare ne voir aucune raison de quitter l'île. Le porte-parole du ministère turc des Affaires étrangères Hami Aksoy a déclaré que les accords bilatéraux entre le Soudan et la Turquie restaient en vigueur malgré le coup d'État, et que l'Agence turque de coopération et de coordination poursuivait son travail de restauration des artefacts de l'époque ottomane. A une époque, Suakin était un point de transit pour les pèlerins musulmans qui partaient faire le hajj depuis les pays africains. L'île possédait une infrastructure développée avec des résidences, des postes douaniers, ou encore des sites militaires. Cependant, de nombreux monuments ont trop vieilli ou ont été détruits.

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Les exigences vis-à-vis d'Ankara sont dues au changement de pouvoir au Soudan. A la tête du pays se sont retrouvés des personnes plus proches du quartet anti-Qatar (Arabie saoudite, Émirats arabes unis, Égypte, Bahreïn), comme en témoigne la récente décision du ministère saoudien des Finances de placer 250 millions de dollars dans la Banque centrale du pays. Cette somme fait partie de l'aide de 3 milliards de dollars promise par l'Arabie saoudite et les Émirats arabes unis. Le ministre des Finances du royaume, Mohammed ben Abdallah al-Jadaan, a déclaré que ce dépôt servirait à renforcer la situation financière et économique dans ce pays africain. Il est également prévu de livrer au Soudan de la nourriture, du carburant et des produits de première nécessité pour 2,5 milliards de dollars.

En ce sens, l'exigence que la Turquie, rivale régionale du quartet anti-Qatar, interrompe ses projets économiques à Suakin, paraît logique. Mais cette exigence cache une peur bien plus profonde. Les capitales arabes soupçonnent de plus en plus que cette île située en mer Rouge, juste en face de la ville saoudienne de Djeddah, puisse devenir un bastion pour les militaires turcs. Avec la présence militaire de la république de Turquie en Somalie et au Qatar, des sites militaires éventuels sur Suakin pourraient clore le triangle stratégique turc en mer Rouge. Cette figure géographique n'est pas bénéfique pour les monarchies arabes. L'idée que le littoral occidental de l'Arabie saoudite soit vulnérable pour un allié tactique de l'Iran terrifie les représentants de l'élite militaire et politique du Golfe.

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Étant donné que le Yémen, à proximité de la mer Rouge, est considéré comme une zone d'action de groupes irréguliers pro-iraniens (les rebelles Houthis sont considérés comme une force contrôlée par Téhéran), les principaux pays du Conseil de coopération du Golfe se retrouvent de facto dans un encerclement hostile. Le principal élément qui doit préoccuper aujourd'hui les centres de force arabes n'est pas ce que prépare l'Iran dans le contexte du renforcement des sanctions économiques américaines et de la concentration de la présence américaine à proximité du Golfe: c'est surtout ce que font tacitement les alliés tactiques de l'Iran au large de l'Arabie saoudite qui doit les alarmer, estime le quotidien.

«Depuis plusieurs années, la mer Rouge est une arène de sérieuse confrontation géopolitique entre les différentes puissances. La Turquie est un pays qui, sous le règne d'Erdogan, se positionne comme un protecteur du monde musulman. C'est pourquoi en renforçant son influence dans la région, en créant notamment des bases au Qatar et en Somalie, ainsi qu'en revendiquant Suakin et en se rapprochant ainsi de la Mecque sacrée, elle n'affiche pas seulement les ambitions d'une superpuissance régionale capable de créer son mécanisme de sécurité dans la région du détroit du Bab-el-Mandeb, où transitent 14% (1.800 milliards de dollars) du commerce pétrolier mondial, mais confirme à nouveau sa position particulière dans le système de l'Otan, puisqu'une telle activité se déroule entre les parenthèses du système de coordonnées de l'Alliance», analyse Anton Mardassov, expert du Conseil russe pour les affaires internationales.

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Du point de vue de l'expert, Ankara renforce également son expansion économique par sa présence militaire potentielle.

«Le potentiel des investissements turcs en Afrique est estimé à 6 milliards de dollars. Il est évident qu'une telle activité n'est pas appréciée par l'Arabie saoudite, les Émirats arabes unis, mais aussi l'Égypte, qui est en litige territorial avec le Soudan sur le triangle de Hala'ib, et l'Iran».

C'est pourquoi il est possible que les acteurs extérieurs tentent d'empêcher la présence turque au Soudan en renforçant les positions des acteurs intérieurs opposés à la présence d'Ankara dans le pays, explique-t-il.

«Profitant de la crise yéménite et du prétexte du développement culturel, les Émirats arabes unis créent dans la région un système échelonné de bases, notamment en Somalie, pas très loin du site turc. Alors qu'en renforçant sa présence en mer Rouge et en participant au conflit militaire au Yémen, l'Arabie saoudite cherche également à élargir sa zone d'influence du détroit de Bab-el-Mandeb jusqu'au canal de Suez», conclut l'expert.

Les opinions exprimées dans ce contenu n'engagent que la responsabilité de l'auteur de l'article repris d'un média russe et traduit dans son intégralité en français.

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