Le Bénin peine à retrouver le calme depuis les violences qui ont suivi les élections litigieuses du 28 avril dernier. L'opposition, absente du scrutin, la société civile et même le pouvoir semblent dans l'impasse et chacun cherche dans le pays et au-dehors le moyen de sortir de la crise.
«De mon point de vue, le chef de l'État sortira forcément affaibli de ce processus. Il l'est déjà un peu en ce moment, et le fait qu'il ait lui-même souhaité la médiation de l'Assemblée nationale et de la CEDEAO [Communauté des États d'Afrique de l'Ouest], c'est comme s'il reconnaissait lui-même le caractère inacceptable de cet état des choses.
Le chef de l'État, ainsi que la nouvelle législature, pourraient recevoir un coup politique rude. Pire, l'opposition, qui serait absente aussi bien de l'exécutif que du législatif, n'aurait plus que la rue comme seul espace d'expression sur la politique au niveau national», explique Mathias Hounkpe, de l'ONG Open Society Initiative for West Africa (Osiwa), une organisation qui a pour vocation de soutenir la création de sociétés ouvertes en Afrique de l'Ouest.
De mémoire de James Hountonji, un habitant de Cotonou joint par Sputnik, on n'avait pas assisté à pareil scénario depuis 1990, année de la conférence nationale qui avait ouvert la voie à la démocratisation du pays et donné le «La» au reste de l'Afrique francophone. Lors des législatives du 28 avril dernier, cinq millions de Béninois étaient appelés à renouveler les 83 sièges de députés de l'Assemblée nationale. L'Union africaine (UA) et la CEDEAO avaient envoyé des observateurs, tandis que l'UE s'est désistée au dernier moment.
Dans la foulée, le Président Patrice Talon a été accusé par Nicéphore Soglo, ancien Président du Bénin, de torpiller la démocratie dans son pays.
C'est dommage dans l'ensemble, parce que je crois qu'il y a une sagesse qui doit prévaloir. À défaut de cette sagesse, je suppose qu'il faut garder le silence et regarder faire. On peut manifester son mécontentement, mais ça doit rester dans le cadre d'une expression de liberté. Aller combattre un pouvoir dans la rue, on n'a pas besoin de cette boxe-là», regrette Rock David Ngnahoui, doyen de la faculté de Droit à l'Université autonome de Cotonou, au micro de Sputnik.
Des échauffourées ont éclaté samedi 27 avril, veille du scrutin, en fin de journée, dans les villes de Calavi et de Savè, fief de l'ex-Président Thomas Yayi Boni, ce qui lui a d'ailleurs valu une assignation à résidence.
«Il nous a été signalé par des observateurs indépendants, que nous avons envoyés sur place, deux décès à Parakou et à Bantè, après des accrochages entre population et forces de l'ordre. Dans ce cafouillage, des individus cagoulés auraient pris d'assaut les bureaux de vote et tenté d'emporter des urnes. Des membres des postes de vote ont dû prendre la fuite. Plusieurs d'entre eux avaient enlevé leurs uniformes pour se fondre dans la foule», relate Emmanuel Ogou, un témoin joint par Sputnik.
La démocratie bâillonnée
La réforme du Code électoral le 3 septembre 2018 a été la goutte d'eau qui a fait déborder le vase. En conséquence, l'opposition a appelé au boycott de cette élection. Le nouveau code prévoit notamment une augmentation de la caution indispensable au dépôt de candidature, qui est passée de 8,3 millions de FCFA (12.800 euros) à 200 millions de FCFA (300.000 euros). Une somme qui n'est remboursée que si le parti atteint les 10% des suffrages au niveau national. Ce même seuil est nécessaire pour avoir des élus dans les 24 circonscriptions électorales.
À l'origine de cette manœuvre, la volonté délibérée de Patrice Talon de vouloir instaurer une «démocrature» [dictature sous des oripeaux démocratiques] au Bénin, a dénoncé l'ancien Président béninois Thomas Yayi Boni, lorsque les émeutes ont éclaté le 27 avril dernier.
«C'est un retour au Parti unique. Les Béninois ont manifesté leur refus de la fermeture de l'espace politique en boudant largement les urnes. Le scrutin ne peut pas être contesté sur le plan légal. Après, sur le terrain de la légitimité politique, c'est assez différent. Le pouvoir semble avoir choisi l'option d'aller jusqu'au bout. Je pense qu'on saura assez vite si cette Assemblée nationale peut s'installer à Porto-Novo dans des conditions de sérénité», commente pour Sputnik Eleme Asumu, analyste politique équato-guinéen, qui suit de près l'actualité du continent africain.
Vers une Assemblée monochrome
Les 83 députés de l'Assemblée nationale vont donc constituer selon ces résultats, une «Chambre introuvable», pour reprendre les propos de Louis XVIII, qui désignait ainsi une assemblée monochrome, «peu représentative et condamnée à suivre aveuglément la volonté du Prince».
«La répression contre des manifestations pacifiques est de plus en plus violente. La vague d'arrestations arbitraires de militants politiques et de journalistes a atteint un niveau alarmant au Bénin», s'inquiète notamment Amnesty International dans un communiqué publié le vendredi 3 mai.
Les troubles qui ont gagné Cotonou inquiètent la communauté internationale. La situation a empiré au quartier de Cadjehoun, résidence de l'ancien Président Thomas Yayi Boni, lorsque des policiers ont tiré à balles réelles sur des manifestants désarmés, blessant plusieurs d'entre eux. Une réaction qui a poussé les manifestants à incendier plusieurs véhicules des forces de l'ordre.
