Le quotidien Izvestia s'est penché sur cet éventuel changement du paysage militaro-politique.
Au banc d'essai
Les missiles de croisière en question ont plusieurs points communs: ils sont subsoniques; leur mission principale consiste à éliminer des cibles terrestres; et le Kalibr (dans sa version pour l'armée de terre) comme le Nirbhay (supposément) peuvent embarquer une ogive conventionnelle et nucléaire — ce qui était également caractéristique du Tomahawk par le passé.
Cependant, compte tenu des perspectives du retrait des États-Unis du traité sur les forces nucléaires à portée intermédiaire (FNI) en août 2019, la version sol-sol du Kalibr est en cours d'élaboration conformément aux décisions prises et annoncées par les autorités militaro-politiques russes en février.
Les premiers essais sont attendus cet automne, et la tâche paraît assez routinière. Dans le même temps, la version d'exportation du Kalibr, à laquelle a été attribué l'indicatif Klab, était promue et est promue en partie sur les marchés mondiaux dans toutes les versions — mer, sol, et même air. Ainsi, conceptuellement, c'est elle qui aurait pu inspirer les ingénieurs indiens. Cependant, conformément au Régime de contrôle de la technologie des missiles, la portée du Klab est limitée à 300 km. De plus, naturellement, cette munition est proposée uniquement en version non nucléaire. La portée maximale du Kalibr dans la version prévue pour le marché intérieur avoisine 2.000 km, alors que celle annoncée pour le Nirbhay est plus réduite: environ 1.000 km ou un peu plus.
BREAKING: India’s @DRDO_India tests Nirbhay 1,000-km range ruise missile from east coast. (Footage from earlier test filmed from a Jaguar) pic.twitter.com/L4UPIqWDas
— Livefist (@livefist) 15 avril 2019
La version actuelle du missile de croisière Nirbhay utilise approximativement le même moteur de la gamme TRDD-50/Izdelie 36 que sur la plupart des missiles de croisière russes. Mais d'ici le lancement de la production en série, il est prévu de mettre au point le moteur indien Manik. La coentreprise russo-indienne BraMos participe à ce projet, dans lequel la compagnie russe Saturn pourrait également être impliquée. Selon une version, le Manik est un parent proche des moteurs TRDD-50B/Izdelie 37 qui ont été livrés à une époque en grand nombre à l'Inde (dans la version TRDD-50MT), prétendument pour équiper des drones.
Sans oublier un autre fruit de la coopération russo-indienne: le missile de croisière supersonique BraMos. Pour le moment, ce missile embarque seulement une ogive conventionnelle, du moins officiellement (il ne fait aucun doute que l'élaboration de la version nucléaire sera une tâche de routine). Certes, sa portée est largement inférieure (jusqu'à 500 km pour la version ordinaire), mais sa vitesse supersonique est un avantage pour éliminer certains types de cibles, notamment des navires.
Rechercher et percer
Un thème particulièrement intéressant est celui de la désignation des objectifs pour les missiles à longue portée. En principe, cette mission peut être remplie de différentes manières, par des unités de reconnaissance sur le terrain transmettant les coordonnées au «centre», ou encore par des satellites militaires. Il est également possible d'utiliser des radars terrestres: c'est le cas notamment du radar russe Podsolnoukh qui permet d'identifier des cibles navales en surface dans un rayon de 350-450 km pour la marine et les missiles côtiers. Difficile de dire pour l'instant quel dispositif sera prioritaire pour le Nirbhay, mais l'expérience, les technologies et les solutions russes pourraient parfaitement être sollicitées. Toutefois, compte tenu du caractère multivectoriel des achats d'armement et de matériel militaire de l'Inde, différentes possibilités restent envisageables.
Cependant, compte tenu de la complexité technique de leur conception, il n'existe à ce jour aucun missile hypersonique de série.
Quand de tels missiles feront leur apparition en version classique avec un réacteur hypersonique — si cette éventualité venait à se concrétiser — ils seront certainement moins nombreux, notamment à cause du coût très élevé de leur moteur. Il est donc incorrect de parler d'une «concurrence» entre les différents types de missiles de croisière.
Globalement, les moyens permettant de percer la défense peuvent se résumer à deux versions de base: soit des frappes massives avec un grand nombre de leurres, soit des missiles furtifs et l'utilisation de moyens de guerre électronique (notamment de bord). Personne ne cherchera à percer de telles bulles avec un seul type de missiles: il sera plutôt question d'une opération combinée utilisant tout un éventail de moyens cinétiques et non cinétiques.
La théorie et la politique
Les missiles de croisière sont utilisés par différents acteurs (notamment pseudo-étatiques, comme le mouvement des Houthis au Yémen) aussi bien dans le cadre de grandes opérations contre des États que de la lutte contre des groupes armés illégaux. Ce contexte est particulièrement important pour l'Inde, car les groupes armés illégaux menaçant les intérêts indiens sont souvent basés sur le territoire du Pakistan, son principal rival régional. D'ailleurs, pendant la confrontation indo-chinoise sur le plateau du Doklam en 2018, des versions terrestres du missile BraMos avaient été projetées dans les régions concernées.
Les missiles de croisière s'inscrivent dans une tendance plus large: de plus en plus de pays obtiennent (ou acquièrent) la possibilité de porter une frappe de précision non nucléaire à grande distance. Cela engendre un dilemme de sécurité avec les pays voisins, les adversaires et les partenaires, qui recherchent des capacités et des moyens identiques pour y faire face.
Les missiles de croisière précités garantissent la possibilité d'une élimination de haute précision des sites ennemis à grande distance et peuvent servir d'appui important pour la dissuasion non nucléaire ainsi que, théoriquement, de moyen de contreforce non nucléaire. C'est ce dernier facteur qui préoccupe tant les adversaires éventuels.
De plus, les missiles de croisière russes et indiens possèdent supposément une version non nucléaire et nucléaire; et les adversaires éventuels doivent prendre en compte le pire des scénarios dans leur planification. Comme les autorités militaro-politiques russes mettent l'accent sur le renforcement des capacités de dissuasion non nucléaire, notamment en installant dans certaines régions des vecteurs de missiles de croisière de haute précision de différents stationnements et portées, il semble utile d'évoquer de manière substantielle comment démontrer le caractère non nucléaire des systèmes en question. Pourquoi ne pas rechercher dans ce secteur des solutions russo-indiennes conjointes en matière de mesures de confiance et de transparence, qui pourraient être ensuite promues conjointement sur les plateformes multilatérales?
Les opinions exprimées dans ce contenu n'engagent que la responsabilité de l'auteur de l'article repris d'un média russe et traduit dans son intégralité en français.