Ce 17 mai au matin, nous avons eu la surprise de découvrir que nos chaînes YouTube Sputnik France et Sputnik France Play avaient été affublées d'un nouveau bandeau. Sous chacune de nos vidéos, ce bandeau indique que «Radio Sputnik [ndlr: l'ancien nom de Sputnik France] est financée entièrement ou partiellement par le gouvernement russe», avec un renvoi vers la page Wikipédia qui nous est consacrée.
Piqués par la curiosité, nous sommes allés naviguer sur les chaînes YouTube de nos confrères. Prenons le cas de France 2 par exemple, qui appartient au groupe public France Télévisions: elle est affublée d'un bandeau différent. Cette fois-ci, on apprend que: «France TV est une chaîne de service public française». Même chose pour France 24, du groupe France Médias Monde, également détenu par l'État français. Au lancement de la chaîne en 2005, Jean-Pierre Raffarin, Premier ministre de Jacques Chirac, souhaitait ainsi que France 24: «favorise l'expression d'une vision française plus que jamais nécessaire dans le monde d'aujourd'hui.» Pour les chaînes étrangères, un traitement similaire est réservé à la BBC, «une chaîne de service public britannique». Toutefois, il est à noter que Voice of America et Al-Jazeera ont droit, eux aussi, au bandeau «financée entièrement ou partiellement par le gouvernement».
Saluons l'effort de transparence de YouTube, qui appartient au géant américain Google: la plateforme avertit ses utilisateurs de la provenance de leurs contenus et permet de mieux savoir d'où l'on parle. Pour notre part, nous n'avons jamais caché notre statut de média public russe. Le blog officiel de Google France motivait cette décision dans un billet d'avril dernier, par souci de transparence.
Mais comment expliquer la différence de traitement à laquelle nous sommes astreints, France Télévisions, France 24 et Sputnik France? D'un côté, il y aurait le bon service public, de l'autre, le mauvais service public? Pourquoi sont-ils qualifiés de « service public » et Sputnik de « chaîne financée par le gouvernement russe »? Ne serait-ce pas un petit peu pour nous dénigrer? Un papier du Monde daté du 2 mai détaillait l'irritation de l'audiovisuel public français à ce sujet. Un cadre anonyme de France Télévisions se désolait ainsi que YouTube amalgame «des médias du service public dans des démocraties à des médias d'État dans des régimes autoritaires», n'hésitant pas à citer Sputnik et RT. La distinction précédemment évoquée serait bien trop subtile à ses yeux.
YouTube veut avertir ses utilisateurs quand la vidéo qu'ils regardent est financée par un Etat. Les chaînes du service public audiovisuel français ont peur d'être mises dans le même sac que RT ou Sputnik https://t.co/oxYandAabI
— Yann Guegan (@yannguegan) 10 mai 2019
Un autre point nous frappe également dans cette qualification «financé par le gouvernement russe». Une expression qui ne va pas de soi en français, il s'agit en fait d'un anglicisme. Un Français plus châtié utiliserait plutôt «financé par l'État russe».
Dans un souci de transparence encore plus large, proposons à YouTube d'avertir ses utilisateurs lorsqu'ils regardent des chaînes privées. Pourquoi BFMTV, détenue par Patrick Drahi et Alain Weill, Le Monde, par Matthieu Pigasse et Xavier Niel, et Le Figaro, par le groupe Dassault, en seraient-ils exemptés? De plus, rappelons que les aides à la presse en France constituent des financements de l'État français à des médias. Le groupe Le Figaro a ainsi reçu 5.699.521 euros en 2018 et Le Monde, 5.081.486 euros.
Alors que les médias sont de plus en plus contestés dans nos démocraties, tous l'ont constaté, notamment lors des manifestations des Gilets jaunes, ce label de transparence élargi au privé constituerait un moyen parmi d'autres pour restaurer cette confiance auprès des citoyens.