L'espoir serait vain
La trêve tant attendue dans la guerre commerciale entre les États-Unis et la Chine n'a pas eu lieu. Fin avril, le président et le secrétaire au Trésor américain affirmaient que les négociations avançaient bien, mais les tweets de Donald Trump publiés en mai concernant l'augmentation des taxes ont anéanti tous les espoirs.
Le yuan a perdu 2,4% de sa valeur pour atteindre son minimum depuis décembre dernier. Ce 14 mai, la Banque centrale de Chine a réduit le cours de la monnaie nationale de 0,6%. Un yuan faible rend les exportations moins chères en dollars, ce qui permet aux marchandises de se maintenir sur le marché américain même après le décret de nouvelles taxes rédhibitoires. Mais les importations deviennent plus chères et le reflux des capitaux du pays s'accélère.
Toutefois, la Banque centrale affirme que le yuan ne deviendra pas une monnaie d'échange dans la guerre commerciale, et que le taux de change sera maintenu à un niveau rationnel et stable.
Selon les experts de la société de recherche internationale indépendante Capital Economics, il est peu probable que Pékin décide de dévaluer le yuan à cause des taxes américaines. Au contraire, bien des signes indiquent qu'il l'empêchera.
Les taux d'intérêt sur les prêts à court terme sur le marché offshore du yuan a significativement augmenté: apparemment, les autorités financières chinoises tentent de compliquer le processus de création de positions courtes sur la monnaie nationale afin d'empêcher son affaiblissement, explique Capital Economics.
La dernière goutte
Ces craintes ont été appuyées par le tweet d'un journaliste chinois selon lequel les autorités «étudient déjà la possibilité de vendre» les obligations américaines et la «manière de le faire».
Le scénario d'une vente massive d'obligations américaines par la Chine (qui en détient 1.130 milliards de dollars) est peu probable: la forte dévaluation de ces obligations, inévitable dans ce cas, nuirait davantage aux Chinois qu'aux Américains.
Cependant, précise Bloomberg, Pékin pourrait parfaitement réduire ses investissements dans ces actifs de plusieurs dizaines de milliards de dollars, non pas par vengeance mais afin de maintenir le cours du yuan s'il commençait à chuter.
Ainsi, en 2016, les Chinois ont vendu 188 milliards de dollars d'obligations (presque 15% du montant total des placements dans cet actif à l'époque) quand le yuan avait fléchi de 7% sur fond de reflux des capitaux. Par la suite, une partie de la dette publique avait été rachetée, mais l'an dernier les ventes ont recommencé. Au total, en cinq ans, Pékin a réduit son portefeuille d'obligations américaines de 13,8%.
«Si la Chine commençait à vendre ses obligations du Trésor américain, cela ne serait pas tant lié aux nouvelles taxes mais plutôt à la régulation de sa propre monnaie. Quand le reflux des capitaux se renforcera, Pékin devra protéger le yuan et vendre les obligations», explique à Bloomberg Gene Tannuzzo, analyste chez Columbia Threadneedle Investments.
Vers un envol des taux d'intérêt
L'émission d'obligations publiques permet à Washington de financer les dépenses fédérales grandissantes tout en stimulant la croissance économique et en maintenant les taux d'intérêt bas.
«Si les Chinois décidaient de se retirer de la dette publique ou de réduire significativement leur part sur ce marché, cela provoquerait un déséquilibre aux États-Unis. Washington compte trop sur les acheteurs étrangers d'obligations. La vente d'une grande quantité d'obligations provoquerait une montée en flèche des taux d'intérêt, ce qui impacterait considérablement la première économie mondiale», note CNBC.
D'une manière ou d'une autre, Pékin poursuivra sa politique visant à renoncer à la dette américaine, affirment les analystes de la société d'investissement privée BlackRock.
«Pour le Trésor américain, compte tenu du déficit budgétaire croissant, cela risque d'entraîner des conséquences très négatives. Au final le Trésor sera perdant», a expliqué Laurence Fink, PDG de BlackRock.
La vente d'obligations ferait chuter leur prix en faisant grimper leur rendement et, par effet de conséquence, augmenterait le coût des emprunts pour les compagnies et les consommateurs américains. L'économie du pays en serait ralentie.
«Est-ce que la Réserve fédérale devra augmenter le taux directeur en plongeant l'économie dans une récession pour compenser l'offre supplémentaire d'obligations avec une demande plus basse? Ce n'est que l'une des questions à laquelle devra répondre la Maison-Blanche. Il faut surtout se demander qui sera le nouvel acheteur de la dette américaine», souligne Laurence Fink.
«La vente d'obligations est effectivement l'arme la plus puissante de Pékin. Les Chinois pourraient s'en servir dans leur confrontation avec les États-Unis. Et cela arriverait si la situation s'aggravait», estime Sung Won Sohn, professeur d'économie à l'université Loyola Marymount (USA) et président de SS Economics.