Autrefois dictée par les magazines, l'image du corps parfait envahit notre quotidien. À force de voir des corps de femmes et d'hommes tous plus minces les uns que les autres, certains finissent par croire qu'il faut leur ressembler à tout prix. Des mannequins, des personnes dont c'est le métier, définissent ce qu'est la beauté.
Aujourd'hui avec les réseaux sociaux, plus besoin d'être un mannequin reconnu, il suffit d'un maillot de bain, du dernier legging bien moulant, une photo et hop, c'est le début de la gloire et des likes à n'en plus finir. Des likes virtuels certes, mais des likes qui font du bien à l'ego. Alors, le rapprochement est vite fait: plus on est mince, plus on est conforme à la société. Une minceur synonyme de beauté, de santé, de maîtrise de soi. Mais cette quête de perfection peut engendrer des maux bien plus importants. Au-delà du physique, cela devient psychologique.
Pour ce nouvel épisode, Sputnik s'est intéressé à l'anorexie. Ce trouble est essentiellement féminin, mais il touche aussi des hommes. Il se déclenche à l'adolescence et s'il se guérit dans la majorité des cas, il peut parfois entraîner la mort. Il s'agit d'une restriction de nourriture, souvent associée à des troubles psychologiques. Jean-Michel Huet, psychanalyste spécialisé dans les troubles de l'alimentation, dresse un profil de perfection et de contrôle.
Ce contrôle est revenu plusieurs fois au cours de nos différentes rencontres: la maladie survient après des problèmes personnels sur lesquels l'individu n'a pas de prise. Se sentant impuissant, le fait de ne pas manger lui donne l'impression d'arriver à reprendre le contrôle sur au moins un aspect de sa vie. L'anorexie n'est donc pas une recherche de corps parfait, mais bien le synonyme d'une détresse psychologique.
«À la fois sculpter le corps et contrôler tout ce que j'allais manger, contrôler la vie en général. L'anorexie ne vient pas de l'image du corps, elle vient d'abord de l'image de soi et l'image de soi se répercute sur l'image du corps.»
Pour comprendre un peu plus cette maladie, je suis allée à la rencontre de femmes, mais aussi de Quentin, un jeune homme en voie de guérison. Avec sa compagne Noélie, ancienne malade également, ils ont partagé leur histoire pendant et après la maladie, les idées reçues, la culpabilité, le doute, le rapport aux proches, leur hospitalisation où ils se sont rencontrés et comment leur soutien mutuel les aide dans leur combat contre la maladie.
«Est-ce que c'est normal que je sois malade, est-ce que j'ai le droit d'être malade? C'est un caprice, ce n'est pas une maladie, vu qu'il n'y a aucun autre homme autour de moi.»
L'anorexie est une maladie connue pour toucher majoritairement les femmes, Quentin est l'un des rares hommes à en souffrir. Il ne se doutait pas du mal qui le rongeait avant qu'un spécialiste ne lui prouve qu'il souffrait réellement de cette maladie. Bon élève, studieux, il a réussi à avoir son bac avec mention, tout en enchaînant les séances de sport. Son entourage a évidemment été moins attentif, pensant à tort et comme beaucoup, que la maladie était exclusivement féminine. Un jeune au parcours sans faute, en apparence. Mais son mal l'a poussé à aller toujours plus loin, il voulait être parfait, être le meilleur pour être accepté dans une société dont il se sentait exclu. Il affirme avoir toujours été plus fort que l'envie de manger, mais ce sentiment de force a bien failli lui coûter la vie. Pour lui, c'était:
«Essayer de me dépasser jusqu'à atteindre le seuil de la douleur et d'aller au-delà de cette douleur. J'ai perdu conscience de mon corps, je l'ai totalement oublié, jusqu'à atteindre un point catastrophique.»
Quentin mesure 1m78, et il est descendu jusqu'à 34 kg, soit près de la moitié du poids «idéal» pour être en bonne santé, selon la formule de Lorentz, pour un homme de sa taille. Il est passé par plusieurs cliniques, des hospitalisations qui ne se sont pas toujours bien passées. D'abord, le patient peut ne pas être conscient de la maladie, ou refuse de l'être. Même en soins, il va trouver tous les stratagèmes pour éviter de retenir toute forme de nourriture. Pour Quentin, c'était le sport à outrance, il pouvait s'enfermer dans les toilettes où il faisait des centaines d'abdos à la suite. S'il se faisait prendre, il pouvait feindre des symptômes, ce qui engendrait la prise de médicaments avec des effets secondaires. Jusqu'au jour où il a atteint un poids si bas qu'une voie centrale était nécessaire pour le maintenir en vie, mais même là, il avoue qu'il demandait à ce que la température de la chambre ne soit pas trop chaude où il dormait sans ses draps, parce que s'il avait froid, il tremblait et s'il tremblait alors il y avait une dépense calorique.
Plus de médecins, plus de cliniques spécialisées dans ces troubles sont nécessaires. Aucune personne ne peut se faire du mal à ce point, que ce soit pour ressembler à Kate Moss ou tout autre prétexte: c'est une maladie où la prise en charge aussi bien physique que psychique est à prendre en compte et à soigner pas à pas.
«Revivre, ça passe aussi par réapprendre à aimer, réapprendre à être aimé. Le fait d'être avec quelqu'un et de partager des moments, c'est venu remplacer tout le contrôle que je pouvais avoir.»
Quentin et Noélie se sont rencontrés pendant leur dernière hospitalisation à la clinique des Vallées, à Annemasse. Le fait de lâcher prise et de se laisser aller à leurs sentiments les a aidés à voir au-delà de la maladie et de ce contrôle incessant. Outre le fait d'être à deux, c'est l'écriture qui a aidé Noélie dans son combat. Son livre, Eclore, raconte son parcours, ses rencontres, les outils utilisés face à la maladie et son ressenti. Un livre qu'elle cherche à publier, mais qui est déjà disponible sur Internet. Un message d'espoir et d'humilité. On peut arriver à se sortir de l'anorexie, pas à pas:
«Quand on est dans l'anorexie, on adapte toutes les normes à la pathologie et on ne vit plus, on essaye de survivre en contrôlant tout et c'est en lâchant petit à petit qu'on commence à savourer le moment présent. C'est un processus long, très long de se soigner, mais on peut y arriver, faut juste pas perdre espoir et en demander trop d'un coup.»