Scandale pédophile au sein de l'Église: «Même dans la mafia, il y a un code éthique»

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Sputnik donne la parole à... François Devaux, président de la «Parole Libérée», une association d'aide aux victimes de pédophilie. Sputnik s'est intéressé au cas du père Preynat, à la couverture des abus pédophiles, au pouvoir religieux et à sa morale ainsi qu'au projet de société que veut mettre en place l'association. Entretien.

La Parole Libérée, présidée par François Devaux, est une association créée en 2015 afin de venir en aide aux victimes du Père Preynat. Ce prêtre est accusé d'avoir commis des actes pédophiles, entre 1970 et 1991, au sein du Groupe Saint-Luc, un groupe scout indépendant comptant 400 enfants, depuis rallié aux Scouts d'Europe.

François Devaux fait partie des victimes de ce prêtre: il avait 10 ans lorsque le prêtre l'embrasse sur la bouche et raconte immédiatement les faits à ses parents. Ceux-ci s'en plaignent auprès du cardinal Decourtray, supérieur du Père Preynat. Le cardinal leur promet alors une mesure d'éloignement et leur assure par écrit que le père Preynat ne sera plus au contact d'enfants et qu'il sera envoyé chez les Petites Sœurs des Pauvres de la Part-Dieu, à Lyon.

La Parole Libérée a publié la lettre écrite aux parents de François Devaux, dans laquelle Bernard Preynat avoue ses actes. «Je n'ai jamais nié les faits qui me sont reprochés. Ils sont pour moi aussi une blessure dans mon cœur de prêtre». Il ne craint pourtant pas de s'offenser de la mesure prise à son encontre: «En me voyant partir ainsi, que vont penser les gens du quartier, ma famille, mes amis? Ils ne tarderont pas à connaître la raison, la rumeur va se répandre partout et comment pourrais-je alors retrouver un ministère: je serai complètement coulé!»

C'est en 2015 que François Devaux apprend qu'il n'aura fallu que six mois avant que le cardinal Decourtray ne revienne sur sa parole. Le père Preynat a en effet été envoyé dans un village de la Loire, où il célébrait les messes auprès d'enfants de chœur et prévoyait des voyages avec des enfants, alors même que ses agissements étaient connus non seulement du diocèse, mais aussi de certains parents, qui préféraient détourner le regard.

«C'est plus que le fait que ça se sache, c'était l'acceptation de cette situation-là et c'est ça que je trouve absolument abject. Ces enfants n'ont pas bénéficié de référent affectif à la hauteur de leur mission concernant leurs propres enfants. Les parents ont participé à ça, qu'un enfant ne se rende pas compte, c'est normal. Qu'un parent ne se rende pas compte de cela, c'est de la connerie humaine, il n'y a pas d'autre définition que ça.»

Comment des parents ont-ils pu négliger la sécurité et le bien-être de leurs propres enfants? François Devaux explique que c'est avant tout l'abus spirituel qui permet toute autre forme d'abus:

«Un bon catholique, s'il remet en question l'institution catholique, il n'est plus un bon catholique. On commence à être dans la définition de l'emprise, de la manipulation d'âme. C'est en ça que le chemin de pensée catholique est en soit problématique et on le voit bien avec les religieuses, les affaires de pédophilies dans le monde et avec le nonce apostolique.»

Depuis plusieurs années, l'institution catholique est secouée par des scandales d'abus sexuels, tel que la pédophilie et les religieuses victimes d'abus sexuels, ainsi que des abus moraux.

Aux États-Unis, une enquête des services du procureur de Pennsylvanie fait état d'au moins 1.000 enfants victimes de plus de 300 prêtres. En Allemagne, et à la demande de l'Église, des chercheurs ont mené une enquête pendant quatre ans et ont découvert que plus de 3.600 enfants avaient été victimes d'abus entre 1946 et 2014, commis par 1.670 membres de l'institution catholique, dont la majorité n'a jamais été punie. En Australie, une commission d'enquête royale mise en place par le gouvernement a recensé qu'entre 1980 et 2015, 4.444 cas d'abus ont été dénoncés aux autorités de l'Église.

