«Médecin urgentiste, c'était ma vocation. J'étais dans une équipe soudée, extrêmement compétente. Mais, ces dernières années, les conditions de travail se sont tellement dégradées que je n'éprouvais plus aucune satisfaction. J'angoissais tant que je ne dormais plus. Alors je suis partie…», confie Marie (prénom modifié).
Comme elle, «la moitié des 17 urgentistes, dont plusieurs piliers du service, en burn-out, ont annoncé leur départ au cours de l'hiver, sans même se concerter», raconte Patrice Ramillon, secrétaire adjoint FO au centre hospitalier.
«Le nombre de lits diminue constamment»
«Au déchocage (urgences vitales), on a souvent deux fois plus de patients que de places», témoigne à l’agence un aide-soignant. «Pour les autres, il y a huit heures d'attente, collés les uns aux autres sur des brancards. Quand la salle est pleine, on remplit les couloirs…».
«Cinquante patients pour trois médecins, c'est intenable!», soupire-t-il. En sous-effectifs, «les soignants font de l'abattage, ne peuvent même plus vérifier que les gens sont allés aux toilettes ou ont mangé».
Des patients dormant «dans un couloir»
Outre l'épuisement, «les médecins deviennent secrétaires, passent leur temps au téléphone pour négocier des admissions dans des services bondés», gèrent en simultané de nombreux cas, «impossibles à surveiller correctement», déplore Marie.
«Il n'est pas normal qu'en fin de garde, des collègues partent en larmes! Que chaque nuit, dix ou vingt personnes, âgées et malades, dorment dans un couloir et restent 48 heures! C'est de la maltraitance institutionnelle», tranche un autre urgentiste, démissionnaire après de nombreuses années de service.
«Chaque matin, j'ai peur d'aller au boulot, je me demande si je vais finir par faire une erreur», lâche-t-il, préférant «partir pour ne plus être complice de ce système qui broie les gens».
Transfert de la pneumologie à Béthune, fermeture de lits en obstétrique, chirurgie, gériatrie: «l'hôpital, qui comptait autrefois 1.000 lits, s'est réduit à 700, et table maintenant sur 571» en vue d'un déménagement en 2023. La direction s'est par ailleurs engagée dans un plan de retour à l'équilibre (PRE) prévoyant «la suppression de 157 postes».
«On nous parle de virage ambulatoire, réduction des délais de séjour mais on a les pires indicateurs de santé de France: une population âgée, un nombre incalculable de cancers, une surmortalité extrême et quasiment plus de médecins en ville!», plaide-t-il.
«Aux urgences, c'est le Titanic: on voit l'iceberg, on saute tous à l'eau!», résume M.Ramillon.
Pour l'ARS des Hauts-de-France, le PRE doit permettre de «supporter» le coût de la reconstruction de l'hôpital, «indispensable» au regard de sa «vétusté», et «anticipe la nouvelle répartition des activités» entre établissements du GHT, nécessaire face à une pénurie de médecins.
Vers le recours à des volontaires?
Mais, conscientes de la tension des urgences, les autorités ont décidé de «missionner une équipe de professionnels du secteur». Leur «plan d'action» comprendra le «recensement d'éventuels volontaires» dans d'autres hôpitaux pour «renforcer» l'équipe cet été, précise l'ARS. La direction de l'hôpital a refusé de s'exprimer.
«Ils vont colmater, appeler à la solidarité, injecter quelques paramédicaux récupérés en interne, mais ça n'aura qu'un temps!», déplore M. Ramillon, craignant «une catastrophe sanitaire».
«Qui rejoindra une équipe décapitée, un hôpital qui coule?», demande-t-il, réclamant «un plan Marshall» pour rouvrir des lits, des postes et «sauver le premier hôpital du Pas-de-Calais».