Situation inédite
Après son accession à l'indépendance le 1er août 1960, le Bénin a connu des décennies de régime autoritaire. Avec la transition vers la démocratie en 1990, l'activité politique est devenue florissante. Les électeurs pouvaient choisir leurs députés parmi au moins 20 partis. Aujourd'hui, avec la tournure que prennent les évènements, l'inquiétude est palpable.
«La question du Bénin préoccupe la commission économique des États de l'Afrique de l'Ouest et l'Organisation des Nations Unies. C'est ce qui justifie la présence en ce moment au Nigeria de la présidente de l'assemblée générale des Nations unies, Maria Fernanda Espinaso, et du coordonnateur humanitaire, Edward Kallo.
Vous savez que c'est le Nigeria qui assure la présidence de la communauté des pays d'Afrique de l'Ouest en ce moment. Une Réunion de la CEDEAO pourrait être convoquée très prochainement», révèle à Sputnik L'he Claudine Prudencio, leader de l'Union démocratique pour un Bénin nouveau (UDBN), un parti d'opposition dont le dossier de candidature a été rejeté.
L'accession au pouvoir en 2016 de Patrice Talon, appelé «le Roi du coton», avait pourtant fait naître un vent d'optimisme. La plupart des commentateurs avaient même salué «une rupture» après les deux mandats de Thomas Yayi Boni, marqués par des scandales financiers. Le Bénin semblait alors avoir tourné le dos au passé.
Trois ans après sa prise de pouvoir, l'économie béninoise se porte bien. Tous les indicateurs de croissance sont au vert. De 2,1% en 2015, elle est passée à 6% 2018 et à 7,6% en 2019, selon la Banque africaine de développement. Un bilan d'ailleurs salué par le FMI et la Banque mondiale.
«Quand on a une abstention de 96% dans une élection, c'est que les institutions ne sont plus crédibles», lançait aux médias locaux Thomas Yayi Boni, ancien Président du Bénin (2006-2016).
Illustration de ce climat politique tendu, les réseaux sociaux, dont Facebook ou Twitter, ainsi que les services de messagerie comme WhatsApp, Telegram ou encore Instagram sont toujours inaccessibles au Bénin, depuis le 28 avril jour du déroulement du scrutin. Pour contourner ce blocage, il faut faire usage d'un service de VPN (réseau privé virtuel).
«Il ne peut pas y avoir de compromis entre la dictature et la démocratie», avertit Nicéphore Soglo, le premier Président béninois démocratiquement élu (1991-1996). «Quand tous les pouvoirs et les contre-pouvoirs passent entre les mains d'un seul homme, la démocratie est en danger», ajoute-t-il à l'attention des médias locaux.
Depuis plusieurs jours, Bertin Koovi, un Équato-guinéen d'origine béninoise, sème le doute sur les réseaux sociaux à travers la publication des messages de haine dans lesquels il appelle au soulèvement des Béninois contre leur gouvernement.
Pour tenter de désamorcer la crise, les responsables béninois se sont tournés vers la Guinée équatoriale, dont le Chef de l'État, Obiang Nguema Mbasogo, proche de Thomas Yayi Boni, pourrait avoir un rôle à jouer dans cette crise. Le correspondant de Sputnik sur place a donc observé un véritable ballet diplomatique à Malabo, capitale de la Guinée équatoriale, tout au long de la journée du 8 mai.
C'est d'abord le ministre des Affaires étrangères, Aurélien Agbénonci, qui est venu transmettre un message de Patrice Talon à son homologue équato-guinéen, Teodoro Obiang Nguema Mbasogo. Ensuite, ce fut le tour de l'ancien Président Nicéphore Soglo. Tous ces responsables béninois se sont rendu à Malabo «pour demander conseil au doyen des Présidents africains (40 ans au pouvoir) et membre non permanent du Conseil de sécurité des Nations unies», explique le politologue équato-guinéen Eleme Asumu. Obiang Nguema, qui a d'ailleurs dépêché ce 10 mai à Cotonou son ministre des Affaires étrangères, Simeon Oyono Angue. L'objet de ce déplacement n'a pas été révélé à presse, mais on imagine qu'il s'agissait de la crise qui secoue le pays depuis le 27 avril.
«Le Président Obiang est un panafricaniste. Son amour pour l'Afrique n'est plus à démontrer. Je suis venu le rencontrer pour trouver une solution à la situation qui prévaut dans mon pays. J'ai écouté ses conseils. C'est un sage», a expliqué Nicéphore Soglo à la télévision d'État au sortir de son entrevue avec l'homme fort de Malabo.
En attendant les résultats de ces échanges, Thomas Yayi Boni, assigné à résidence depuis le début du mois de mai, a adressé sur sa page Facebook un message d'apaisement à ses concitoyens.
«Je m'incline, au nom de ma famille et moi-même, sur la dépouille des femmes des hommes tombés en martyrs au nom de la démocratie et des libertés qu'ils ont voulu protéger», dit-il. «Je leur présente mes sincères condoléances. Plaise à Dieu le Miséricordieux d'accueillir leurs âmes dans son royaume des cieux», conclut-il en bon «berger-pasteur».
Le geste suffira-t-il à calmer les esprits? La situation au Bénin va-t-elle rentrer dans l'ordre avec le temps? Eleme Asumu ne le pense pas:
«Après la tempête qui vient de secouer le Bénin, je crois qu'il est temps pour toute la classe politique de ce pays de tirer toutes les conséquences de la situation actuelle. Il ne faut pas simplement faire de faux-semblant, comme si rien ne s'était passé, comme s'il ne s'agissait que d'un mauvais moment qui va passer. Cette façon de voir les voir pourrait être tout simplement suicidaire», conclut-il pour Sputnik.