En France, les abus du père Preynat ont été connus grâce aux membres de «la Parole libérée», qui se sont unis pour dénoncer ce prêtre. Son procès doit se tenir fin 2019. Le film «Grâce à Dieu», de François Ozon, relate le combat des victimes de «La Parole Libérée».
En mars de cette année, la chaîne Arte a diffusé un documentaire sur les religieuses abusées sexuellement par des hommes d'église, dont les sévices ont été trop souvent couverts par la hiérarchie.

Arte s'est d'ailleurs vu interdire la rediffusion ce mardi 30 avril par la justice allemande, à la demande d'un prêtre, non présenté directement dans l'enquête, mais se jugeant reconnaissable dans le récit d'une religieuse. Des films et des documentaires qui ont des conséquences, comme le film «Spotlight» sur les révélations du quotidien américain Boston Globe, qui en 2002, avait révélé les abus sexuels sur des enfants dans le diocèse de Boston et les efforts pour les couvrir. Un film qui a fait l'effet d'une bombe, à la suite duquel la Conférence nationale des évêques américains a adopté la charte de Dallas, instaurant une série de mesures pour protéger les enfants.

«S'il y a bien une définition du pharisaïsme, je pense que l'Église en est l'incarnation. On parle de couverture de crimes dans des proportions abyssales. Il n'y a pas un pays dans lequel l'Église catholique est implantée qui n'est pas concerné par des faits de pédophilie, qui sont abjects. On a détruit des documents pour cacher des preuves de gamins qui ont été violés. Quelle autre institution a fait ça? Même dans la mafia, il y a un code éthique.»

Le pharisaïsme se définit par la position religieuse hypocrite des pharisiens, qui pensant incarner la perfection morale, portent des jugements sévères sur l'attitude des autres. Une notion qui se vérifie après l'éclatement de tous ces scandales. Effectivement, on peut se demander comment une institution qui a des positions plutôt conservatrices sur la sexualité, sur le péché et les pensées impures, qui excommunie des divorcés remariés, peut en même temps avoir couvert des hommes d'Église qui ont violé des enfants. Pourquoi l'Église n'a-t-elle pas renvoyé ces prêtres?

Le Pape François —et Benoît XVI avant lui- ont présenté leurs excuses pour les dommages causés à des enfants par des prêtres pédophiles. En 2018, au Chili, une trentaine d'évêques ont démissionné suite à une série de scandales pédophiles, qu'ils sont accusés d'avoir couverts. Le Pape accepta les démissions.Pourtant lorsque le Cardinal Barbarin, condamné à six mois de prison pour non-dénonciation des délits du prêtre Preynat, a présenté sa démission, le Pape François l'a refusée. Une décision incompréhensible pour «La Parole Libérée» comme pour bien d'autres.

«On invite à une prise de hauteur, une réflexion globale qui est en train de s'opérer. Certes, l'Église va droit à sa chute et à son effondrement et on le constate chaque jour, et je pense qu'elle en est la seule responsable. Parce que tout ça n'a été qu'une suite d'opportunités proposées qui n'ont pas été saisies par cette institution. La tolérance zéro, ce n'est pas compliqué, il suffit de l'appliquer. Ils n'ont pas été à la hauteur du défi.»

La parole se libère, et les dénonciations de sévices sexuels augmentent de plus en plus. La population prend conscience de la gravité des actes, mais surtout de la couverture de ces crimes et délits par la hiérarchie, dans des proportions énormes.

Dans quelle mesure est-ce lié? CheckNews a évalué le nombre d'adultes qui ont renoncé à la foi catholique et se sont fait débaptiser. En France, ils estiment ce nombre à 2.200 en 2018, bien que l'Église ne donne pas de chiffres officiels. Mais François Devaux le souligne, la foi n'a rien à voir là-dedans:

«Ce sujet-là n'est pas relatif à la croyance, il est relatif à l'appartenance à une institution malveillante. On peut avoir la foi et croire en un Dieu, et en même temps refuser d'appartenir à une institution qui détruit des âmes encore aujourd'hui.»

La hiérarchie catholique a couvert ces graves dérives. Peut-on aller plus loin et considérer que cette indulgence de la hiérarchie catholique pousse certains pédophiles à entrer dans les ordres?

«Il n'y a pas de cause à effet direct, mais quand vous êtes une institution qui se dit garante de la morale sur Terre, représentant du Christ, qui assume clairement une position chaste sur toute sexualité confondue, elle devient une terre d'accueil pour des personnes qui sont en souffrance avec leur sexualité. C'est donc un formidable moyen de mettre un couvercle sur une souffrance personnelle.»

La pédophilie sévit partout, dans les écoles, au sein même des familles et dans d'autres institutions religieuses. Dans son documentaire «M», Yolande Zauberman a suivi Menahem en Israël, né juif hassidique ultra-orthodoxe, et a été victime dans son enfance d'abus sexuels. Une quête qui va révéler bien d'autres victimes. Au sein de l'Église protestante, aux États-Unis, un scandale d'abus sexuel à grande échelle, impliquant 400 pasteurs, bénévoles et éducateurs de la Southern Baptist Convention (SBC) —la principale Église protestante nord-américaine-, a éclaté dans la presse en février 2019.

L'institution catholique n'est pas la seule touchée, et il serait intéressant de faire une comparaison du nombre de cas d'actes pédophiles avérés avec d'autres institutions, mais pour cela des chiffres seraient nécessaires, et il n'y en a aucun. Médiatiquement, le catholicisme est sous le feu des projecteurs, de par la couverture et l'acceptation des représentants de l'Église. Et surtout grâce aux victimes, qui ont pu révéler des crimes odieux.

«Une prise de conscience sociétale qui est très importante. La parole se libère, je crois que l'image de la victime change, que la honte change de camp. Je pense qu'aujourd'hui, c'est plus facile pour les victimes d'accepter, de dénoncer.»

L'abus sexuel est un fléau qui peut toucher n'importe qui, à tout moment de sa vie. Femmes, hommes, enfants, à l'école comme au travail, chez le médecin, dans une institution religieuse ou encore et c'est sûrement le pire, au sein même de la famille. Un drame qui n'est pas assez pris en compte par les autorités, déplore François Devaux.

«C'est effarant en France, de voir qu'il n'y a aucune politique gouvernementale sur les agressions sexuelles sur mineurs. Le jour où l'État fera le dixième de ce qu'il a fait pour la sécurité routière, le cancer ou le Téléthon… Les personnes qui ont été victimes d'agressions sexuelles, ça les poursuit toute leur vie. Et aujourd'hui, on n'a pas de politique à la hauteur du fléau.»

De fait, en France, les données officielles sur les agressions sexuelles sont trop parcellaires, d'où le projet de recensement de victimes au niveau national, mineures, mais aussi majeures, de «La Parole Libérée». Grâce à ces chiffres, l'association espère une meilleure comparaison et compréhension de la pédophilie. Le projet vise à une meilleure prévention et prise en charge des victimes, dans le but d'éradiquer ce fléau. L'association a d'ailleurs lancé une campagne de financement participatif en faveur de ce recensement et elle espère bien une prise de conscience de l'État.

«Aujourd'hui, on a des députés-sénateurs, un gouvernement politique qui vote des lois —la loi Schiappa- eh bien, ils ne savent pas de quoi ils parlent, c'est aberrant. L'État français ne fait pas le boulot. Des gens que l'on paye, avec le contribuable français, avec nos impôts, ne font pas le boulot de la protection des enfants de notre nation», s'indigne François Devaux.

 

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